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20/08/2008
Questions internationales (1)
La nouvelle puissance des narcotrafiquants mexicains


(MFI) Autrefois simples intermdiaires des Colombiens, les cartels mexicains contrlent dsormais le trafic de drogue entre lAmrique latine et les Etats-Unis. Rputs pour leur violence extrme, ils sappuient aussi sur la pauvret des campagnes et les fortes ingalits sociales. Adeptes de la manire forte, les autorits mexicaines remportent des victoires contre ces narcotrafiquants. Mais elles ont besoin de laide des Etats-Unis.

Quelle est la puissance des narcotrafiquants au Mexique ?

Le 16 juin 2008, la Marine mexicaine arraisonnait un sous-marin. A son bord, quatre hommes et six tonnes de cocane. Le trafic de stupfiants dans la rgion se fait habituellement avec des petits avions ou par voie terrestre. Lemploi dun sous-marin, une premire au Mexique, tmoigne de la puissance des trafiquants. Mais la saisie de six tonnes de cocane ne constitue pas un record ; lanne dernire, vingt-trois tonnes de poudre blanche avaient t trouvs par la police dans le port de Tamaulipas, dans le nord-est du pays.
Longtemps, les Mexicains ntaient que les intermdiaires des cartels colombiens. Le pays servait de transit entre lAmrique du Sud et les Etats-Unis. En dix ans peine, le scnario a chang. Le Mexique est dsormais un lieu de production et la plaque tournante dun trafic toujours plus diversifi : marijuana, cocane, hrone A en croire la DEA, lagence antidrogue amricaine, les gangs mexicains contrlent 90 % de la cocane et de la marijuana qui entrent aux Etats-Unis et 30 % de lhrone. Ils occupent une position hgmonique dans la fabrication des mthamphtamines, une drogue de synthse mieux connue sous le nom de ice en anglais.
En mars 2007, Mexico, la police a saisi 207 millions de dollars en liquide dans la villa dun trafiquant decstasy. Une somme rvlatrice de la puissance financire des barons de la drogue. Les narcotrafiquants mexicains sont organiss sous forme de cartels qui se partagent le territoire et les types de stupfiants commercialiss. Des cartels qui se font et se dfont au gr des luttes de clans, des trahisons, des arrestations, des ambitions personnelles On en compte sept principaux, les plus connus tant ceux de Sinaloa, Juarez et Tijuana. Tous se sont dvelopps grce au plan Colombie lanc par les Etats-Unis en 1999 contre les cartels de Cali et Medellin. Un plan qui na pas limin les narcotrafiquants colombiens, mais les a affaiblis. Un espace sest libr, dont les parrains mexicains ont profit , explique Jos Carreno, journaliste au quotidien El Universal.
La spcificit des gangs mexicains est leur extrme violence. Attentats, dcapitations, tortures, excutions publiques : tous les moyens sont bons pour liminer les concurrents, mais aussi terroriser les citoyens et les lus locaux, donner limpression que le pays nest plus gouvern. Pour entretenir cette violence, les cartels recourent aux Zetas, des bandes de tueurs issus des dserteurs de larme, forms aux techniques de combat extrme et gnralement drogus. En 2007, 2 500 personnes ont t tues cause du trafic de drogue : des dealers, des concurrents, des indics, des policiers. Depuis janvier 2008, on compte dj 1 856 victimes de la guerre des gangs, dont 395 dans le seul Etat du Chihuahua, frontalier avec le Texas. Avec les Etats du Sinaloa et du Durango, le Chihuahua forme le triangle dor des narcotrafiquants mexicains, la rgion quils veulent tout prix contrler car elle mne aux Etats-Unis. Pour lcrivain Carlos Monsivais : Les cartels de la drogue reprsentent le plus grave dfi que le Mexique, dmocratie encore fragile, ait eu affronter depuis un sicle .

Quelle est lemprise des narcotrafiquants sur la socit ?

