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18/08/2008
Questions internationales (1)
Union europenne/Serbie : Un rapprochement petits pas


(MFI) LUnion europenne sest flicite de larrestation de Radovan Karadzic, mais elle attend davantage de la Serbie pour envisager son adhsion lUE. Certes, un parti pro-europen est dsormais au pouvoir Belgrade, et les ultranationalistes semblent en perte de vitesse. Mais le pays reste instable politiquement, le Kosovo est toujours un dossier sensible et les dmons du pass ne sont pas compltement enterrs. Lintrt de lUnion europenne est cependant la stabilit des Balkans.

Larrestation de Radovan Karadzic va-t-elle favoriser un rapprochement entre la Serbie et lUnion europenne ?

Cest en ralit le 11 mai dernier soit deux mois avant larrestation de Radovan Karadzic que les relations entre la Serbie et lUnion europenne se sont rchauffes. Ce jour-l, le Parti dmocrate (DS), pro-europen, a largement remport les lections lgislatives, devanant son adversaire nationaliste du Parti radical de Serbie de plus de dix points. Entre un pass belliqueux et nationaliste et un avenir constructif et pacifique, les Serbes ont clairement choisi. Lavenir de la Serbie est en Europe , dclarait alors Boris Tadic, le prsident du pays et leader du DS. Elu de justesse chef de lEtat le 3 fvrier dernier, Boris Tadic voyait, grce la victoire de son parti aux lections lgislatives, sa lgitimit et ses pouvoirs renforcs. Trs vite, il a plac ses hommes aux postes-cls, reprenant notamment le contrle des puissants services secrets.
Cette victoire lectorale du Parti dmocrate est dautant plus remarquable quelle sest faite malgr le soutien de lUE lindpendance du Kosovo. Une indpendance proclame le 17 fvrier dernier. Province septentrionale de la Serbie, compose 90 % dAlbanais, le Kosovo tait administr depuis 1999 par les Nations unies, depuis que lOtan tait intervenue pour la protger des exactions des ultranationalistes serbes. Les Kosovars ne simaginent plus un avenir commun avec les Serbes aprs les horreurs quils ont subi pendant la guerre. Cela fait dix ans quils ont leur Parlement, leur gouvernement, que les lois de Belgrade ne sappliquent plus Pristina. Lindpendance tait inluctable. Mais les Serbes continuent proclamer que, pour des raisons historiques et religieuses, lme de leur nation se trouve au Kosovo , explique Agron Bajrami, journaliste au quotidien kosovar Koha Ditore.
Les observateurs pensaient que lindpendance du Kosovo allait entraner la victoire lectorale du Parti radical de Serbie aux lections lgislatives. Il nen a donc rien t. Tant que lavenir du Kosovo tait incertain, les Serbes se montraient vindicatifs lgard de lindpendance. Une fois celle-ci proclame, ils nont eu dautres choix que de laccepter. Les Serbes ne veulent plus prendre les armes pour un territoire. Le 11 mai, ils ont choisi le vote utile, misant sur une amlioration de leur niveau de vie grce lEurope. Les milieux daffaires ont aussi milit en faveur de lUE , ajoute le sociologue Vladimir Goati. Interviewe par Le Courrier des Balkans, Vesna Pesic, figure de lopposition dmocratique des annes 1990, estime que Les Serbes ont montr quils ne voulaient plus de ces chimres nationalistes du pass qui ont donn une image si ngative la Serbie. La transformation des mentalits est palpable. Le sentiment pro-europen ne va pas cesser de crotre. La Serbie est en train dvoluer .
Certes, lUnion europenne la aussi aid dans cette voie. Avec deux milliards deuros investis depuis 2003, lUE est le premier fournisseur daide la rgion. Surtout, le 29 avril dernier, Bruxelles et Belgrade ont sign un accord de stabilisation et dassociation, premire tape vers ladhsion lUE, et 17 pays de lUnion ont accord la gratuit des visas aux Serbes. Au mme moment, le constructeur automobile Fiat reprenait pour plusieurs dizaines de millions deuros les usines Zastava, comme pour signifier que plus dEurope, cest plus dinvestissements.
Larrestation le 21 juillet de Radovan Karadzic, inculp de gnocide, crimes de guerre et crimes contre lhumanit pour le sige de Sarajevo et le massacre de Srebrenica, contribue videmment rapprocher la Serbie de lUE. Comme la dclar Olli Rehn, le commissaire europen lElargissement : Cette arrestation prouve que le gouvernement serbe est dtermin tourner la page, abandonner derrire lui son pass nationaliste pour se tourner vers son avenir europen .

Cela signifie-t-il que Belgrade va adhrer rapidement lUnion europenne ?

