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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

10/06/2008
Questions internationales (1)
La lente asphyxie de Gaza


(MFI) Le 15 juin 2007, le Mouvement de la rsistance islamique (Hamas) prenait par la force le contrle de la bande de Gaza. Le Fatah devait quitter le territoire pour se rfugier en Cisjordanie. Depuis, Isral impose un blocus Gaza, transformant ltroite bande de terre en une immense prison, interdisant toute activit conomique, condamnant les 1,5 million de Gazaouis survivre dans des conditions extrmement difficiles. Une punition collective dnonce par la communaut internationale, mais aucune solution nest en vue. Les Gazaouis sont pris en tau entre les abus du Hamas et lintransigeance dIsral.

Quel est aujourdhui ltat de lconomie gazaouie ?

Habituellement, les rues de Gaza sont un gigantesque capharnam o les embouteillages battent des records. Aujourdhui, elles sont vides. Seuls quelques taxis circulent, qui ont remplac lessence
dsormais introuvable par de lhuile de friture. Les nes ont refait leur apparition comme moyen de transport, et les marchs sont dserts, faute de fruits et lgumes vendre. Plus aucun matriau ciment, gravier, mtaux nentre dans la bande de Gaza depuis plusieurs mois, stoppant les chantiers de construction. Le premier mois, jai pay mes ouvriers ; le deuxime, je les ai mis en vacances ; le troisime, je les ai licencis. 3 000 logements taient en construction ; tout est arrt , se dsespre Rafiq Hassouna, lun des principaux entrepreneurs de Gaza, cit par Le Monde.
On est loin de leuphorie qui avait accompagn la restitution par Isral du territoire aux autorits palestiniennes en septembre 2005. A lpoque, certains rvaient de faire de Gaza un nouveau Singapour , en dveloppant la zone industrielle dErez, en faisant fructifier les serres abandonnes par les colons, en ouvrant des htels sur la Mditerrane. Aujourdhui, force est de dchanter. Lorsque le Mouvement de la rsistance islamique (Hamas) remporte dmocratiquement les lections lgislatives en janvier 2006, la communaut internationale adopte des sanctions financires. Isral surtout rduit les livraisons de fioul, freine lentre des denres alimentaires, multiplie les contrles aux points de passage. Ce blocus est renforc lorsque, le 15 juin 2007, le Hamas met un terme au gouvernement dunion nationale quil formait avec le Fatah et sempare du pouvoir par la force. Il devient total quand, le
19 septembre dernier, Isral dcrte la bande de Gaza entit hostile , aprs des tirs de roquettes contre son territoire. Depuis, les fournitures en provenance de lEtat hbreu sont rduites au minimum. Le terminal de Karni par lequel transitent les importations et exportations palestiniennes est ferm.
Le blocus isralien paralyse lconomie. Il transforme Gaza en un ghetto au bord de lasphyxie. Seuls quelques convois de vivres et de mdicaments passent car Isral ne veut pas tre accus de crer une famine. Mais les carburants et les matriaux industriels ne rentrent plus, et les firmes palestiniennes ne peuvent plus exporter leur production. Isral interdit de facto le dveloppement de Gaza , dnonce Mazen Shaqoura, le reprsentant de lAgence suisse pour le dveloppement et la coopration. Les chiffres de la Banque mondiale sont loquents : sur 4 000 entreprises, seuls 195 fonctionnent encore ; 85 % de lactivit industrielle est stoppe ; 80 000 des 110 000 employs du secteur priv ont t licencis. Lagriculture, qui rapportait deux millions de dollars par mois, est moribonde, et les pcheurs restent au port, faute de fioul. Il nentre dsormais que 15 camions par jour dans Gaza, contre 400 avant la prise du pouvoir par le Hamas. Il faudrait 3,2 millions de litres de gazole par semaine pour faire tourner la centrale lectrique ; Tel-Aviv nen fournit que 900 000 litres. Isral prpare un dsastre humain et conomique dans la bande de Gaza. La rgion est au bord de la ruine, la colre grandit. Une telle politique est une insulte la dignit des Palestiniens , sinsurge John Ging, le directeur de lUNRWA, lagence des Nations unies daide aux rfugis palestiniens.

Quelles sont les consquences pour la population ?

