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03/09/2008 | |||
Questions internationales (2) Une pninsule sur-arme et nuclarise | |||
(MFI) Les ambitions nuclaires de la Core du Nord font de la pninsule une rgion particulirement instable. Certains accusent les Etats-Unis denvenimer la situation afin de conserver leur influence militaire et conomique dans cette partie du monde. Des ngociations, menes notamment sous les auspices de la Chine, ont permis dapaiser la tension. Mais la situation reste incertaine. | |||
Sur 250 km de long et 4 km de large, un no mans land spare hermtiquement les deux Core. Un couloir appel la DMZ (pour zone dmilitarise), bord dune triple range de barbels, de mines et de chevaux de frise. Vide de toute prsence humaine depuis soixante ans, lendroit qui traverse des prairies, des forts et des collines escarpes est devenu un sanctuaire pour la biodiversit animale et vgtale. Mais si la DMZ, comme son nom lindique, est vide de tout arsenal, ce nest pas le cas des provinces qui la bordent, et la pninsule est aujourdhui lune des rgions les plus militarises du monde. Des effectifs militaires records Juste au sud de la DMZ sont dployes les troupes des Nations unies (essentiellement amricaines) charges de faire respecter larmistice qui a mis fin la guerre de Core en 1953. En effet, seul un armistice a t conclu lpoque, et techniquement les deux voisins sont toujours en guerre. Une situation qui oblige Soul entretenir une arme importante de 672 000 soldats et 4,5 millions de rservistes. Le service militaire obligatoire reste long vingt-sept mois ce qui est mal accept par la jeunesse dun pays dsormais moderne et dmocratique. En 2007, le budget militaire sud-coren tait de 22 milliards de dollars, soit le 11 mondial. Surtout, 30 000 soldats amricains stationnent en permanence en Core du Sud. En cas de guerre, le commandement militaire de lensemble des armes (amricaines et sud-corennes) est exerc par les Etats-Unis. Une limite la souverainet de la Core du Sud et un moyen de pression diplomatique et conomique trs fort de Washington sur Soul. Cette dernire a cependant appris composer avec cette contrainte. Au nord de la DMZ est positionne la puissante arme nord-corenne : 1,2 million dengags et 4,7 millions de rservistes, soit la 5 arme au monde et la 1re si on rapporte son effectif la population (49 soldats pour 1000 habitants). Dans un pays au bord de la ruine et qui connat une pnurie alimentaire chronique, cette arme absorbe nanmoins 25 % du budget de la nation. Son arsenal est impressionnant : 530 avions de combat, 90 hlicoptres dattaque, 4600 chars dassaut, 2700 lance-roquettes. Mais comme lcrit la revue britannique Janes Weekly Defense Review : Vues les difficults conomiques du pays, il nest pas certain que tout cet arsenal soit oprationnel. Les avions notamment sont souvent mal entretenus et leur quipement obsolte. La Core du Nord dans laxe du mal La plus grave menace et source dinstabilit pour la pninsule reste la politique nuclaire de Pyongyang. Un dossier o sentrecroisent les ambitions des dirigeants nord-corens et le jeu diplomatique des Etats-Unis. Le potentiel atomique du rgime communiste est connu ds 1989. Mais en 1992 est sign entre Soul et Pyongyang un accord de dnuclarisation. Accord que le Nord tarde mettre en uvre ; il nadmet pas le principe de contrles surprises de lAgence internationale de lnergie atomique (AIEA). La crise saggrave. En 1994, un accord est trouv 0in extremis avec Washington : la Core du Nord gle son programme denrichissement duranium ; en change, la communaut internationale lui fournit deux centrales nuclaires eau lgre (dont lnergie est plus difficile dtourner des fins militaires) et du ptrole. La Maison blanche sengage aussi lever les sanctions conomiques en vigueur contre Pyongyang depuis la guerre de Core. Mais soumis la pression de la majorit rpublicaine du Congrs, le prsident dalors, Bill Clinton, trane mettre en uvre cet accord, puis annule la visite quil devait effectuer Pyongyang. Les dirigeants nord-corens se sentent flous. En 2000, George Bush est lu la tte des Etats-Unis. Pour des raisons tant idologiques que stratgiques, il nentend pas faire preuve de la mme mansutude que son prdcesseur lgard dun rgime dictatorial et imprvisible, dont on sait quil vend des armes des pays et des mouvements rebelles peu recommandables, et quil participe aux programmes nuclaires pakistanais et iranien. En 2002, les Etats-Unis placent la Core du Nord dans laxe du mal , puis ils laccusent sans apporter de preuves davoir repris son programme denrichissement duranium. La raction de Pyongyang ne se fait pas attendre ; cest le dbut de lescalade. Essai nuclaire et appel au secours En dcembre 2002, le Royaume ermite ainsi quon surnomme la Core du Nord annonce la relance de son programme atomique et expulse les inspecteurs de lAIEA. En janvier 2003, il se retire du TNP, le trait de non-prolifration