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15/07/2008 | |||
Questions internationales (1) Des monarchies ptrolires toujours plus riches | |||
(MFI) Depuis 2002, le prix du baril du ptrole a t multipli par six, et la hausse devrait se poursuivre. Ce troisime choc ptrolier inquite les pays industriels qui prdisent une rcession mondiale. Cest par contre une aubaine pour les pays producteurs, en particulier pour les monarchies du Golfe qui nont jamais t aussi riches. En 2007, leurs revenus ptroliers ont dpass les 400 milliards de dollars. A la diffrence des annes passes, cette manne est judicieusement utilise pour favoriser le dveloppement de la rgion. Mais linstabilit politique au Moyen-Orient freine les ambitions. | |||
Les monarchies du Golfe voient-elles vraiment leurs revenus battre des records aujourdhui ? Les Etats-Unis et lEurope cherchent rduire leur dpendance nergtique. Certains redoutent un ralentissement de lactivit conomique, conjugu une inflation toujours plus forte lchelle mondiale. Le gant de lautomobile, General Motors, sinterroge mme sur son avenir. Dans le mme temps, les monarchies ptrolires du Golfe voient leurs revenus senvoler. Quon en juge : en 2007, les six pays du Conseil de coopration du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar, Bahren, Emirats arabes unis, Oman, Kowet) ont gagn 407 milliards de dollars de leurs ventes dhydrocarbure, pour un PIB de 800 milliards. Selon le cabinet McKinsey, leurs revenus devraient atteindre 1100 milliards en 2009. Jamais lor noir na aussi bien port son surnom. Le baril qui cotait 25 dollars en 2002 dpasse aujourdhui les 140 dollars. Rien quen 2007, il a augment de 57,2 %. Et cette spirale inflationniste nest pas prte de sarrter. Les spcialistes parient sur un baril 200 dollars au plus tt dans six mois, au plus tard dans 18 mois. Quelles que soient les inquitudes des pays industriels, la demande reste forte. Selon la banque daffaires Goldman Sachs, lorsque le ptrole augmente de 35 %, la consommation diminue d peine 3 %. Les transports, il est vrai, fonctionnent 97 % grce aux drivs du brut. Les six monarchies du CCG dtiennent 40 % des rserves mondiales de ptrole. Jamais elles nont gagn autant dargent. Leurs avoirs financiers sont estims 1 800 milliards de dollars. Une manne colossale. Comment les pays du Golfe grent-ils cette fortune ? Pas question de rpter les erreurs des annes soixante-dix, lorsque les revenus tirs du premier choc ptrolier avaient t synonymes de gaspillage, de corruption et de laxisme budgtaire. La maldiction de lor noir appartient au pass. Dsormais, les monarchies du Golfe grent leur fortune avec un mlange daudace et de prudence , assure Nicolas Sarkis, de la revue Ptrole et gaz arabes. Depuis 2001, le Qatar, le Kowet ou lArabie Saoudite connaissent des taux de croissance suprieurs 7 %. Cette tendance devrait se poursuivre encore plusieurs annes. Premire arme de dveloppement : des investissements massifs en Europe et aux Etats-Unis, par le biais de ce quon appelle les fonds souverains, savoir un fond de placements (en action ou en obligation) dtenu par un Etat. La quarantaine de fonds souverains dans le monde gre environ 3000 milliards de dollars ; probablement 5000 milliards dici 2012, selon la banque Morgan Stanley. Or les deux-tiers de ce montant viennent des revenus du ptrole. Ainsi, lAbu Dhabi Investment Authority dtient 943 milliards de dollars ; le Reserve Fund for Future Generation (Kowet) est la tte de 300 milliards, et le Qatar Investment Authority de 90 milliards. En 2007, le fond souverain de Duba a acquis 19,9% du Nasdaq, la Bourse lectronique de New York. Cette mme anne, lAbu Dhabi Investment Authority investissait 7,9 milliards dans Citygroup, la premire banque amricaine, la sauvant dune possible faillite due la crise des subprimes, tandis que les fonds dinvestissement du Qatar et de Duba tout en tant concurrents prenaient le contrle de 48 % du capital de la Bourse de Londres. En 2007, les retours sur investissements des six monarchies du Golfe ont avoisin les 100 milliards de dollars, soit lquivalent des revenus ptroliers avant lenvole des cours du brut en 2002. Les banques occidentales ne sy trompent pas, qui proposent de plus en plus de produits financiers charia compatibles (voir article ci-aprs). Comme lexplique, dans The Economist, Hajjaj Bukhdour, un analyste financier koweitien : La hausse des cours du ptrole a permis aux