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01/07/2008
Questions internationales (2)
Les souffrances des premiers habitants du Qubec


(MFI) Inuits et Amrindiens reprsentent 2,2 % de la population qubcoise. Aujourdhui leur langue, leur culture, leur rapport lenvironnement sont reconnus. Mais ces peuples ont longtemps t opprims, victimes dune assimilation force. Le gouvernement sest excus pour les crimes passs. Mais lacculturation des communauts autochtones a des consquences sociales dramatiques.

Mon peuple, les Inuits, a dbarqu sur cette terre du Nunavik il y a 1 500 ans, avec leurs qayait (kayaks) et leurs umiat (embarcation de peau). Avant de stablir ici, mes anctres avaient fait un long voyage, travers tout un continent, quittant le territoire de lAlaska () Ils ont fait halte Tujjaat, aussi appele lle de Nottingham, avant daffronter les forts courants du dtroit dHudson () Puis ils sont parvenus, au sud, cette terre quils baptiseront Nunavik, la grande terre. Ainsi Lisa Koperqualuk, anthropologue inuite, raconte-t-elle, dans le magazine Go, lhistoire de ses lointains anctres.
Dix tribus amrindiennes vivent au Qubec, reprsentant environ 2,2 % de la population, soit 192 000 personnes. En tenant compte du mtissage, elles sont plus nombreuses. Ces tribus se divisent en deux grandes familles, les Algonquins et les Iroquois. Les premiers chez qui on retrouve les Naskapis, les Montagnais, les Cris taient des chasseurs nomades, ne se dplaant quen petits groupes. Au contraire, les seconds qui comptent les Hurons, les Mohawks formaient des peuples sdentaires, pratiquant lagriculture. Insensibles au vertige, les Mohawks sont connus pour tre employs dans la construction de gratte-ciel. Les Inuits constituent galement une population autochtone du Qubec, mais ne sont pas des Amrindiens.
A ces premiers habitants de la rgion sont associes des images de grands espaces, de chasses aux caribous et aux phoques, de toundras et de tagas, digloos, de temprature glaciale, dours blancs, de vie communautaire Lisa Koperqualuk se souvient de son grand-pre chasseur de baleines et des battues aux caribous. Ce dernier est un animal nourricier respect car il sert tout : manger grce sa chair tendre, fabriquer des outils avec son panache, coudre des vtements, des bottes et des tambours avec sa peau et sa fourrure, conserver les autres aliments grce lhuile extraite de son piderme. Les territoires ancestraux des populations autochtones sont immenses. Le seul Nunavik (500 000 km) couvre le tiers du Qubec, soit presque la superficie de la France.

Pour sauver lhomme, tuer lIndien

Mais lhistoire des autochtones du Qubec et du Canada est aussi une histoire de souffrance. Leurs territoires leur ont t confisqus, parfois de gr souvent de force, sous la domination britannique, la fin du XVIIIe sicle. Comme le raconte dans Le Monde Aggaluk Lynge, le prsident dune ONG de dfense de la culture amrindienne : Nous sommes devenus Canadiens sans le savoir, suite un accord sur lexploitation du sol entre une compagnie minire et le gouvernorat britannique. Puis en 1912, un autre accord a fait de nous des Qubcois, toujours sans que nous soyons associs aux discussions ni mme informs. Les populations autochtones ont aussi le malheur dhabiter des rgions riches en minerais, en hydrocarbures, en forts. Lindustrialisation va se faire marche force. On construit des routes, des centrales lectriques, des usines, des villes en prfabriqu pour les ouvriers... Tout cela au dtriment de lenvironnement, des modes de vie et traditions des habitants, de leurs terrains de chasse. Ni les Mohawks, ni les Inuits, ni les Iroquois ne profitent de ces transformations, ne parlant ni franais ni anglais, nayant aucune qualification technique. A ces transformations physiques sajoute, partir des annes 1920, un phnomne dacculturation. Les missionnaires chrtiens viennent dans ces contres sauvages prcher la bonne parole . Comme le raconte Lisa Koperqualuk : La croyance dans les esprits est devenue malfique. Les chamans ont t dmoniss et il tait dit que le feu de lenfer brlerait sur ceux qui ne rejoindraient pas le christianisme... Ces tentatives dassimilation force ont galement pris la forme des pensionnats indiens o, de 1920 1975, plus de 150 000 enfants inuits, amrindiens et mtis ont t coups de leur famille, privs de leur langue et de leur culture, souvent victimes de svices. Dans un documentaire de la chane CBC, Jamie, un Algonquin dune quarantaine dannes, scolaris chez les Oblats ds lge de 5 ans, raconte en larmes : A larrive lcole, on ma lav leau de javel et ras la tte ; jai vu mes tresses tomber. A chaque fois que je mexprimais en algonquin, le prtre me frappait. Le mme violait mon voisin de dortoir, g de six ans. On nous apprenait des mtiers rservs aux citoyens de troisime classe. A 16 ans, jtais en rage contre les Blancs. Pour la majorit des autochtones, les consquences de ces preuves sont irrparables. Pour sauver lhomme, il fallait tuer lIndien, nous disaient les prtres.

