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15/07/2008
Questions internationales (2)
La finance islamique en pleine croissance


(MFI) Ni intrt ni spculation : prs de 800 milliards de dollars dans le monde sont grs selon la loi islamique. Un march en hausse de 15 % par an. Ce sont surtout des banques du Moyen-Orient qui proposent ces produits financiers charia compatibles. Mais les banques europennes sy intressent aussi. Certains dnoncent des mcanismes qui, derrire une vertu apparente, sont en fait moins transparents.

Le sujet nest plus tabou. A Paris, plusieurs banques proposent des produits financiers compatibles avec les prceptes de lislam. Un symposium sur la finance islamique a mme t organis en dcembre dernier dans la capitale franaise, et le Snat a rcemment rdig un rapport encourageant dvelopper ce secteur davenir .

Des investissements socialement responsables

Loin du blanchiment dargent occulte ou de laide des rseaux terroristes auxquels certains esprits chagrins veulent la rduire, la finance islamique consiste simplement mener des activits dargent en accord avec les rgles du Coran. Le livre Saint crit en effet que Dieu a rendu licite le commerce et illicite lintrt . Les oprations doivent donc respecter cinq principes : linterdiction de percevoir des intrts (rib, en arabe) ; le devoir de partager les profits et les pertes ; linterdiction de lincertitude, donc de la spculation (gharar) ; lobligation de porter sur un bien rel, et pas seulement sur de largent (le crdit qui est un prt dargent est interdit) ; linterdiction dinvestir dans certains secteurs, comme larmement, le tabac, lalcool, les jeux de hasard Lide sous-jacente est celle dune responsabilit sociale des investissements. Cest pourquoi toute opration entranant un endettement excessif est galement prohibe , explique Abdel Maoula Chaar, professeur lEcole suprieure des affaires de Beyrouth, cit par le quotidien Libration.
Un certain nombre doutils financiers permettent de mener de confortables affaires tout en respectant officiellement les prceptes coraniques. Ainsi, la moudaraba permet un investisseur de financer le projet dun entrepreneur ; le bnfice sera partag entre les deux partenaires sur une base fixe lavance. Les ventuelles pertes seront assumes par le seul bailleur de fonds, lentrepreneur perdant, lui, le fruit de son travail. Il ny a ainsi ni taux dintrt ni spculation. De mme, pour remplacer le crdit immobilier, la mourabaha prvoit quune personne achte un bien pour un autre, lui revend avec un prix major en rcompense de son intervention, puis se fait rembourser de faon chelonne. Le sukuk enfin est lquivalent islamique dune obligation o lintrt est remplac par un profit prvu lavance. Le march des sukuk augmente de plus de 30 % , constate Abdel Maoula Chaar.

Une moralit discute

Toute banque islamique est conseille par un Sharia Supervisory Board, une sorte de comit des sages qui certifie que les oprations de la banque sont conformes au Coran. On compte moins de trente de ces sages dans le monde. Linterprtation de la charia volue avec le temps ; il est donc difficile de savoir si un produit financier est licite ou non. Cette interprtation varie aussi dun pays lautre, selon les courants de la pense islamiste. Elle est moins conservatrice en Afrique du Nord et en Asie, notamment en Malaisie. Elle est par contre trs stricte dans les monarchies du Golfe. En Egypte, la prestigieuse universit Al-Azhar avait dict une fatwa affirmant que lintrt tait conforme au Coran, avant de se rtracter devant les protestations , explique, dans Le Monde, Anouar Hassoune, analyste des fonds islamiques pour le cabinet Moodys.
La finance islamique se prvaut dune moralit suprieure aux jeux boursiers et spculatifs habituels. Une ide que conteste Mohamed Ammad, un Tunisien auteur dune thse universitaire sur le sujet, et cit par Libration : La finance islamique condamne les investissements dans le secteur de larmement ; cela nempche pas des pays musulmans de dtenir des arsenaux colossaux. Il rgne une certaine hypocrisie dans ce domaine. Derrire un paravent de vertu, la finance islamique permet de raliser globalement les mmes oprations financires que les circuits classiques. Les mcanismes juridico-financiers quelle impose sont seulement plus compliqus et souvent moins transparents.

Grce la hausse du brut

Reste que cette finance islamique connat un dveloppement de plus de 15 % par an depuis 2002. Ses encours reprsentent aujourdhui 800 milliards de dollars ; ils devraient atteindre 1100 milliards en 2010 selon la banque Morgan Stanley. Plusieurs causes cela : lenrichissement vertigineux des monarchies ptrolires du Golfe grce la hausse des cours du brut ; les rapatriements massifs de fonds depuis les Etats-Unis vers le Moyen-Orient aprs les attentats du 11-septembre ; la monte du sentiment religieux dans la plupart des pays musulmans. En 2006, lEcole suprieure des affaires de Beyrouth a cr le premier diplme de finance islamique.
Les plus importantes banques islamiques se trouvent en Iran, au Brune, en Arabie Saoudite, en Malaisie et au Kowet. Mais lEurope commence sintresser ce march, particulirement la Grande-Bretagne o, depuis 2004, sont installes trois banques exclusivement islamiques : lIslamic Bank of Britain, lEuropean Islamic Investment Bank et la Bank of London and Middle-East. Comme lexplique Anouar Hassoune : Le dveloppement est net depuis que lagence de notation Standard & Poors a cr un indice des titres boursiers conformes lislam, tout comme en France il existe le CAC 40 ; cest le S & P 500 Sharia. La force de Londres, cest la City. En outre, la plupart des grandes fortunes du Golfe vivent une partie de lanne au Royaume Uni.

Lacit contre business

Les autres pays europens ne sont pas en reste. Le Crdit suisse a cr le fond Al-Buraq, constitu uniquement dactions juges conformes la loi islamique, qui a dj rcolt 45 millions de dollars. En Allemagne, les banques ont mis pour environ 100 millions deuros de sukuk. Ct franais, les principales banques proposent toutes des produits financiers charia compatibles, mais destins aux institutions et commercialiss surtout en Asie et au Moyen-Orient. Le march des particulier dans lHexagone commence tout juste tre prospect. La demande nest pas encore forte, mais elle devrait se dvelopper. La tradition de lacit en France constitue un obstacle. En outre, la plupart des musulmans ici sont originaires du Maghreb, donc gnralement moins intresss par ce genre de produits financiers , explique un cadre de la Socit Gnrale dans Le Monde. BNP Paribas a cependant cr le premier fonds commun de placement islamique, dont 10 % des revenus sont reverss lInstitut du monde arabe, afin de purifier la partie du dividende considr comme excessive par la charia. Il ny a cependant aucune banque exclusivement islamique en France. Lors du symposium sur la finance islamique organis Paris en dcembre 2007, lAutorit des marchs financiers a rappel que, pour elle, un produit financier ne saurait avoir de religion ou de race. Pour tre autoris, un tel produit doit seulement respecter la lgislation franaise en terme de transparence, de gestion et de choix des titres .

Jean Piel

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