En mai dernier, dans la bourgade dAhumada, une bataille entre deux bandes rivales a dur toute la nuit. Le maire a fui ; les policiers se sont barricads dans le commissariat ; les 1 500 habitants sont rests clotrs chez eux, terroriss. Cest larme qui est finalement intervenue, le lendemain matin, pour ramasser les cadavres. Un exemple du climat que crent les narcotrafiquants dans les rgions quils contrlent. Pour Ismael Bojorquez, le directeur de lhebdomadaire local Rio Doce, dans lEtat du Sinaloa : La grande criminalit pntre le tissus social. Cest une lpre qui ronge la socit mexicaine. Les narcotrafiquants taient auparavant des types chapeau qui descendaient de la sierra. Maintenant, ce sont des entrepreneurs en col blanc, la tte de vritables armes. Autrefois, ils avaient leur quartier do ils ne sortaient gure. Aujourdhui, ils inscrivent leurs enfants dans les meilleures coles et deviennent membres du Rotary. Dans les villes et les villages, ils financent la rfection des routes, la construction de stades et mme la rnovation des glises. Tout le monde sait do vient largent. Personne ne dit rien .
Pour le journaliste Jos Carreno, Indpendamment de leurs ambitions criminelles, les cartels sappuient sur le relatif abandon des campagnes mexicaines, les ingalits sociales criantes, la dliquescence du tissus social . Ainsi, selon la Chambre nationale dagriculture de Mexico, un tiers des terres cultives dans le pays (soit 9 millions dhectares) sont consacres au pavot. Elles sont difficiles reprer car niches en altitude et morceles en petites parcelles. Les paysans reoivent jusqu 400 000 pesos (26 000 euros) par hectare et par an, contre 12 000 pesos (800 euros) quand ils cultivent du mas. De mme, le moindre dealer gagne 5 000 pesos par semaine, alors que le salaire de base dans une activit lgale est d peine 1 000 pesos. Lorsque larme a lanc une opration denvergure contre les narcotrafiquants du Sinaloa, les premiers le dplorer ont t les commerants. Des narcos qui se planquent, cela signifie une baisse de lactivit commerciale, des restaurants ferms, des chauffeurs-routiers sans travail, des villes moins animes. Peu de gens refusent ce climat de complicit , tmoignait, dans le quotidien La Jornada, Alejandro Gaxiola, un militant associatif de Culiacan, la capitale du Sinaloa.
Lcrivain Carlos Monsivais analyse ainsi la situation : Auparavant, le travail, mme sil ntait pas synonyme de richesse, alimentait le mythe de lhonneur dune vie de labeur. Aujourdhui, il parat ridicule quand on peut gagner dix fois plus en vendant de la poudre quatre heures par jour. Cest la disparition des valeurs morales dans un monde globalis. Toute russite parat suspecte aussi. Dans lesprit de nombreux Mexicains, une belle maison, une voiture, des voyages Ce nest pas le fruit du travail, mais la signature dun lien avec la mafia. Nous vivons dans un monde dillusions. En ce sens, les cartels ont transform la vie du pays bien plus quon ne veut ladmettre .
Dans les rgions o ils se savent intouchables, les narcotrafiquants saffichent, roulant en 4X4, se faisant construire de luxueuses maisons, shabillant de faon voyante. Leurs femmes dpensent des fortunes dans des centres commerciaux tapageurs, menaant ceux qui leur dplaisent en leur rappelant lidentit de leurs maris. Pour de nombreux jeunes, cest une nouvelle version de Faust : ils vendent leur me au diable pour rouler dans des grosses voitures, sduire les jolies filles, menacer les juges, ordonner des meurtres, se sentir tout puissant Mme sils savent que cela ne durera que quelques annes et que leur mort sera violente. Le Mexique pourtant nest pas un pays pauvre ; il occupe le 12 rang mondial selon lOCDE, mais les ingalits y sont criantes.
Lemprise des cartels sur la socit se voit aussi par la hausse de la toxicomanie. Le Mexique nest pas quun lieu de production de stupfiants, mais aussi de consommation. On cite le cas de dealers offrant aux enfants des dcalcomanies aux couleurs de Tom et Jerry, imprgns de LSD, afin de les rendre narco-dpendants. Les Ong locales voquent une hausse de 22 % de la consommation de drogues dures ces cinq dernires annes. Dans les Etats les plus touchs, notamment Tijuana, la consommation aurait quadrupl depuis 2003.

Quel est le pouvoir de corruption des narcotrafiquants ?

Immense videmment. On la vu : par un mlange de peur, de silence et de petits profits, les cartels tiennent les habitants des rgions o ils sont prsents. Plus inquitant, ils ont russi imposer leurs candidats la tte de plusieurs villes des Etats du Mochoacan et du Tamaulipas. Un maire, Juan Antonio Guajardo, a t assassin en novembre 2007 pour avoir dnonc la fraude lectorale ralise par les narcotrafiquants, avec la complicit du gouverneur du Tamaulipas, Eugenio Hernandez, membre du Parti rvolutionnaire institutionnel, la formation historique de droite. A en croire Jos Carreno : Au niveau local, aucune force politique - des conservateurs aux Verts en passant par la gauche - nchappe la pression des cartels . Cest aussi lavis dAlejandro Gaxiola, le militant associatif de Culiacan, cit par La Jornada : Officiellement, Joaquin Guzman, le patron du cartel de Sinaloa, est lhomme le plus recherch du Mexique. Mais il fait rgulirement ses courses en ville, et son mariage taient invits de nombreux politiciens et hommes daffaires. Lorsque son fils a t abattu par un gang rival, 3 000 personnes taient prsentes aux funrailles, encadres par la police .
Pour Ismael Bojorquez, le directeur de lhebdomadaire Rio Doce : La mafia est comme leau qui infiltre tout, la classe politique, la police, larme, limmobilier, lEglise . Les douanes aussi, vu les arsenaux que possdent les cartels et qui arrivent des Etats-Unis en contrebande. De lavis des observateurs, les narcotrafiquants nont pas encore gangrn lappareil dEtat, mais au niveau local, ils tiennent tout le monde : les maires, les juges, les policiers Dans certains Etats, comme le Tamaulipas, le Chiapas, le Chihuahua, la Basse-Californie, le Sonoro ou le Sinaloa, la fusion entre cartels, classe politique et milieux daffaires est dj ralise. Cest ce que le sociologue Eduardo Buscaglia appelle la fodalisation du pouvoir .
Et dexpliquer : Le gouvernement mne de grandes politiques industrielles, de larges projets durbanisme, dveloppe les meilleures universits, fait entendre sa voix sur la scne internationale. Mais il a abandonn la politique sociale au niveau local. Les cartels se sont infiltrs dans la brche. Ils financent les campagnes lectorales, accordent des prts aux entreprises, aident les familles dans le malheur, construisent des dispensaires En change, ils exigent une obissance absolue. Ce sont gnralement des enfants du pays, dont les familles sont connues, qui vont lglise. Chacun prfre oublier que leurs hommes de main commettent les crimes les plus atroces pour contrler le trafic de drogue. Les citoyens qui refusent dadhrer au systme se retrouvent isols . Le chiffre est impossible vrifier, mais on dit que le narcotrafic ferait vivre un million de personnes au Mexique.