Une culture fragilise

Aujourdhui, nombre dAmrindiens dpendent des aides gouvernementales pour survivre, do une sdentarisation accrue, une moindre autonomie, une perte didentit. A lheure dInternet, des jeux vido, des chanes satellitaires et du Coca, les adultes ont du mal transmettre leurs enfants leur Histoire, leur culture, leur langue. Do de terribles frustrations. Dans les villages autochtones, lalcoolisme fait des ravages ; les violences domestiques aussi. Le chmage est trois fois plus lev que dans le reste du Canada, les suicides six fois plus nombreux. Entre 1989 et 2004, lesprance de vie y a recul de quatre ans.
Les choses voluent cependant. Le regard port sur les Amrindiens nest plus empreint de la condescendance envers le bon sauvage . Chacun reconnat que la dfense de leurs terres, de leurs droits, de leur culture est essentielle. Lenvironnement devenant une proccupation majeure au Qubec, les Amrindiens et les Inuits reprsentent un modle. Ces derniers disposent dsormais de leur propre chane de tlvision, et chaque anne, plusieurs festivals des cultures autochtones attirent de nombreux participants. Nous sommes passs dune poque o nous navions pas le droit de parler nos langues une autre o nous pouvons les enseigner. Reste savoir sil nest pas dj trop tard tant lacculturation de la jeunesse urbaine est abyssale. Peut-on encore concilier une modernit indispensable et la connaissance des traditions ? , sinquite Alexis Wawanoloath, un dput Mohawk.

Le pardon des autorits canadiennes

Les onze tribus autochtones du Qubec sont reconnues comme des nations, disposant de leurs propres parlements et conseils excutifs. Leur pouvoir est certes limit, mais ils doivent tre consults pour tout projet envisag sur leurs territoires. Ainsi, dans la course actuelle vers les richesses potentielles de lArctique, les Inuits font entendre leur voix. Nous nacceptons plus lisolement pass, lpoque o nous navions pas voix au chapitre, o nous tions considrs comme le bon sauvage loyal. Les populations autochtones ont pay cher le prix de la souverainet des Etats qui nous ont vol nos terres , rappelle Aggaluk Lynge. Certaines communauts refusent de nous rencontrer tant que nous ne leur garantissons pas un niveau de revenu ou dactivit. Il peut sagir dun partage des profits, dun certain pourcentage de postes ou de la formation de jeunes , confirme un reprsentant de Total Canada.
De son ct, le gouvernement canadien a demand pardon, le 11 juin 2008, aux milliers dautochtones enrls de force dans les pensionnats indiens , linstar de ce que les autorits australiennes ont fait vis--vis des Aborignes. Le traitement des enfants dans ces pensionnats est un triste chapitre de notre histoire. Nous reconnaissons que cette politique dassimilation tait mauvaise, quelle a fait beaucoup de mal et na pas place dans notre pays , a dclar Stephen Harper, le Premier ministre canadien. Un processus dindemnisation est prvu et une commission Vrit et Rconciliation a t mise en place. Une initiative apprcie par les intresss. Il sagit dune avance historique. Cest par la reconnaissance de lHistoire que commence la gurison. Notre survie en tant que premires nations sur cette terre est maintenant assure. Nous sommes et avons toujours t une partie indispensable de lidentit canadienne et qubcoise , a soulign un leader indien qui portait sa coiffe de plumes. Dans limmdiat, les difficults sociales et conomiques restent vives dans les communauts autochtones, et lalcoolisme un flau.

Jean Piel

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