La situation dans la bande de Gaza est la pire depuis le dbut de loccupation isralienne en 1967. Si le blocus ne cesse pas, il sera impossible dviter une catastrophe et les espoirs de paix dans la rgion seront anantis , avertit Geoffrey Dennis, le reprsentant de Care International.
Les responsables des agences onusiennes et des associations humanitaires font tous le mme constat : la pauvret saggrave, les soins aux malades deviennent alatoires, le dsespoir grandit de jour en jour. L encore, les chiffres sont parlants : 70 % des adultes sont au chmage ; sur 1,5 million dhabitants, 1,1 million dpend de laide alimentaire de lOnu ; 80 % des Gazaouis vivent sous le seuil de pauvret, contre 53 % en 2005. Nous navons plus de mdicaments. Nous devons renvoyer des malades pour naccueillir que les cas les plus graves. Le petit matriel seringues, compresses, fil de suture nest plus disponible car les caisses sont bloques sur le port isralien dAshdod. Les hpitaux israliens nacceptent plus nos malades, alors ils meurent chez nous. Les coupures de courant constituent une menace pour les malades sous assistance respiratoire et les bbs en couveuse , se lamente le Dr Fayez Al-Hinawi, de lhpital de Jabaliya.
Les prix se sont envols : celui de la farine a tripl, ceux de lessence et des lgumes ont quintupl. On croise de plus en plus de mendiants. On ne clbre plus de mariages. Les familles survivent peine. Tout ici pue le dsespoir , tmoigne Abou Ramdan, un pre de famille de 39 ans, dans le quotidien algrien El Watan. A en croire lUNRWA, de janvier 2007 avril 2008, la fourniture de gazole par Isral est pass de 6,6 millions de litres 1,3 million ; celle dessence de 1,5 million 134000 litres. Rsultat : les habitants ne disposent deau et dlectricit que quatre heures par jour. Mme lagence humanitaire de lOnu a d rduire son aide alimentaire. Dans tous les domaines, la vie des Gazaouis est devenue une lutte. Nombre dcoles sont fermes car ni les professeurs ni les lves ne peuvent se dplacer. Isral retient mme les cahiers scolaires, au prtexte que les feuilles pourraient servir imprimer des tracts du Hamas , semporte John Ging.

Comment ragissent les Gazaouis ?

Au-del du prix du pain et des pnuries de mdicaments, la vie quotidienne devient oppressante dans ce petit territoire de 362 km, dans lequel sentassent 1,5 million dhabitants (dont 65 % ont moins de 20 ans), dsormais hermtiquement clos. Cest ce que raconte sur son blog Heba Zayyan, une tudiante de Nousseirat : Je vis dans une prison ciel ouvert. Quelle que soit la direction vers laquelle je me tourne, je nai nulle part o aller. Jai limpression dtouffer, comme si jtais prisonnire dune le qui se referme sur moi. Mon sentiment dimpuissance est tel quil marrive de me mordre les poings pour ne pas hurler de dsespoir. Les mdecins notent un nombre croissant de syndromes dpressifs. Le Womens Affairs Center de Gaza constate une hausse des violences domestiques.
Le 23 janvier, le mur qui spare la bande de Gaza de lEgypte a t dynamit. Des milliers de Palestiniens se sont alors jets sur les routes. Comme par magie, la vie est revenue Gaza. DEgypte, les gens ont ramen des cigarettes, de lessence, des fruits, des cbles lectriques, des ordinateurs, des moutons, des sacs dengrais, du lait en poudre, des mdicaments, des pneus, de leau en bouteille Un va-et-vient incessant. En une journe, les marchs ont rouvert et les prix ont chut. Mais le plus important tait le souffle qua permis cette ouverture. Je nai rien achet, mais jai dambul dans la ville gyptienne dAl-Arich. Jai regard les gens samuser, je me suis assis la terrasse dun caf pour fumer un narghil. Jai respir, un sourire aux lvres, un air de libert que je savais phmre , raconte, dans Le Monde, Nabil, un jeune Palestinien de Khan Youns. Au bout de 12 jours, les autorits gyptiennes ont sonn la fin de la rcration, et reconstruit le mur qui spare Gaza de leur pays. Le Caire na aucunement lintention de prendre en charge la bande de Gaza la place dIsral, puissance occupante.
Comme lexplique Khalil Abou Shammala, de lassociation de dfense des droits des lhomme Al-Dameer : Le conflit entre Isral et le Hamas est une chose ; opprimer la population gazaouie en est une autre, inacceptable. Tel-Aviv veut atteindre un objectif politique le renversement du Hamas en exerant une pression conomique et morale sur 1,5 million dhommes, de femmes et denfants. Il sagit dune punition collective qui viole le droit international et contredit les intrts mmes dIsral puisque cela encourage lextrmisme. Cest un crime, et la communaut internationale reste sans ragir. Les Gazaouis nont pas subir de punition collective en raison de lopinion du monde sur leurs dirigeants.

Comment les autorits israliennes justifient-elles leur politique ?