Comment les autorits mexicaines ragissent-elles face aux menaces que reprsente le trafic de drogue ?

Elu en juillet 2006, le prsident Felipe Calderon est un adepte de la manire forte. Impossible de dire que le gouvernement mexicain reste les bras croiss. Le 12 dcembre 2006, 6 500 militaires sont envoys dans lEtat du Michoacan. Un mois plus tard, loffensive est tendue au triangle dor des narcotrafiquants, savoir les Etats du Durango, du Chihuahua et du Sinaloa. Au total, 36 000 soldats sont mobiliss. Malgr la corruption de la police, les rsultats sont au rendez-vous : 50 tonnes de cocane ont t saisies en 2007, 450 pistes datterrissages clandestines dtruites, des milliers dhectares de pavots arrachs et 99 gros bonnets du trafic arrts. Les pertes pour les trafiquants sont estimes sept milliards de dollars. Des rsultats qui sexpliquent par la dtermination des autorits mexicaines, mais aussi par la collaboration des agences antidrogues amricaines (voir article ci-aprs).
Nous sommes dcids mettre fin au diktat des cartels de la drogue et limpunit des dlinquants qui mettent en pril la tranquilit des habitants. LEtat va raffirmer son autorit sur tout le territoire ; plus aucune rgion ne sera prisonnire des trafiquants de drogue et du crime organis , a dclar le ministre de lIntrieur, Francisco Ramirez, en lanant cette Operation Seguro (opration scurit). A en croire le spcialiste des affaires de drogue, Raimundo Riva Palacio, cit par El Universal : Le point positif de la politique de Felipe Calderon est dattaquer simultanment tous les cartels, afin dempcher que certains se renforcent quand dautres sont menacs par les forces de lordre. Cest une premire au Mexique. Les cartels ne sont pas plus forts que lEtat ; ils existent parce quon leur a permis dexister. Seule larme peut agir ; les autorits locales sont impuissantes .
Cette politique rpressive des autorits mexicaines est aussi critique. Certes, la rpression est ncessaire. Mais ne faire que a est une erreur. Il faut sattaquer aux intrts financiers des trafiquants, poursuivre les lus et les entreprises qui entretiennent des relations avec eux, lutter contre la corruption et les protections politiques, punir le blanchiment dargent. Rien de tout cela na t fait jusqu prsent , dnonce le sociologue Eduardo Buscaglia. La cl rside dans le dveloppement des campagnes et des petites villes , veut croire Alejandro Gaxiola.
En outre, les cartels ne sont pas rests sans ragir cette politique rpressive des autorits mexicaines. Depuis le dbut de lanne, on assiste une terrible flambe de violence. Les attentats, les meurtres prcds de tortures, les enlvements, se multiplient. Depuis le mois de janvier, on a enregistr 1 856 morts lis au trafic de drogue, dont prs de 400 policiers. En mars dernier, deux ttes ont t trouves Acapulco, lancienne villgiature des stars de Hollywood, accompagnes dun message : Pour vous apprendre le respect . Les corps ont t retrouvs quelques jours plus tard en pleine ville ; il sagissait de deux officiers dune unit dlite de la police. Le sommet de la hirarchie policire est aussi menac. Dbut mai, le bras droit du ministre de la Scurit publique a t assassin en plein Mexico. Nanmoins, les autorits mexicaines se veulent optimistes. Nous sommes en train de gagner la guerre contre les cartels , a dclar, le 15 juin, le prsident Felipe Calderon. Une opinion que ne partage pas le spcialiste du sujet, Raimundo Riva Palacio : Personne ne gagne la guerre contre les narcotrafiquants. Au mieux, on les affaiblit. Il sagit dun conflit de basse intensit qui ne connat aucune trve .

Jean Piel

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