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27/08/2008
Questions internationales (1)
Quelle politique trangre pour le futur prsident des Etats-Unis ?


(MFI) Dans les prochains jours, les conventions rpublicaine et dmocrate auront dsign chacune leur candidat llection prsidentielle : John McCain et Barack Obama. Deux hommes que tout oppose : le style, lge, le parcours, les ides Leurs programmes en matire de politique trangre les diffrencient galement : plus martial et unilatral pour John McCain ; plus ouvert sur le monde et multipolaire pour Barack Obama. Pourtant, en la matire, leurs ides ne sont pas toujours si loignes. Et la diplomatie amricaine ne devrait pas tre bouleverse aprs le scrutin du 4 novembre.

La politique trangre occupe-t-elle une place importante dans la campagne lectorale ?

Aux Etats-Unis comme ailleurs, llection prsidentielle ne se gagne pas sur la politique trangre. Certes, Barack Obama est le candidat prfr lchelle mondiale. Mais ce sont les Amricains qui votent. Si le snateur dmocrate de lIllinois est lgrement en tte des sondages, cest que sa personnalit, son dynamisme et surtout son programme conomique dans une Amrique en pleine crise des subprimes , redoutant une rcession sduisent davantage que les propositions de John McCain.
Nanmoins, rarement une campagne lectorale aux Etats-Unis na t aussi internationalise. Dabord parce que lIrak et la lutte contre le terrorisme restent des proccupations majeures des lecteurs. Ensuite parce que les candidats eux-mmes se placent sur ce terrain. John McCain a effectu une tourne au Proche-Orient et en Amrique latine tandis que Barack Obama se rendait en Europe et au Proche-Orient. En outre, n Hawa dun pre kenyan, lev en Indonsie jusqu lge de dix ans, le candidat dmocrate a, par dfinition, une image internationale.
Ancien pilote militaire, prisonnier pendant la guerre du Vietnam, membre de la commission des Forces armes au Snat, John McCain soixante-douze ans apparat plus crdible que son adversaire en politique trangre. Les Rpublicains ironisent sur la navet suppose de Barack Obama en la matire, sur ses volte-face. Cest notamment pour renforcer sa carrure dans ce domaine que Barack Obama sest choisi comme colistier, et donc vice-prsident potentiel, un spcialiste reconnu de la diplomatie, Joseph Biden, soixante-cinq ans, prsident de la commission des Affaires trangres du Snat.
Les accusations des Rpublicains paraissent toutefois assez injustes dans la mesure o peu de prsidents avaient eu une exprience diplomatique avant daccder la Maison-Blanche. Au demeurant, la jeunesse de John Kennedy ne la pas empch de rsoudre avec succs la crise des missiles contre Cuba. Enfin, jusqu prsent, cest John McCain qui a commis les plus belles gaffes : quand il a parl de la Tchcoslovaquie au lieu de la Rpublique tchque ; voqu la frontire entre lIrak et le Pakistan ; ou encore confondu sunnites et chiites en Iran ce qui est pass pour de la fatigue due son ge aurait dclench une tempte mdiatique si Barack Obama avait commis les mmes erreurs.
Mais comme le rappelle Justin Vaisse, chercheur la Brookings Institution : Peu importe quun candidat apparaisse comme un faucon et lautre, ouvert sur le monde. Les discours ont pour but de se faire lire et une politique trangre nest jamais arrte lors dune campagne lectorale. Tout dpendra des vnements et des enjeux qui surviendront, une fois le prsident lu .

Comment les deux candidats envisagent-ils la poursuite du conflit en Irak ?

