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27/05/2008
Questions internationales (2)
Politique, lobbies et dollars


(MFI) Les fortunes investies dans les campagnes lectorales favorisent linfluence des lobbies, ces socits qui dfendent les intrts dentreprises ou de corporations. Les lus sont redevables envers ceux qui ont financ leur campagne, et cela nest pas sans consquence sur leur politique. De quoi accentuer le divorce entre les citoyens et les dirigeants.

Selon une enqute du Centre pour une politique responsable, une association citoyenne base New York, la confiance des Amricains envers leurs lus est aussi faible qu lpoque du Watergate, ce scandale qui, en 1974, avait contraint le prsident Richard Nixon la dmission. Une des causes de ce dsamour serait le lien parfois incestueux qui unit argent et pouvoir. Cest du moins ce pense Craig Holman, lun des animateurs de lassociation Public Citizen : Gouverneurs, snateurs, membres de la Chambre des Reprsentants, tous les lus aux Etats-Unis sont riches. Les Amricains ne se reconnaissent pas en eux, a fortiori lorsque la crise des subprimes contraint des milliers de familles quitter leur logement. Il nest pas tonnant que le taux de participation llection prsidentielle atteigne peine 50 %.
Les 535 membres du Congrs possdent tous ensemble 3,6 milliards de dollars. Infiniment plus que nimporte quelle collectivit de 535 personnes tires au hasard. De mme, 58 % des snateurs et 44 % des membres de la Chambre des Reprsentants possdent un patrimoine suprieur un million de dollars ; ce nest le cas que de 1 % des Amricains. Le problme nest pas simplement la fortune des lus. Cest que cette fortune influence leurs dcisions , insiste Craig Holman. Le sentiment est fort aux Etats-Unis que la politique est une activit rserve aux nantis, alors que chacun devrait pouvoir participer la vie publique. Do une dsaffection pour les urnes , ajoute David Magleby, professeur de sciences politiques luniversit Brigham Young (Utah), cit dans le Wall Street Journal.

Un risque de corruption

Plusieurs affaires de corruption comme le scandale Enron ou laffaire Jack Abramoff ont aussi entach la rputation des lus. Mais pour Craig Holman : Ces scandales de corruption ne sont pas des problmes de personnes ; ils sont le reflet dun systme o les entreprises peuvent lgalement financer les campagnes lectorales, pour des montants toujours plus levs. Sans surprise, elles attendent dtre payes en retour. Cest logique de leur part, cest le systme de financement de la vie politique qui est condamnable.
Cest ici le rle des cabinets de lobbying qui est point du doigt. En mars 2007, 22 500 lobbyistes taient inscrits auprs du Congrs. Leur rle : dfendre les intrts de leurs clients auprs des lus. A coup darguments, de rapports, de persuasion, mais aussi de voyages, de cadeaux, de financement de campagne lectorale, demplois Do les scandales de corruption. Peu de scandales clatent par rapport leur nombre rel car tout le monde profite du systme ; les dmocrates comme les rpublicains, les entreprises comme leurs avocats. Les seuls perdants sont les citoyens , soupire David Magleby. Lors de la rforme de lassurance-maladie, en 2003, 952 reprsentants de groupes pharmaceutiques et de compagnies dassurance arpentaient les couloirs du Congrs, pour une prsence moyenne de 435 lus. En mars 2006, une loi dfendue par John McCain a propos dinterdire la pratique des cadeaux aux parlementaires. Sa version finale a t srieusement dulcore : les cabinets de lobbying nont plus le droit doffrir des prsents aux lus, mais les entreprises quils reprsentent le peuvent.
Dans les colonnes du journal Le Monde, Paul Miller, le prsident de la Ligue de dfense des lobbyistes (le lobby des lobbies), se fait lavocat de sa profession : Il faut cesser de nous caricaturer ; nous ne reprsentons pas que les intrts du grand capital. Certains dentre nous dfendent Boeing ou lindustrie ptrolire, mais dautres se font lavocat des rserves indiennes du Wampanoag ou des rivires du Colorado. Des pays qui veulent restaurer leur image auprs de Washington font aussi appel des lobbyistes. Si nous reprsentons une menace pour la dmocratie, que notre activit soit interdite. Une solution quaucun lu na jamais envisage. On peut rpondre ce discours de Paul Miller que les acteurs dun conflit nont pas tous les mmes moyens ; ainsi, les cologistes ont souvent moins de ressources que les compagnies ptrolires. En outre, toutes les opinions ne se valent pas. Peut-on mettre au mme plan ceux qui revendiquent le droit de polluer et ceux qui dfendent la protection de lenvironnement ? Certes, le lobby des armes feux est puissant aux Etats-Unis.
Au-del de ce travail des lobbyistes, cest leur collusion avec le monde politique qui est dnonce. En 2007, 1 300 lobbyistes taient danciens parlementaires. Il ne faut souvent que quelques semaines avant quun gouverneur ou un snateur, battu aux lections, soit recrut par un puissant cabinet davocat , note Craig Holman.