Cela serait aller un peu vite en besogne. Il existe encore des rticences de part et dautre.
Du ct des Vingt-Sept, lambiance nest pas llargissement, que ce soit vers la Serbie ou vers un autre pays. Les opinions publiques y sont opposes, et le Non irlandais la Constitution europenne va encore ralentir le processus. Vis--vis de la Serbie, lUE attend de vrifier quelle coopre pleinement au Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie (TPIY). Lavis du procureur Serge Brammertz sera donc dterminant (voir article ci-aprs). En outre, deux autres criminels de guerre sont toujours recherchs : Goran Hadzic, lancien prsident de la Rpublique serbe autoproclame de Krajina ; et surtout Ratko Mladic, lex-chef militaire des Serbes de Bosnie. Bruxelles est persuad que Belgrade sait o se cachent les deux hommes, tout comme Radovan Karadzic na pu chapper aux poursuites pendant treize ans que grce la protection des autorits serbes. Cest pourquoi, mme aprs le transfrement de Radovan Karadzic vers La Haye (sige du TPIY), lUE a dcid de ne pas mettre en uvre les avantages commerciaux prvus par laccord de stabilisation et dassociation. Elle veut tre sre que cette arrestation de Karadzic nest pas de lopportunisme de la part de Belgrade. Combien de fois par le pass des criminels de guerre serbes ont t arrts par hasard la veille dun sommet europen important pour Belgrade.
Ce sont les Pays-Bas et la Belgique qui dfendent la ligne la plus dure contre de la Serbie. Il est vrai que les soldats (oprant sous mandat de lOnu) chargs de la protection de lenclave bosniaque de Srebrenica en 1995 taient des Nerlandais. Ils ont assist au massacre de milliers de musulmans par les nationalistes serbes sans rien pouvoir faire. Le traumatisme est toujours fort aux Pays-Bas. Au demeurant, leur politique de fermet a pay puisque Belgrade a fini par livrer Radovan Karadzic. Pourquoi alors changer dattitude tant que Goran Hadzic et Ratko Mladic ne sont pas sous les verrous ? Sans la fermet des Pays-Bas et de la Belgique, lUE aurait fait preuve de davantage de souplesse depuis longtemps lgard de la Serbie, au nom du pari sur lavenir .
Aujourdhui, les autorits serbes jurent de leur bonne foi et affirment que cette poque de duplicit est rvolue. Radovan Karadzic a dailleurs t arrt quinze jours seulement aprs la formation du gouvernement de Boris Tadic ; et peu aprs que le chef des services secrets, le sulfureux nationaliste Rade Bulatovic, ait t limog au profit dun jeune policier spcialiste du crime organis, Sacha Vukadinovic. Dsormais, le conseil de coopration avec le TPIY se runit tous les jours Belgrade. Comme lexplique dans Le Monde Oliver Dulic, un proche du prsident Tadic : Le chef de lEtat a toutes les cartes en main et les services secrets lui obissent. Les recherches des derniers criminels de guerre sont systmatiques. Nous allons terminer le travail .

Quelles pourraient tre les rserves du ct serbe ?