Cest sur ce dossier que les avis de John McCain et Barack Obama divergent le plus. Le candidat dmocrate a toujours t oppos au conflit : Une guerre qui a cot des milliers de vies amricaines et des milliards de dollars, dstabilis la rgion, nous a alin nos allis, sans nous apporter davantage de scurit . Barack Obama sengage dailleurs rapatrier la totalit des troupes de combat dici lt 2010, ne maintenant sur place que quelques units pour assurer la formation de larme irakienne, protger les ambassades et poursuivre la lutte contre Al-Qaeda. Pas question pour lui que les Etats-Unis maintiennent des bases permanentes dans lancienne Msopotamie.
A loppos, John McCain a dclar que Les Etats-Unis resteront cent ans, sil le faut, en Irak . Le snateur rpublicain de lArizona approuve le conflit en Irak mais il estime quil a t mal men. Il propose donc de renforcer le contingent amricain pour aller jusqu la victoire, quil envisage vers 2013. Le vtran du Vietnam, qui dfend son image dexpert militaire et champion du patriotisme, soutient que Si les troupes amricaines quittent lIrak, le pays sera transform en havre terroriste au cur du Proche-Orient ; une guerre civile pourrait dboucher sur un conflit rgional, voire un gnocide. LIran dominera la rgion . Rponse de ses dtracteurs : John McCain ne sait que soigner les symptmes dune guerre quil approuve. Il na aucune vision stratgique de la lutte contre le terrorisme, uniquement une vision militaire .
Face limage de commandant en chef de McCain, Obama nentend pas tre en reste. Sil veut allger le dispositif en Irak, cest pour mieux le renforcer en Afghanistan. Il la crit dans le Washington Post : La ligne de front de la guerre contre le terrorisme nest pas lIrak, et ne la jamais t. La plus grande menace se trouve dans les rgions tribales du Pakistan, o les terroristes sentranent. Al-Qaeda bnficie l dun sanctuaire, et les talibans se renforcent en Afghanistan. Si un nouvel attentat devait frapper les Etats-Unis, cest de l quil serait organis. Or, nous y avons cinq fois moins de soldats quen Irak. Nous ne pouvons pas terminer le travail contre le terrorisme car ladministration Bush nous a entran dans une guerre en Irak sous des motifs trompeurs .
Cherchant aussi cultiver une image de dur , Barack Obama se dit prt bombarder les zones tribales pakistanaises, mme sans laccord dIslamabad. Mais il entend renforcer le rle de lOtan en Afghanistan. Comme il la dclar Berlin : LAmrique ne peut pas terminer seule le travail en Afghanistan. Nous avons besoin du soutien des Europens pour vaincre Al-Qaeda et les Talibans, et aider les Afghans se reconstruire . La vision de John McCain sur lAfghanistan nest pas loigne de celle de Barack Obama. Lui aussi veut renforcer les troupes amricaines Kaboul. Mais il insiste moins sur le rle des allis et, surtout, pense que Les Etats-Unis peuvent gagner simultanment deux guerres, en Irak et en Afghanistan .

Barack Obama et John McCain partagent-ils la mme analyse de la situation au Proche-Orient ?