Pionniers et Rangers

Le scnario est le mme la Maison Blanche. Les firmes qui financent la campagne lectorale du futur prsident veulent en avoir pour leur argent. Le systme mis en place par George Bush pour sa rlection en 2004 est parlant : les chefs dentreprises et les lobbyistes qui ont collect plus de 100 000 dollars de dons auprs de leurs amis et collgues ont reu le titre de Pionnier ; ceux qui ont collect plus de 200 000 dollars celui de Ranger. Ainsi, 76,5 millions ont t rcolts par seulement 548 personnes. Parmi elles, 173 ont ensuite t nommes un poste lev de ladministration fdrale. Cest notamment le cas de 29 ambassadeurs. De mme, depuis 1999, les 30 entreprises propritaires des centrales lectriques les plus polluantes du pays ont vers au locataire de la Maison Blanche 6,6 millions de dollars. Comme le dnonait rcemment Carl Pope, le prsident du Sierra Club, lune des premires associations cologistes amricaines : Lintervention des juges a oblig les autorits amricaines enfin protger lours polaire, mais avec des restrictions drastiques pour ne pas menacer les intrts des compagnies ptrolires qui forent en Alaska. Cela nest gure surprenant puisque ces compagnies font partie des principaux bailleurs de fonds du Parti rpublicain. On peut galement sinterroger sur le fait que le vice-prsident, Dick Cheney, est lancien PDG de Halliburton, et que cest cette firme qui a remport les plus importants contrats de reconstruction en Irak, pour un montant estim 12 milliards de dollars. Quant au candidat rpublicain, John McCain, ses votes au Congrs ont t conformes aux souhaits du patronat dans 81 % des cas, selon le Centre pour une politique responsable.

Largent, gage dindpendance ?

Professeur de sciences politiques luniversit de Yale, Philip Burns se fait nanmoins lavocat du systme : Il est facile de dnoncer quelques affaires de corruption ou les abus de lactuelle prsidence. Mais largent reste un gage dindpendance politique, et les premiers financiers des campagnes lectorales sont les citoyens amricains. Quant au lobbying, il existe dans le monde entier, et pas seulement pour de mauvaises causes. Les lus ne sont pas des marionnettes au service de quelques groupes dintrt. Ils ne peuvent ignorer ni lopinion publique, ni la dfense de lintrt gnral.
Ce rapport difficile entre les lus et largent transcende les frontires politiques. Impossible daccuser un camp ou un autre. Ainsi, si Barack Obama se vante davoir reu le plus de soutiens financiers infrieurs 50 dollars de la part dAmricains modestes, il est aussi celui qui a rcolt le plus dargent de la part de lindustrie pharmaceutique. La rforme du systme dassurance maladie amricain risque de ne pas voir le jour rapidement.

Jean Piel

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