Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

27/05/2008
Questions internationales (1)
Trs chre lection amricaine


(MFI) La campagne des primaires touche sa fin aux Etats-Unis, et llection prsidentielle aura lieu dans cinq mois. Les candidats vont devoir convaincre les lecteurs de voter pour eux, mais aussi les donateurs de les soutenir financirement. Car la course la Maison Blanche nest pas quune question dides, cest aussi une question dargent. Avec prs dun milliard de dollars engag, ce scrutin prsidentiel devrait tre le plus cher de lhistoire des Etats-Unis.

Que prvoit la loi en termes de financement des campagnes lectorales aux Etats-Unis ?

La lgislation lectorale amricaine est trs prcise en ce qui concerne le financement des campagnes, donnant limpression dune grande moralit politique. Mais elle peut tre facilement contourne, sans que cela constitue un dlit. Dans un pays o parler dargent nest pas tabou, la course aux dollars est une ralit chaque lection, et cela ne choque gure. Course aux dollars et course aux votes se confondent , constate Adam Nagourney, lditorialiste du New York Times.
Adopte en 1971, la loi sur les campagnes lectorales fdrales exige que les candidats publient leurs sources de revenus et leurs postes de dpenses. Jusquen 2002, les contributions des particuliers aux partis politiques taient limites 1 000 dollars, et celles des entreprises taient illimites. Suite au scandale Enron, le Congrs a rvis le texte. Dsormais, un particulier peut verser 2 300 dollars par lection (les primaires et le scrutin prsidentiel sont considrs comme deux lections diffrentes ; un particulier peut donc verser 4 600 dollars pour la prsidentielle), et les financements dentreprises sont interdits. Mais et cest l o se niche lhypocrisie les entreprises peuvent financer les comits daction politique des candidats. En effet, largent transite obligatoirement soit par ces comits daction politique (cela correspond grosso modo la machine lectorale du candidat), soit par un Comit 527 en rfrence larticle 527 du code fiscal , cest--dire un comit de soutien. A noter que les trangers nont pas le droit de participer au financement dune campagne lectorale aux Etats-Unis.
Un candidat la prsidence qui a besoin de 50 millions de dollars une somme modeste pour conqurir la Maison Blanche va devoir attirer de nombreux donateurs, moins de possder une fortune personnelle. Toutes les quipes de campagne comptent donc des spcialistes du fund-raising. La solution passe aussi par de gnreux amis qui organisent des vnements en votre faveur. Ainsi, en 2004, un promoteur immobilier proche de George Bush avait organis un dner de 2 000 couverts pour lequel chaque convive stait acquitt de 14 000 dollars (le cot du dner par invit tait de 80 dollars). Recette en une soire : 2,8 millions de dollars. Cela dit, de tels coups ne reprsentent pas lessentiel du financement. Depuis 2004, la leve de fonds via Internet constitue le principal moyen de financement lectoral, et la majorit des dons oscille entre 200 et 2 000 dollars. Ce sont donc les citoyens qui financent les hommes politiques.
Aux Etats-Unis, 80 % des fonds dune campagne lectorale sont dorigine prive. On devrait arriver 100 % cette anne. Les financements publics existent, mais ils sont plafonns lors des primaires, et interdisent les dons privs une fois linvestiture du parti obtenue. Les candidats prfrent donc sen passer. En 2004, George Bush et John Kerry avaient intgralement financ leur campagne des primaires avec des fonds privs, nayant recours aux subventions publiques (75 millions de dollars chacun) que pour le scrutin prsidentiel. Mais celui-ci est infiniment moins coteux que les primaires. Cette anne, Hillary Clinton a prvenu quelle naurait pas recours aux fonds publics. Les autres candidats devraient limiter.

Quels sont les montants en jeu ?

Gigantesque. Aux Etats-Unis, largent est considr comme le gage de la libert dexpression. Cest mme reconnu par la Cour suprme. Imposer des limites ne viendrait donc lide de personne. Nous ne sommes pas en Europe ; quand on parle dargent et de politique ici, on ne pense pas immdiatement argent sale , explique, dans Le Monde, Philip Burns, professeur de sciences politiques luniversit de Yale.
Lors de la dernire lection prsidentielle en France, Sgolne Royal et Nicolas Sarkozy ont dpens chacun 20 millions deuros. En 2004, Georges Bush a consacr 367 millions de dollars sa campagne, et John Kerry son challenger malheureux 328 millions. Cette anne, on estime que les deux finalistes investiront au moins 500 millions dans la course la Maison Blanche. Certes, le pays est 17 fois plus grand que lhexagone, et on y compte six fois plus dlecteurs. Nanmoins, la diffrence des sommes en jeu prouve quel point largent est lune des cls de la victoire lectorale. En outre, chaque scrutin est plus cher que le prcdent. Selon le Centre pour une politique responsable (une association citoyenne de New York), llection prsidentielle de 1976 a cot 66,9 millions de dollars aux deux finalistes ; celle de 1988, 210,7 millions ; celle de 2000, 343,1 millions ; celle de 2004, 695 millions. On devrait dpasser le milliard de dollars cette anne. Rien voir avec llection de 1884 o lheureux lu
Grover Cleveland avait investi 100 000 dollars dans la course.