nuclaire, et teste un missile de moyenne porte. Le 10 fvrier 2005, nouvelle tape : Pyongyang se proclame puissance atomique, affirmant avoir fabriqu des armes nuclaires par mesure dautodfense contre la politique amricaine disolement et dtouffement . Le 5 juillet 2006, cest lessai du missile Taepodong-2, dune porte de 6700 km et pouvant tre quip dune ogive nuclaire. Dans les chancelleries occidentales comme Soul, linquitude grandit. Les sanctions conomiques adoptes contre le rgime stalinien, le chantage laide alimentaire semblent inutiles. Le 9 octobre 2006, la Core du Nord procde un essai atomique souterrain, devenant ainsi la 9 puissance nuclaire de la plante. Les condamnations sont unanimes ; mme la Chine dernier alli de Pyongyang vote lOnu de nouvelles sanctions contre Pyongyang. Mais pour Bui Xuan Quang, professeur de relations internationales luniversit Paris X : Plus quune provocation, cet essai nuclaire est un appel au secours, un aveu de faiblesse de Pyongyang. A la diffrence des autres dtenteurs de larme atomique, la Core du Nord ne cherche aucune influence politique. Son objectif est la survie du rgime. Ce test est un ultime effort pour imposer aux Etats-Unis un dialogue sur la normalisation de leurs relations. Une analyse que partage Selig Harrison, du Center for International Policy, Washington : Les Etats-Unis ont souvent envenim la situation dans la pninsule car une paix entre les deux Core signifierait pour eux la fin de leur influence dans la rgion. En 1991, Soul et Pyongyang signent un accord de coopration ; en 1993, Washington exige une surveillance accrue des sites nuclaires nord-corens. En 2000, cest le sommet intercoren historique entre les prsidents Kim Dae-Jung et Kim Jong-Il ; en 2002, Pyongyang est plac dans lAxe du mal. Or, les dirigeants nord-corens vivent dans la crainte, la paranoa mme, dune attaque amricaine. Les errements de ladministration Bush ont conduit en 2006 une situation pire quelle ne ltait en 2002. Au demeurant, les spcialistes amricains du renseignement reconnaissent que les accusations portes en 2002 contre Pyongyang sont de mme nature que celles portes contre lIrak lorsque Washington affirmait que Bagdad dtenait des armes de destruction massive. Un apaisement encore incertain Certes, les Etats-Unis nont pas tre seuls blms ; la Core du Nord porte une large responsabilit dans cette crise. Elle est passe matre dans lart du chantage, faisant des concessions puis revenant sur ses promesses, menaant de noyer Soul sur un dluge de feu puis sengageant la paix dans la rgion, continuant armer des pays instables et des rbellions, ayant surtout effectivement des ambitions nuclaires. Reste que les sanctions conomiques sont peu efficaces contre un pays ruin et reclus ; une intervention militaire est exclue, Soul et ses 22 millions dhabitants se trouvant moins de 50 km de la frontire nord-corenne. Les Etats-Unis ont donc d cder et accorder la priorit la diplomatie dans le cadre de ce quon appelle les ngociations six (Chine, Etats-Unis, Russie, Japon et les deux Core), inaugures en 2003. Un moyen aussi de contrer linfluence croissante de Pkin. Un an aprs lessai nuclaire nord-coren, un accord de dnuclarisation tait sign le 3 octobre 2007. Pyongyang annonait le gel de ses activits nuclaires et la fermeture de la centrale de Yongbyon, au cur de son programme atomique ; fermeture confirme par lAIEA. En change, la communaut internationale a lev les sanctions conomiques et repris ses livraisons de ptrole et daide alimentaire. Le Royaume ermite espre galement des garanties sur sa scurit et la normalisation de ses relations avec Washington. Aujourdhui, lheure est lexpectative. En juin dernier, Pyongyang a dtruit la tour de refroidissement de la centrale de Yongbyon et remis lAIEA un inventaire dtaill de ses activits et installations atomiques. Mais les Etats-Unis jugent cela insuffisant et exigent lacceptation dun mcanisme de vrification, comprenant notamment des inspections surprises de lAIEA ; dfaut de quoi, nous ne retirerons pas la Core du Nord de la liste des Etats soutenant le terrorisme, la privant de laccs aux crdits internationaux , a dclar la Maison blanche. Nouvelle fureur des autorits nord-corennes qui, le 14 aot, ont interrompu le dmantlement de leurs installations nuclaires, menaant mme de remettre en service la centrale de Yongbyon. Les experts se perdent en conjectures sur la situation actuelle. Certains estiment que les Etats-Unis ne jouent pas franc jeu, dautres quil est impossible de faire confiance la Core du Nord qui utilisera nimporte quel prtexte pour reprendre ses activits nuclaires, dautres encore quil ne sagit que dune crise passagre mais que la dnuclarisation de la pninsule est bien engage. Il faudra probablement attendre les lections amricaines du 4 novembre 2008 pour voir comment le dossier voluera. | |||
Jean Piel | |||
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