Les Rpublicains cherchent faire passer leur adversaire dmocrate pour un pro-Palestinien, faisant parfois rfrence de manire inlgante la religion musulmane de son pre. Certes, ne pas tre en phase 100 % avec la droite isralienne suffit aux Etats-Unis pour vous cataloguer comme supporter du Hamas. Et pourtant devant le Comit amricain pour les affaires publiques dIsral lAIPAC, en anglais American Isral Public Affairs Committee , le principal lobby pro-isralien aux Etats-Unis, Barack Obama a prononc un discours plus que favorable Isral : Jrusalem restera la capitale unifie et indivisible dIsral. Jamais je ne transigerai sur la scurit dIsral. Tout accord avec les Palestiniens doit prserver lidentit juive dIsral . Se prsentant comme un ami de lEtat hbreu, Barack Obama refuse de rencontrer le Hamas et le Hezbollah tant que ceux-ci nauront pas reconnu le droit lexistence dIsral. Mais le snateur de lIllinois a aussi dclar que le conflit isralo-arabe sera lune de ses priorits sil est lu, que les Palestiniens avaient droit un Etat et sest rendu Ramallah lors de sa visite dans la rgion au mois de juillet. Lautorit palestinienne compte sur lui pour faire avancer le processus de paix. Problme : sil a dj rgl le sort de Jrusalem et sil refuse de parler au Hamas, quelle sera sa marge de ngociation ?
A en croire lanalyste politique Steven Ekovich : Tout candidat llection prsidentielle aux Etats-Unis doit avoir le soutien de la communaut juive. John McCain nest pas all Ramallah, et comme George Bush, il mnera une politique de soutien inconditionnel Tel Aviv. Barack Obama, par contre, ne va pas se transformer en militant de la cause palestinienne, mais il mnera une politique plus quilibre, comme lavait fait Bill Clinton . Et Sab Erakat, le conseiller de Mahmoud Abbas, prsident de lAutorit palestinienne, dajouter : Lui au moins a compris que le conflit isralo-palestinien est le cur de la tension au Proche-Orient .
Si le candidat dmocrate suscite la mfiance en Isral, cest aussi quil sest dclar prt rencontrer les dirigeants iraniens. Une hypothse quexclut totalement John McCain tant que Thran ne renoncera pas ses ambitions nuclaires : LIran est le principal parrain du terrorisme, et il poursuit sa qute darmes nuclaires. Le prochain prsident devra affronter directement cette menace, en commenant par adopter des sanctions conomiques plus vigoureuses contre Thran. Loption militaire na pas ma prfrence, mais elle ne doit pas tre exclue. Je prfre un bombardement sur lIran quune bombe iranienne .
Face cette rhtorique martiale, Barack Obama se dit en effet prt dialoguer avec les responsables iraniens, mais aussi avec les Syriens, les Vnzuliens, les Nord-Corens, les Cubains Croire que ne pas parler ces pays soit une punition pour eux ce qui a t la ligne diplomatique directrice de ladministration Bush est ridicule . Et de rappeler que cest grce au dialogue que la crise nuclaire nord-corenne a t rsolue. Comme lexplique dans Time Magazine lancien conseiller de Jimmy Carter, William Quandt : Barack Obama veut promouvoir une diplomatie amricaine efficace au Proche-Orient alors que nous avons perdu toute crdibilit dans la rgion, cela en usant de toutes les ressources politiques et conomiques dont nous disposons. Ce projet sadresse aussi aux pays avec lesquels nos relations sont excrables, comme lIran ou la Syrie .
Le candidat dmocrate ne veut pas entendre parler doption militaire contre lIran mais il se dit dtermin empcher les Etats-voyous dacqurir des armes de destruction massive. Comme John McCain, il souhaite que Thran renonce son programme atomique. Seule la mthode change. Il insiste sur les avantages offrir en change lIran : investissements conomiques, rtablissement progressif des relations diplomatiques, accession lOMC Si cela ne suffit pas, alors nous renforcerons les sanctions conomiques et lisolement diplomatique , conclut Barack Obama. Une politique qui ressemble sy mprendre celle mene par les grandes puissances depuis 2005.

La nouvelle prsidence signifiera-t-elle la fin de lunilatralisme des Etats-Unis en politique trangre ?