Comment expliquer des sommes si leves ?

Si les dons des particuliers sont plafonns, le budget dune campagne lectorale par contre est illimit aux Etats-Unis. Le pays est immense ; il faut faire campagne (presque) partout. Le double systme des primaires, puis de llection elle-mme, est inflationniste. Ainsi, pour les seules primaires de lIowa, les candidats la candidature ont dpens 40 millions de dollars. Evidemment, lenjeu est de taille et la bataille suppose davoir du souffle. Hillary Clinton a annonc sa candidature linvestiture du Parti dmocrate en fvrier 2007, soit 21 mois avant llection du 4 novembre 2008. Depuis lors, elle a d faire vivre sa candidature auprs des Amricains, mais aussi de la presse, des leaders dopinions et de son propre parti, avant la seule campagne des primaires. Comme le souligne Steve McMahon, un stratge du Parti dmocrate : Cest un cercle vicieux. Vos adversaires pouvant dpenser plus, vous devez dpenser plus. La capacit des candidats collecter des fonds constitue un atout majeur dans la politique amricaine.
Une campagne lectorale aux Etats-Unis est une gigantesque caravane qui parcourt des milliers de kilomtres et suppose demployer des attachs de presse et des gardes du corps, des monteurs de chapiteaux et des analystes politiques, des pilotes et des avocats, des trsoriers et des habilleuses En 2004, George Bush et John Kerry avaient chacun salari 50 000 personnes. Le premier poste de dpenses concerne les publicits tlvises ; des publicits trs nombreuses puisque diffrentes dun Etat lautre. John McCain, Barack Obama ou Hillary Clinton ne dlivrent pas le mme message ni ne donnent deux la mme image au Kentucky ou au New Jersey, en Californie ou au Montana. Pendant la finale du Super-Bowl, premier vnement tlvisuel aux Etats-Unis, Barack Obama a dpens 10 millions de dollars en publicit, en 90 minutes. Certains estiment quautant dargent dnature laspect dmocratique du scrutin, rebute les lecteurs et fait le jeu des lobbyistes (voir article ci-aprs).

Existe-t-il des diffrences entre rpublicains et dmocrates sur ce sujet ?

Non. Tous ont besoin dargent, tous recourent aux mmes mthodes de fund-raising, tous frappent aux mmes portes. Largent na pas dodeur politique. Selon le dcompte du Centre pour une politique responsable, Barack Obama a, la mi-mai, dpens 189 millions de dollars sur un trsor de guerre estim 240 millions ; Hillary Clinton a investi 163 millions sur les 194,8 dont elle dispose ; enfin, John McCain sest content dinvestir 70,2 millions de dollars sur 81,8 millions en caisse. Quelques points notables : Barack Obama dsormais assur de remporter linvestiture dmocrate est celui qui a collect le plus de soutiens financiers individuels (au moins 300 000 particuliers) et dans tous les milieux sociaux, ce qui laisserait penser quil est le plus populaire. A plusieurs reprises, Hillary Clinton a t dans le rouge ; chaque fois, elle a russi se refaire, mais elle a d puiser dans sa fortune personnelle. Or, il nest jamais bon de recourir ainsi ses propres deniers. Enfin et surtout, cest la premire fois que les dmocrates mobilisent plus de fonds que les rpublicains. Les primaires ont en effet rapidement dpartag John McCain, Mike Huckabee et Mitt Romney, tandis que la lutte a longtemps fait rage (et dure encore ?) entre Hillary Clinton et Barack Obama. En outre, les grandes entreprises ne rechignent plus financer les dmocrates, alors que traditionnellement elles accordaient leurs faveurs aux Rpublicains. Mme des secteurs rputs traditionnels la dfense et lindustrie pharmaceutique notamment ont distribu cette anne de larges subsides aux deux concurrents dmocrates. Enfin, en croire Scott Reed, qui fut directeur de campagne du candidat rpublicain Robert Dole en 1996 : Collecter plus de fonds prouve que les dmocrates ont le vent en poupe. Ce nest gure surprenant, ils ont remport les lections de mi-mandat au Congrs, et George Bush est us. Les grandes entreprises, les lobbyistes nhsitent pas parier sur eux. Les rpublicains vont devoir tre la hauteur ct finances pour faire le poids face Obama. Cest un sujet dinquitude, mais je ne pense pas que, sils perdent llection en novembre, ce soit par manque dargent. Ironie du sort : John McCain est lorigine de la rvision lgislative qui, depuis 2002, limite les dons aux partis politiques.

