Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

03/09/2008
Questions internationales (1)
Soixante ans de rivalit intercorenne


(MFI) La Core du Nord fte le 60me anniversaire de son indpendance le 9 septembre ; la Core du Sud la clbr le 15 aot. Entre les deux frres ennemis, la tension reste vive, mme si aujourdhui le climat est lapaisement. Entre, au Nord, une dictature communiste sur-arme et exsangue financirement et, au Sud, une dmocratie lconomie florissante et la socit dynamique, le foss est immense ; la runification reste un projet trs lointain.

Quelles sont les diffrences politiques entre les deux Core ?

Selon la lgende, la Core aurait t cre au mont Paektu, dans la moiti nord de la pninsule, suite lunion dun tigre et dune ourse. Le mariage de la force et de la flinit. La lgende se perptue : il y a aujourdhui autant de diffrences entre les deux Core quentre un tigre et une ourse.
Bref rappel historique : la fin de la Seconde guerre mondiale, la pninsule est divise en deux zones la hauteur du 38 parallle, le Nord gr par lURSS, le Sud par les Etats-Unis. Les deux entits proclament leur indpendance en 1948 (le 15 aot pour le Sud, le 9 septembre pour le Nord) sous la tutelle de leurs mentors respectifs. En 1950, avec le soutien des armes chinoises et sovitiques, la Core du Nord envahit la Core du Sud dfendue par les troupes des Nations unies, surtout composes de soldats amricains. En 1953, un armistice est sign qui gle la division de la pninsule. La partition de notre pays est une survivance de la guerre froide, regrette Park Sun-Song, professeur dtudes nord-corennes luniversit de Soul. Politiquement, les deux pays ont dabord suivi des chemins parallles : une dictature communiste au Nord, proche de Moscou et Pkin ; une dictature militaire au Sud, soutenue par Washington.
A Soul, le pouvoir est dtenu par Syngman Rhee, puis partir de 1961 par le gnral Park Chung-Hee qui dirige le pays dune main de fer. A lpoque, le seul nom de la sinistre prison de Namsan, o sont dtenus les opposants, suffit faire taire les contestataires. Les militants pro-dmocratie sont accuss dtre des agents nord-corens. Park Chung-Hee est assassin en 1979 et remplac par un autre gnral, Chun Doo-Hwan. Ce nest qu la fin des annes quatre-vingt que le pays se libralise par tapes. Les Jeux olympiques de 1988 louvrent sur le monde. Le succs conomique amne les citoyens rclamer plus de liberts politiques aprs avoir obtenu un meilleur niveau de vie. Le grand virage dmocratique est pris en 2000, avec llection la magistrature suprme de Kim Dae-Jung, un ancien dissident, prix Nobel de la paix, que le rgime de Park Chung-Hee avait tent dassassiner. Aujourdhui, la Core du Sud est une dmocratie, sappuyant sur une socit civile dynamique. Fier de son identit asiatique, le pays a conserv de sa tradition confucenne un sens aigu de la hirarchie et du formalisme.
Le scnario est diffrent au Nord. De 1948 1994, le pays a t dirig sans interruption par Kim Il-Sung, surnomm le Grand leader ou le Prsident ternel. A sa mort, cest son fils Kim Jong-Il qui lui succde, faisant de Pyongyang la premire dynastie communiste de la plante. Toujours vtu dun survtement beige et le visage cach par de grosses lunettes, Kim Jong-Il est le matre incontest dune des pires dictatures. La libert de la presse est bannie ; le multipartisme aussi. Internet est interdit et les tlviseurs bloqus en usine sur la seule chane existante. Se dplacer lintrieur du pays suppose une autorisation pralable. Amnesty International estime entre 500 000 et un million le nombre de prisonniers politiques (sur 23 millions dhabitants), dont des familles entires relgues en camps de travail. Le culte de la personnalit tourne au dlire, les Nord-Corens devant tous par exemple porter un badge leffigie de Kim Il-Sung ou Kim Jong-Il. Cest un rgime stalinien, coup du monde, paranoaque, ruin, mais sur-arm et possesseur de la bombe atomique , rsume Bruce Cumings, professeur de relations internationales luniversit de Chicago. Chaque anne, des centaines de Nord-Corens cherchent fuir le pays au pril de leur vie. Quant aux ambitions nuclaires de Pyongyang, elles alimentent la tension dans la pninsule (voir article ci-aprs).

Les diffrences conomiques sont-elles aussi marques ?