pays du CCG datteindre un poids significatif dans lconomie mondiale. Ctait leur objectif. Les leons du pass ont t retenues ; largent nest plus gaspill, mais investi de faon professionnelle. Les monarchies du Golfe pensent lavenir et veulent faire de leurs investissements une source prenne de revenus en prvision des annes o les prix du brut baisseront, o les rserves se tariront. Fini le temps des dpts faibles risques auprs des banques occidentales ; voici venu le temps dune stratgie offensive dacquisition. Nous ne sommes plus les dociles clients de lOccident. Les chiffres en effet donnent le tournis. Ils inquitent aussi Marc Touati, le directeur gnral de Global Equities, cit par Le Nouvel Observateur : La crise des subprimes et la faiblesse du dollar font plonger les Bourses. Au mme moment, les pays ptroliers disposent de liquidits colossales. Dici deux ou trois ans, nous allons dcouvrir que les plus grandes entreprises occidentales sont entre les mains des fonds dArabie Saoudite, du Qatar ou du Kowet. Les monarchies ptrolires investissent-elles aussi domicile ? Oui, et cest lun des grands changements par rapport au premier choc ptrolier des annes soixante-dix. Les pays du CCG ne se contentent plus de planter des lampadaires dans le dsert, pour reprendre un clich un temps en vogue. Immobilier, tourisme, transport, infrastructure, ils investissent tous azimuts. Nous voulons sortir de lconomie de rente lie au ptrole pour construire notre dveloppement long terme , insiste Hajjaj Bukhdour. Ainsi, lArabie Saoudite est-elle en train de btir six villes mme dattirer les industries les plus diverses et leurs employs. Cot de lopration : 400 milliards de dollars. De son ct, le Qatar fait le pari du savoir. A proximit de Doha, un campus gant de 14 000 hectares la Cit de lducation est en train de sortir du sable. Six universits amricaines et britanniques y sont dj installes. La premire promotion accueille 2 500 tudiants, dont 60 % de filles, et lors de la crmonie de remise des diplmes, les toges et toques de la tradition universitaire amricaine se mlaient aux hidjabs et djellabas des officiels qataris. Outre la Cit de lducation, le Qatar Science & Technology Park entend accueillir des start-up dans les domaines de lnergie, des nano-carbones, de la gnomique et de lenvironnement. A la cl : des subventions de 100 000 500 000 dollars pour les jeunes crateurs. Le site abrite aussi les laboratoires de recherche de grandes entreprises. ExxonMobil, Total, General Electric, Microsoft, EADS sont prsents. Nous devons convertir nos ptrodollars en capital humain, et rduire notre dpendance lgard du ptrole et du gaz. Lobjectif est de crer des emplois localement, mais aussi dattirer des immigrs qualifis. Nous devons inverser la fuite des cerveaux. Pour cela, nous offrons les meilleures conditions de travail et un excellent cadre de vie , explique, dans Le Monde, Ibrahim Al-Ibrahim, le secrtaire gnral du Bureau du dveloppement du Qatar. Est-il possible dattirer ainsi les meilleurs chercheurs en plein dsert, mme si laboratoires et villas disposent de lair conditionn ? Rponse dIbrahim Al-Ibrahim : Certainement. Rome, Athnes, Le Caire, New-Delhi, Moscou, se trouvent quatre heures de vol de Doha. Luniversit de Stanford aussi a t cre, en 1891, dans une rgion dsertique : la Californie. Paralllement, Duba, mais aussi Bahren, le Kowet et le Qatar misent sur le tourisme : 900 htels et trois aroports internationaux sont en cours de construction. La compagnie Emirates a command 243 nouveaux avions, et Duba prvoit la construction de onze parcs de loisirs thmes. Partout, des gratte-ciel toujours plus hauts et plus modernes sortent de terre, entours de golfs et de piscines. Duba espre ainsi passer de 7 millions de touristes accueillis en 2007 15 millions en 2015. Selon la banque Morgan Stanley, 3200 milliards de dollars devraient tre investis dans les pays du Golfe dici 2020. La stratgie des pays du Golfe est donc triple : tre massivement prsents sur les marchs financiers occidentaux, investir tous azimuts domicile et, videmment, sappuyer sur les hydrocarbures. Ils approvisionnent donc la plante de ptrole en quantit suffisante pour permettre la poursuite de la croissance conomique mondiale tout en maintenant des cours du brut levs. Pas question douvrir les vannes, non seulement parce que le prix de lor noir baisserait, mais aussi pour ne pas hypothquer lavenir en puisant les