Prcisment. Largent assure-t-il le rsultat des lections ?

Non, quand mme pas. Le nom du prsident des Etats-Unis serait sinon connu avant mme le vote. Ce nest pas le cas. Les contre-exemples sont nombreux. En 1992 et en 1996, Bill Clinton a t lu la magistrature suprme alors quil tait moins fortun que son rival rpublicain. De mme, cette anne, John McCain a remport linvestiture rpublicaine alors quil disposait de beaucoup moins de moyens que Mitt Romney. Industriel richissime, ce dernier a consacr 53 millions de dollars aux primaires (diffusant notamment 8 000 spots tlviss) avant de jeter lponge faute dlecteurs ; dans le mme temps, John McCain avait dpens 28 millions, mais sduit les votants. Lexemple vaut aussi pour les dmocrates o Hillary Clinton disposait au dpart de beaucoup plus de ressources que Barack Obama. Comme lcrit avec ironie dans le quotidien Le Temps le journaliste amricain Matthew Stevenson : Aux Etats-Unis, le principe un homme un vote est inexact. Le principe un dollar un vote est plus juste, mais pas totalement vrifi non plus () Les hommes politiques amricains sont de pitres conomistes. Au 1er janvier 2008, les 18 candidats la candidature avaient dpens au total 587 millions de dollars pour se faire connatre. Seuls deux seront effectivement candidats, et un seul sera lu. A tous les autres, il ne restera que des souvenirs de ballons bleu, blanc, rouge, de pizzas froides, de discours dans des gymnases dserts, de supporters achets. Ce nest pas trs rentable comme comptition.
Plus srieusement, Philip Burns, professeur de sciences politiques Yale, rappelle que le dbat dides reste essentiel dans la course la Maison Blanche, a fortiori aujourdhui o les Rpublicains sont trs conservateurs, o la crise des subprimes interroge sur le sens de lconomie, o la guerre en Irak semble insoluble. Largent ne fait pas tout. Certes, il en faut un minimum ou plutt un maximum pour pouvoir exprimer ses ides .
Largent est donc un lment dterminant, mais pas suffisant, pour tre lu prsident des Etats-Unis. Il faut disposer de fonds trs importants pour exister auprs des lecteurs, pour donner une bonne image de soi. Cela suppose acheter en nombre des espaces publicitaires la tlvision, et pouvoir contrer les publicits hostiles des adversaires. Mais il faut aussi avoir des ides, dfendre un programme. La publicit ne fait pas tout. Les lecteurs lisent la presse, surfent sur Internet, coutent les propositions , insiste Scott Reed.
Certes, Alan Keyes, candidat inconnu mais bien rel, a peu de chances dtre lu. Mais est-ce uniquement parce que son budget de campagne nest que de 22 000 dollars ? De mme, Tom Vilsack, ancien gouverneur de lIowa, est le premier candidat linvestiture dmocrate avoir jet lponge. Cest largent et uniquement largent qui moblige renoncer. Mes ides reoivent sinon un bon accueil auprs des lecteurs , a-t-il dnonc, amer, en annonant son retrait. Sa collecte de fonds ne lui avait rapport que 1,3 million de dollars.
Comme le souligne lavocat Jan Witold Baran, galement chroniqueur politique sur ABC News : La collecte de fonds est un baromtre de la confiance quinspire un candidat. Les donateurs ne vont pas parier sur un looser. Cest une forme de test de popularit. Les particuliers comme les entreprises donnent ceux dont ils partagent les ides, qui leur semblent mme de dfendre leurs intrts et dtre crdible la tte des Etats-Unis. Collecter plus de fonds que son adversaire permet galement davoir un ascendant psychologique sur lui. Les moyens appellent les moyens ; cest un cercle vertueux. Au dbut de la campagne des primaires, Hillary Clinton disposait de plus de moyens que Barack Obama. Mais aprs le Super Tuesday, ce dernier a engrang 32 millions de dollars en quinze jours, contre seulement 14 millions pour lex-premire dame du pays. Ce jour-l, Barack Obama a gagn la primaire dmocrate , estime Jan Witold Baran.

Jean Piel

retour