Lhistoire conomique de la rgion suit deux courbes inverses. Pendant plus de vingt ans, la Core du Nord ralise de meilleures performances que sa rivale du Sud. Lors de la partition, le Nord a hrit des terres les plus fertiles. Son industrie lourde lui a valu un temps le surnom dAllemagne de lEst de lAsie , rappelle Park Sun-Song. Cest au milieu des annes soixante-dix que les courbes se croisent en faveur de Soul.
Aujourdhui, lconomie nord-corenne est au bord du gouffre. Les causes sont plurielles. Le systme repose sur la doctrine du Juche, lautosuffisance, qui a vite montr ses limites dans une conomie centralise, o la proprit prive est interdite. La chute de lURSS et la conversion de la Chine lconomie de march sonnent la fin des changes-marchandises. Moscou et Pkin exigent dtre pays en devises, ce qui porte un coup terrible un pays qui exporte peu, sans hydrocarbures. Isol politiquement, Pyongyang lest aussi conomiquement. Les infrastructures sont obsoltes, les coupures de courant frquentes, les usines tournent 30 % de leurs capacits. En outre, larme absorbe 25 % du budget de la nation. Des catastrophes naturelles parachvent la situation. En 1995, des inondations ruinent une agriculture dj peu productive. Sen suit une famine qui fait au moins un million de morts. Le Programme alimentaire mondial lance alors la plus grande opration de son histoire pour sauver des millions daffams. Mais le gouvernement, inquiet de cette intervention (quil a sollicite), gne le travail des Ong. La communaut internationale est aussi responsable. Les Etats-Unis, le Japon, lEurope, la Core du Sud, ont utilis laide alimentaire pour obtenir des concessions politiques de Pyongyang , dnonce Andrew Natsios, dans The Great North Korean Famine.
Aujourdhui, le PAM sinquite nouveau : les inondations de lt 2007, conjugues la chute des aides chinoises et sud-corennes, rveillent le spectre de la famine. Les rcoltes sont 20 % infrieures au besoin pour nourrir une population qui vit dj dans la pnurie ; 40 % des enfants sont malnutris et six millions de Nord-Corens dpendent de laide internationale pour survivre. Selon un rapport de la Banque de Core (Soul) : Lconomie nord-corenne continue de se dtriorer. Le PIB a recul de 2,3 % en 2007. Le revenu annuel par habitant est de 650 dollars. Pourtant, comme le souligne Bruce Cumings : Le pays dispose de potentiels. Il a des mines, des terres et une population bien forme. Tt ou tard, il devra suivre le modle chinois : libralisation conomique et fermet politique.

Et en Core du Sud ?

A Soul, la situation est bien plus confortable. Selon la Banque mondiale, le PIB est de 888 milliards de dollars et le revenu annuel par habitant de 19 000 dollars. Plus pauvre que le Bangladesh en 1971, cest aujourdhui la 11 conomie mondiale ; un dragon asiatique qui a trouv sa place entre ses puissants voisins chinois et japonais. Si les Sud-Corens dnoncent la dictature du gnral Park Chung-Hee, beaucoup le vnrent comme le pre du dveloppement. Ses recettes : rtablissement des relations avec le Japon pour acqurir des technologies, gnralisation de lducation, longues heures de travail et salaires modestes, priorit aux exportations sur la consommation intrieure, cration des chaebols, ces conglomrats (comme Samsung ou Hyundai) qui fabriquent tout, du stylo-plume au super-tanker
Ds les annes quatre-vingt, la Core du Sud enregistre des taux de croissance deux chiffres. Au fil des ans et de la libert syndicale, les salaires et les conditions de travail samliorent. La crise financire de 1997 va donner un coup de frein la formidable croissance du pays. En change dun prt de 57 milliards de dollars du FMI, Soul doit assainir son systme bancaire, couper le cordon maudit entre le pouvoir politique et le monde des affaires, obliger les chaebols se spcialiser Une chance finalement. Aujourdhui, le taux de croissance est de 5 %, le chmage de 3,2 %, linflation de 2 %. Surtout, le pays nest plus un fabriquant de t-shirt et rveils bon march. Cest un lieu dinnovation, de crativit. En 2007, Soul tait le 4 dposant de brevets au monde. Si vous achetez un tlviseur cran plat ou un tlphone portable dernier cri, il y a de grandes chances quil soit sud-coren.

La runification des deux Core est-elle une illusion ?