Il est encore trop tt pour le dire. Mais il ne faut pas imaginer que le successeur de George Bush bouleversera 180 la politique trangre des Etats-Unis. John McCain dfend sa rputation de conservateur intransigeant, ancien militaire favorable la manire forte, hraut dune nation judo-chrtienne en butte lislamo-fascisme . Son programme de politique trangre repose sur une conception moralisatrice du rle des Etats-Unis. Il y mle des rfrences religieuses et celles des pres fondateurs, faisant valoir luniversalit des valeurs amricaines et le ncessaire leadership amricain qui doit sexercer contre tous les imprialismes. Cest pourquoi il refuse de dialoguer avec les Etats-voyous , dans lesquels il classe aussi Cuba et le Venezuela. Cest aussi pourquoi il veut exclure la Russie du G8, ses dirigeants ne respectant plus les normes dmocratiques. Tout cela indique plutt une poursuite de lunilatralisme des Etats-Unis.
Mais John McCain ne veut pas apparatre comme le successeur de George Bush dont la politique trangre est vue comme un dsastre. Il cultive sa diffrence et fait preuve de pragmatisme. Ainsi, il prne la fermeture de Guantanamo, il est oppos la torture et approuve le protocole de Kyoto sur le rchauffement climatique. Selon Justin Vaisse, de la Brookings Institution : Cette image de dur lui permettra doprer une vraie ouverture vers lIran, comme Nixon lavait fait avec la Chine. Alors que si Barack Obama le fait, il sera tax de faible et de naf .
Plus discutable est le projet de Ligue des dmocraties de John McCain. Il sagirait dassocier les pays dmocratiques dans une organisation commune afin dagir sur des sujets politiques (aider les jeunes dmocraties comme la Serbie), sociaux (renforcer la lutte contre le sida dans les pays du Sud) ou militaires (mieux protger la Gorgie). Sur le papier, le projet est sduisant car il permet de mener des actions multilatrales dans un cadre lgal tout en contournant les blocages diplomatiques dus des alliances douteuses. En ralit, lobjectif est de supplanter lOnu pour donner un vernis international aux ambitions amricaines. Il est insupportable de ne pas pouvoir mener des actions de bon sens sous prtexte que la majorit des Etats-membres de lOnu ne sont pas des dmocraties, comme la Chine qui a longtemps bloqu toute intervention au Darfour , tempte le snateur de lArizona.
Le problme est que la morale (la dmocratie) lemporterait sur le droit (la souverainet). Tous les pays nauraient pas la mme valeur. En outre, les pays dmocratiques qui restent dfinir ne sont pas toujours daccord entre eux. Pays dmocratique, la France tait oppose la guerre en Irak alors que le Royaume-Uni, autre dmocratie, y tait favorable. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Comme le souligne Steven Ekovich : Crer une organisation aussi idologique en politique trangre ne peut que conduire saliner les exclus au risque quils forment leur propre organisation. On revient une logique de blocs comme au temps de la Guerre froide .

Et quen serait-il avec Barack Obama ?

Plus jeune, n dun pre africain, lev plusieurs annes en Asie, Barack Obama apparat naturellement plus ouvert sur le monde, donc plus favorable au dialogue entre les cultures et un monde multipolaire. Plusieurs de ses dclarations vont en ce sens : Nous devons reconstruire les alliances des Etats-Unis avec les autres pays. Pendant huit ans, nous avons pay le prix dune politique trangre qui donne des leons sans couter . Ou devant 200 000 personnes enthousiastes Berlin : Notre gnration doit laisser sa marque dans lHistoire. Face au terrorisme, au rchauffement climatique, la drogue, la prolifration nuclaire, nous ne pouvons pas nous permettre dtre diviss. Le 21 sicle sest ouvert sur un monde plus interdpendant que jamais. Les murs entre les races et les tribus, entre les indignes et les immigrants, entre Chrtiens, Musulmans et Juifs ne peuvent pas rester debout .
Le snateur dmocrate de lIllinois adopte un discours plus universaliste ; il est clairement sensible aux problmes des pays en dveloppement (voir larticle ci-aprs : Un intrt pour le dveloppement qui reste confirmer). Il est favorable llargissement du Conseil de scurit de lOnu lInde, au Brsil, au Japon et lAfrique du Sud. Il entend dialoguer avec tous et comprend que les conflits nont pas que des solutions militaires. Il ne faut cependant pas se bercer dillusions. Barack Obama sera le prsident des Etats-Unis, pas du reste du monde, et il dfendra toujours les intrts amricains en priorit. Sur certains dossiers, comme le conflit isralo-arabe, il a dj recentr son discours. Ses propositions restent trs dures contre lAfghanistan et le Pakistan, contre les Etats-voyous, contre le terrorisme et la prolifration nuclaire. Sa thorie des alliances pourrait lamener demander lEurope de renforcer sa prsence militaire en Afghanistan. Au demeurant, souhaite-il un monde multipolaire ou, au contraire, renforcer lefficacit des actions unilatrales des Etats-Unis grce des coalitions sur mesure ? On ne le sait pas. Sil est lu la Maison-Blanche, Barack Obama assouplira certainement la politique trangre de George Bush. Mais il ne rvolutionnera pas la diplomatie amricaine. Sur de nombreux dossiers, ses positions ne sont pas si loignes de celles de John McCain.

Jean Piel

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