Nous ne faisons que rpondre aux tirs de roquettes contre notre territoire. En aucun cas, il ne sagit de sanctions , dclare Miri Eisin, la porte-parole du Premier ministre isralien, Ehoud Olmert. En effet, depuis la restitution de la bande de Gaza en septembre 2005, prs de 4 000 roquettes ont t tires contre Isral. Des roquettes Kassam, rustiques mais efficaces, qui cotent moins de 200 dollars lunit. Face cette menace, lEtat hbreu est dsarm, sauf mettre en service des moyens anti-ariens extrmement coteux. Cest pourquoi il a dabord dclar la bande de Gaza entit hostile le
19 septembre 2007, avant daccentuer son blocus le 11 janvier dernier. Mais larme conomique nest pas la seule. En mars, larme isralienne a men contre le territoire palestinien une vaste offensive baptise Hiver chaud . Une offensive qui a fait 120 morts ct palestinien, dont 34 femmes et enfants. LOnu et lUnion europenne ont condamn cet usage disproportionn de la force contre la population civile . Mais Ehoud Olmert a insist : Personne na le droit de critiquer Isral pour exercer son droit lautodfense. Le Hamas doit sattendre subir de nouveaux assauts de grande ampleur . De son ct, celui-ci a rpliqu en multipliant, depuis avril, les attaques contre Tsahal. Certains accusent dailleurs le Hamas de poursuivre son agenda anti-isralien sans tenir compte des consquences sur la population dont il a dsormais la charge, dtre incapable de passer dun mouvement militant un mouvement gestionnaire.
Au-del des tirs de roquettes, les autorits israliennes veulent empcher le Mouvement de la rsistance islamique de diriger Gaza. Le Hamas reste leurs yeux une organisation terroriste, finance par lIran, partisan de la destruction de lEtat hbreu. Ds la victoire du Hamas aux lections lgislatives de janvier 2006, Tel-Aviv a multipli les initiatives pour entraver son action. Comme le souligne Ibrahim Ibrach, professeur de sciences politiques luniversit Al-Azhar : Isral est pris son propre pige. Pendant des annes, il a laiss le Hamas dvelopper ses activits caritatives et religieuses Gaza, afin de crer une concurrence au Fatah de Yasser Arafat, alors vu comme lennemi abattre. Du coup, le Hamas a prospr et remport les lections palestiniennes. Certes, il est insupportable pour Isral davoir comme voisin un mouvement qui a jur sa perte et organis des attentats contre lui.
Pour John Ging, le directeur de lUNRWA : Isral joue un jeu dangereux. En asphyxiant la bande de Gaza, en humiliant ses habitants, il favorise lmergence de groupes encore plus radicaux que le Hamas. Cest une terrible menace pour la paix dans la rgion . Lenlvement dAlan Johnson, journaliste la BBC, a dj dmontr que le Hamas ne contrle plus ses lments les plus extrmistes.

Comment alors rsoudre la situation dans la bande de Gaza ?

Aucune solution nest en vue dans limmdiat. Lidal serait la paix au Proche-Orient, mais elle reste une chimre (voir article ci-aprs). Comme lcrit, dans Time Magazine, William Quandt, lancien conseiller de Jimmy Carter pour le Proche-Orient : Les dirigeants du Hamas vont devoir apprendre lart du compromis. A sa cration, lOLP aussi refusait de reconnatre Isral et approuvait le terrorisme, et puis elle a accept de sasseoir la table des ngociations. On peut imaginer une volution comparable pour le Hamas. Les dirigeants israliens vont devoir admettre quils ont face eux un interlocuteur incontournable. Mais pour linstant, Tel-Aviv refuse tout dialogue avec le Hamas.
La crise humanitaire Gaza pourrait acclrer la rconciliation entre les deux organisations palestiniennes. Pour la premire fois depuis son dpart forc de Gaza le 15 juin 2007, le Fatah install en Cisjordanie a renou le dialogue avec le Hamas, par lentremise du Ymen. Sans rsultat pour linstant, mais cest un dbut. Le prsident de lAutorit palestinienne, Mahmoud Abbas, se trouve face un choix cornlien : tenter de runifier les territoires palestiniens ou poursuivre avec Isral un processus de paix qui navance pas. La premire option semble logique. En outre, le blocus de la bande de Gaza handicape aussi les entreprises palestiniennes de Cisjordanie. Cest ce quexplique, dans Libration, Samir Barghouti, le directeur du Centre pour le dveloppement agricole, Ramallah : Certains secteurs de lconomie de Cisjordanie, comme les mdicaments ou lagroalimentaire, sont dpendants du march gazaoui. Celui-ci reprsente 40 % des dbouchs des entreprises de Cisjordanie. Si le bouclage de Gaza perdure, de nombreuses entreprises vont devoir licencier du personnel . Et dajouter : Les sanctions israliennes contre le Hamas nont pas seulement pour but daffaiblir le mouvement, mais galement de sparer de facto la Cisjordanie et Gaza. Isral essaie de couper les deux rgions palestiniennes tous les niveaux : politique, conomique, institutionnel. Cest le fameux Diviser pour mieux rgner . Le but est toujours le mme : empcher la cration dun Etat palestinien.
La communaut internationale se trouve, elle, en porte--faux. Elle juge la situation Gaza intolrable, mais comment aider Gaza sans aider le Hamas, plac sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et lUnion europenne ? Elle se contente donc de condamnations formelles dIsral.
Prsident de lassociation de dfense des droits des lhomme Al-Dameer, Khalil Abou Shammala est fatigu de ces calculs : Les Gazaouis sont victimes de jeux politiques qui les dpassent. Ils ont perdu tout espoir. Ils sont pris en tau. Dun ct, les islamistes du Hamas qui contrlent toutes les institutions et abusent de leur pouvoir, allant jusqu fermer les vido-shops et obliger les hommes porter la barbe. De lautre, Isral qui affame le territoire, lui interdit de se dvelopper, le cadenasse comme une prison, et finalement contrle davantage la bande de Gaza quavant sa restitution en septembre 2005 .

Jean Piel

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