Selon un rcent sondage, 65 % des dix millions de Serbes sont favorables ladhsion lUnion europenne. Nanmoins, le dossier du Kosovo pose toujours problme. Mme les dirigeants du DS, le Parti dmocrate, pro-europen, se disent dtermins rcuprer la province scessionniste. Boris Tadic dclarait encore en 2007 : Nous ne sommes pas guids par le fantasme dune grande Serbie hgmonique, comme Slobodan Milosevic. Nous souhaitons tre un Etat moderne, membre de lUE. Mais nous dfendons lunit de notre patrie. Jamais nous nabandonnerons 15 % de notre territoire. Le Kosovo est le berceau de notre histoire et de notre culture. Ses monastres en font une terre sacre pour les Serbes, la Jrusalem orthodoxe . Le ministre des Affaires trangres, Vuk Jeremic, insistait encore le mois dernier : Nous sommes pour le respect du droit international, aussi bien en matire de coopration avec le TPIY que lorsquil sagit de dfendre notre intgrit territoriale au Kosovo . Le 26 dcembre 2007, le Parlement de Belgrade a adopt une crasante majorit une rsolution selon laquelle La Serbie renoncera lintgration europenne si les Occidentaux reconnaissent lindpendance du Kosovo . Le dossier est donc dlicat. Les optimistes rappellent nanmoins que lindpendance du Kosovo, approuve par 17 des 27 membres de lUE, na pas empch une majorit de Serbes de voter pour le parti pro-europen aux dernires lections lgislatives. De mme, aprs larrestation de Radovan Karadzic, Belgrade a renvoy ses ambassadeurs dans les pays de lUE qui ont reconnu lindpendance du Kosovo (Ils avaient t rappels Belgrade pour protester contre cette reconnaissance). Lavenir europen semble plus important que la nostalgie du pass, quelle que soit la vhmence des discours.
Linstabilit politique constitue une autre entrave ladhsion de la Serbie lUE. Certes, le DS a remport les lgislatives du 11 mai, mais il ne dispose pas de la majorit absolue au Parlement, et a d sallier avec le Parti socialiste de Serbie (SPS), lancienne formation du dictateur Slobodan Milosevic, arrt en 2001 et dcd avant la fin de son procs devant le TPIY en 2006. Pire, le prsident du SPS est aujourdhui ministre de lIntrieur. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Une alliance avec le SPS est prfrable un retour au pouvoir des ultranationalistes. Les dirigeants du SPS ont chang ; ils sont pragmatiques, prts au compromis. Ils ont abandonn leur rhtorique nationaliste , confie, rassurant, Oliver Dulic. Une opinion que ne partage pas Andrej Hosov, un militant des droits de lHomme : Une telle alliance prouve quil ny a aucune valeur morale en Serbie. Associer le SPS aux affaires, cest nier le travail de mmoire, encore balbutiant, sur les annes Milosevic. En outre, un retournement dalliance est toujours possible dans ce pays . Cest ce que redoute luniversitaire Laure Baudet : Lre Milosevic nest pas close. La Serbie connat encore un fort courant nationaliste, lEtat est faible, le contexte conomique difficile et la classe politique sest peu renouvele. Dans une rgion des Balkans toujours instable, lvolution de la Serbie reste incertaine . Bref, Belgrade pourrait retomber dans ses travers nationalistes, bien loigns des idaux europens.
Dautres se veulent plus confiants. A linstar de Vesna Pesic : Certes, nous avons longtemps eu peur de linstabilit de la rgion, de notre pass Nous navons pas suffisamment dnonc les nationalistes qui se prsentaient comme les seuls dfenseurs de la Serbie. Les choses ont chang ; nous avons tourn la page. La Serbie est en train dvoluer . Pour le journaliste Dejan Anastasijevic, cit par Le Monde : Le vrai changement aujourdhui, cest que Belgrade dispose des moyens politiques de ses ambitions. Larrestation de Radovan Karadzic na donn lieu qu quelques manifestations clairsemes. Boris Tadic nest plus oblig de faire des concessions aux nationalistes. Il dispose de tous les leviers dun pouvoir qui na jamais t aussi homogne. Un air frais souffle sur Belgrade. Les Serbes vont redevenir frquentables et faire oublier leur rputation de nationalistes violents .

La Russie pourrait-elle freiner ce rapprochement entre la Serbie et lUnion europenne ?

Cest peu probable. Certes, Moscou a cherch et cherche encore jouer sa carte dans les Balkans. Cest lun des plus farouches adversaires de lindpendance du Kosovo. Non seulement parce que cela serait ouvrir la bote de Pandore et pourrait entraner des revendications sparatistes de plusieurs provinces russes, mais aussi parce que le Kremlin rappelle que les pays occidentaux staient engags, la fin des annes 1990, respecter lunit de la Serbie. De mme, la Russie na jamais fait mystre de son hostilit au TPIY. La clture des travaux du tribunal de La Haye est fixe 2010, et Moscou a dj annonc son refus de voir son mandat prolong.
Les nationalistes serbes qui sont loin davoir disparu de la scne politique ne cachent pas leur sympathie pour le gouvernement de Dmitri Medvedev. En janvier dernier, Tomislav Nikolic, le prsident du Parti radical serbe, dclarait au Monde : Couper les liens avec lUE ne serait pas une grosse perte. Nous pouvons trs bien nous tourner vers la Russie . Peu avant sa rlection la tte de lEtat, le 3 fvrier dernier, le pourtant pro-europen Boris Tadic mnageait encore Moscou, comme si, entre lUE et la Russie, il entretenait deux fers au feu. Il sest ainsi rendu Moscou, en janvier dernier et a sign plusieurs importants contrats ptrolier et gazier. Que le vent politique tourne Belgrade, et la Russie pourrait de nouveau jouer de son influence dans la rgion.
Mais cela semble peu probable. Dabord parce que les Serbes envisagent plus leur avenir du ct de lEurope que vers une lointaine Russie. Et surtout parce que Moscou nentend pas entretenir le chaos dans cette partie du monde , pour reprendre les mots dun diplomate europen. Lors de sa visite Moscou, Boris Tadic na dailleurs pas t reu par Dmitri Medvedev, mais seulement la Douma, le Parlement russe. Un officiel moscovite a dclar loccasion : Lintrt de la Russie est de dvelopper des relations conomiques durables avec un partenaire stable, et non avec une Serbie maintenue en marge de la communaut internationale . Lavenir europen de la Serbie semble dautant plus une vidence que tous ses voisins des Balkans sont engags dans un processus de rapprochement avec lUE. Belgrade ne saurait rester isol.

Jean Piel

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