Une illusion non, mais un rve probablement lointain. Soixante ans de division, cest peu par rapport nos 4000 ans dhistoire commune. Nous sommes un mme peuple, nous partageons la mme culture, les mmes racines , plaide Park Sun-Song. Mais le professeur dtudes nord-corennes luniversit de Soul sait aussi que 80 % des Sud-Corens sont ns aprs la partition. Dans les discours, chacun est favorable la runification, mais personne ne veut rduire son train de vie pour elle. Les Sud-Corens ont moins de compassion pour leurs voisins du Nord quauparavant. Plus que comme des frres, ils les voient comme des cousins avec lesquels ils esprent entretenir de bonnes relations, mais pas vivre dans la mme maison , explique Lee Jun-Bak, journaliste au quotidien Chosun Ilbo.
Aprs quelques changes timides dans les annes soixante-dix, la fin de la guerre froide a permis dacclrer les tentatives de rapprochement. Le 13 dcembre 1991, Soul et Pyongyang signent un accord de rconciliation, de non-agression et de coopration par lequel chacun reconnat le systme politique de lautre et sinterdit toute ingrence dans les affaires intrieures. On assiste alors des visites rciproques de ministres ; les Croix-Rouge organisent des rencontres entre familles spares. Mais les ambitions nuclaires de Pyongyang, ses voltes-faces imprvisibles, annulent les progrs.
Il faudra attendre juin 2000 et le premier sommet intercoren depuis 1948, entre les prsidents Kim Dae-Jung et Kim Jong-Il, pour que renaisse lespoir dun apaisement dans la pninsule. Lvnement est historique. En octobre 2007, un second sommet intercoren est loccasion dun accord de paix et de prosprit qui prvoit de transformer lactuel armistice en un rgime de paix permanent . Comme le rappelle Park Sun-Song : Le premier sommet intercoren avait une force symbolique norme, mais il tait rest au niveau des dclarations de bonnes intentions. L, des mesures concrtes ont t adoptes ; on a parl de paix, de coopration. Cest un tournant stratgique dans la Pninsule.
Les changes conomiques sont dsormais une ralit. Des liaisons maritimes et ferroviaires ont repris de part et dautre du 38 parallle. Le commerce bilatral certes modeste a augment de 28 % depuis 2004. En 2003 a t inaugur Kaesong, en Core du Nord, le premier complexe industriel intercoren. L, une vingtaine dentreprises sud-corennes emploient 12 000 ouvriers nord-corens sous lil de cadres venus de Soul. Lobjectif est quen 2012, 1 800 entreprises emploient 350 000 personnes. La Core du Sud apporte les capitaux, les technologies et les dbouchs commerciaux ; la Core du Nord une main duvre docile et bon march (20 fois moins cher quau Sud) et des terrains perte de vue. Pour Koh Yu-Hwan, conomiste la Korea Exchange Bank : Kaesong a des objectifs autant commerciaux que politiques. Cest un lment de la Sunshine policy, la politique douverture vers le Nord. Aprs des dcennies de mfiance, voire de haine rciproque, on ne peut pas se rconcilier du jour au lendemain. Il faut dj apprendre travailler ensemble, avoir des objectifs communs au sein dune entreprise. Puis on voluera vers des sujets plus sensibles, un dialogue plus politique. Cest une stratgie des petits pas, mais cest la seule possible vue lampleur du foss entre les deux Core.
Mais la dtente reste fragile. Le 11 juillet dernier, une touriste sud-corenne a t tue par des soldats nord-corens au mont Kumgang, un site situ au Nord mais ouvert au tourisme dans le cadre du rchauffement entre les deux pays. La touriste a par erreur franchi une zone interdite ; les soldats ont tir sans sommation. Un incident qui donne du grain moudre au prsident sud-coren Lee Myung-Bak. Elu en dcembre dernier et issu du parti conservateur, celui-ci est partisan dune plus grande fermet lgard de Pyongyang, estimant notamment que lamlioration des relations bilatrales exige un meilleur respect des droits de lhomme en Core du Nord.

Quels obstacles empchent une totale rconciliation entre les deux Core ?

Le rgime nord-coren est imprvisible, capable un mois de se fliciter du rapprochement entre deux nations qui culturellement nen font quune , et le mois suivant de menacer de noyer Soul sous un dluge de feu . Enferm dans son idologie, coup du monde, le Royaume ermite ainsi quon surnomme Pyongyang abuse de son potentiel nuclaire pour entretenir la tension dans la rgion.
Aprs soixante ans dindpendance, les deux pays ont volu de faon si diffrente que leur soit-disant proximit historique, culturelle, linguistique na plus de sens. Les rfugis nord-corens ont dailleurs beaucoup de mal sadapter la vie au Sud. Un gouffre spare la Core du Nord pauvre, recluse et dictatoriale, de la Core du Sud dmocratique, riche, innovante, consumriste outrance et qui constitue mme un modle dans le reste de lAsie pour la faon dont elle russit concilier respect des traditions et modernit. Ainsi, les vedettes de la chanson et du cinma sud-coren sont des stars partout en Asie. Personne Soul ne veut perdre ces avantages pour un rapprochement avec un Nord dont on a toujours dit le plus grand mal.
Enfin, la diplomatie sen mle. La Chine ne veut pas dune runification, redoutant ses frontires une Core riche, dmocratique et dote de larme atomique. Les Etats-Unis non plus car ils perdraient leur influence dans la rgion et ne pourraient plus justifier la prsence de 30 000 GIs en Core du Sud. Pour Pyongyang, la runification serait synonyme de la fin du rgime. Ayant tudi le prcdent allemand, Soul redoute la facture de la runification, mais entend amliorer ses relations avec son voisin quelles que soient les pressions contraires de Washington. Finalement, le statu quo arrange tout le monde.

Jean Piel

retour