rserves. Certes, la dpendance nergtique des pays industriels est moindre quavant, et elle devrait encore baisser. Mais il faudra des dcennies avant quusines et transports puissent se passer dhydrocarbures. Contrairement aux annes soixante-dix, on voit se dployer des politiques conomiques mieux conues, mieux appliques, qui fixent de rels objectifs stratgiques , confirme Denis Bauchard, chercheur lInstitut franais des relations internationales (IFRI). Quels sont les freins aux ambitions des monarchies ptrolires du Golfe ? Ils sont nombreux. Le travail en est un. Les pays du CCG doivent crer plusieurs millions demplois dici 2020. Un dfi dans une rgion o 60 % de la population a moins de 25 ans. Le ptrole ne suffira pas. Malgr la hausse du baril, le taux de chmage est pass de 9 % 12 % en Arabie Saoudite depuis 2002. A lheure actuelle, le BTP repose sur le faible cot dune main duvre immigre asiatique. Or celle-ci commence revendiquer, ne plus accepter les salaires et les conditions de travail dplorables quon lui impose. Toujours au plan conomique, le manque de coordination entre des Etats voisins mais concurrents est source de gaspillage. Est-il raisonnable de construire trois aroports internationaux distants de quelques centaines de kilomtres seulement ? Les golfs, les milliers de chambres dhtels et les parcs de loisirs suffiront-ils attirer les millions de touristes esprs dans une rgion o la chaleur est souvent intenable et lattrait culturel limit ? Il ne faut pas exclure un jour lclatement dune bulle immobilire , avertit Marc Touati. Au-del des seules rgles conomiques, les mentalits aussi constituent peut-tre un frein. Cest ce que pense Fatiha Dazi-Hni, auteur de Monarchies et socits dArabie : Rien ne sera possible sans des coles moins religieuses et plus professionnelles, une ouverture culturelle, un Etat de droit. Attirer les touristes et les investisseurs exige de libraliser la socit ; il nest pas certain que les dirigeants arabes y soient prts. Ces derniers sont modernes et ouverts quand ils vivent ltranger ; ils aiment consommer loccidental. Mais de retour au pays, tout se recentre autour du clan. Dun mirat lautre, les familles princires sont concurrentes plus que solidaires ; elles ne se font pas de cadeaux. Les affaires sont gres par des membres du clan, plus que par des managers professionnels, et la transparence est loin dtre la rgle. Quen est-il du risque gopolitique ? Cest un lment dterminant au Moyen-Orient. Comme le souligne Nicolas Sarkis, de la revue Ptrole et gaz arabes : Largent peut changer beaucoup de choses, mais pas la gographie. Les monarchies du Golfe ne disposent pas sur place des ressources permettant un dveloppement quilibr : ni population nombreuse, ni terres arables, ni minerais, ni savoir-faire industriel. En revanche, ces ressources existent dans la rgion, en Egypte, en Syrie, en Irak. Une relle politique de dveloppement na de sens qu cette chelle, comme lEurope la fait. Mais cela suppose dabord dteindre les nombreux conflits. Or, lhostilit entre lIran chiite et lArabie Saoudite sunnite est connue. Les capitales de la rgion se mfient de ces monarchies ptrolires rputes proches des Etats-Unis. Un attentat terroriste contre une seule de ces rsidences de luxe que Duba construit la chane, et cen serait fini de limage de vacances paradisiaques que les promoteurs de la rgion cherchent vendre. Est-il possible de construire un oasis de richesse, de modernit et de joie de vivre au cur dune rgion instable ? Nombre dexperts en doutent. Mais Ibrahim Al-Ibrahim, le secrtaire gnral du Bureau du dveloppement du Qatar, veut y croire : Certes, lArabie Saoudite reste un pays conservateur. Mais ses voisins, que ce soient le Qatar, Duba ou Oman, se modernisent et libralisent leur socit, mme si cest par petites touches. Les femmes ont plus de droits quavant ; les jeunes sont ouverts sur le monde, ils aspirent une vie diffrente. Le Moyen-Orient ne se rsume pas la guerre, des barbus intgristes et des fauconniers dans le dsert. Evidemment, nous avons nos spcificits culturelles, mais les pays occidentaux doivent changer leur regard sur cette partie du monde. Entre la hausse du prix de lessence qui cre des rancurs en Occident, la poursuite du conflit en Irak et les inquitudes suscites par les rcents essais de missiles iraniens, le chemin risque cependant dtre encore long. | |||
Jean Piel | |||
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