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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

09/09/2008
Questions internationales (1)
Comment rformer lOnu ?


(MFI) LAssemble gnrale annuelle de lOrganisation des Nations unies souvre ce mardi 16 septembre. Parmi les dossiers prioritaires : la situation au Darfour, les ambitions nuclaires de lIran, linstabilit au Proche-Orient, la crise du Caucase Le tout sur fond dlection prsidentielle amricaine. Cette runion est aussi loccasion de sinterroger sur les moyens de rformer une institution ge de 63 ans, souvent critique pour son manque defficacit, mais qui reste le seul forum de dialogue plantaire.

Lide de rformer lOnu est-elle si nouvelle ?

Jai une grande foi dans lOnu. Mais nous devons rformer cette organisation sexagnaire pour la rendre plus pertinente et plus efficace. Ainsi sest exprim Ban Ki-moon, lactuel secrtaire gnral des Nations unies, lors de son discours daccueil en dcembre 2006.
Rformer lOnu semble impratif quiconque sintresse linstitution charge de maintenir la paix dans le monde et de favoriser le dveloppement harmonieux des nations. La persistance de nombreux conflits, les ravages provoqus par les pidmies et la misre, les ingalits croissantes entre pays industriels et pays pauvres permettent dironiser facilement sur linefficacit des Nations unies. Ce serait oublier un peu vite que lOnu nest que ce que ses 192 Etats membres en font. Elle ne dispose pas de pouvoir daction autonome. En outre, la Maison de verre comme on la surnomme a profondment volu depuis sa cration le 26 juin 1945. LOnu des annes cinquante est diffrente de celle des annes de dcolonisation. LOnu de la Guerre froide a chang aprs la chute du mur de Berlin. Celle du rve dun monde multipolaire dans les annes quatre-vingt-dix a perdu ses illusions aprs le dclenchement de la guerre amricano-britannique en Irak, en 2003, contre lavis du Conseil de scurit.
Le prcdent secrtaire gnral, Kofi Annan, avait fait de la rforme de lOnu un combat personnel. En 2004, un comit de juristes de rputation internationale parmi lesquels le Franais Robert Badinter lui avait remis un projet en 101 propositions, dont il sest inspir pour prsenter son rapport intitul Investir dans lOrganisation des Nations unies pour lui donner les moyens de sa vocation mondiale. Parmi les ides-forces : llargissement du Conseil de scurit, la refonte de ladministration interne, la simplification des modes dintervention des casques bleus, un pouvoir accru pour la Commission des droits de lhomme Kofi Annan esprait que le 60 anniversaire des Nations unies, en 2005, soit aussi celui de sa grande rforme. En vain. Lopposition tant des grandes puissances que des pays de moindre influence (les Etats-Unis ne doivent pas ici servir de bouc-missaire) a eu raison des espoirs de lex-secrtaire gnral de lorganisation.

Quelle rforme apparait aujourdhui prioritaire ?

Cest une lapalissade, mais le monde nest plus le mme aujourdhui quen 1945. Que les 5 puissances de lpoque dominent encore le Conseil de scurit grce leur droit de veto est donc discutable. Pour que ce Conseil organe suprme du pouvoir lOnu soit plus reprsentatif, lide est de llargir 24 membres (contre 15 aujourdhui) dont 6 nouveaux membres permanents (il y en a 5 actuellement). Parmi ces six nouveaux membres permanents, un serait europen (lAllemagne), un amricain (le Brsil), deux asiatiques (lInde et le Japon), deux africains (lEgypte, le Nigeria ou lAfrique du Sud). Apparemment logique, ce projet a suscit des jalousies rgionales : lItalie napprciait gure la promotion de lAllemagne, la Chine celle du Japon et le Pakistan celle de lInde. Quant aux pays africains, ils nont pas trouv daccord pour dsigner leurs deux reprsentants. En outre, les cinq membres permanents nentendaient pas partager leur pouvoir. Un obstacle contourn par Kofi Annan qui avait suggr que, dans un premier temps, les nouveaux membres permanents ne disposent pas du droit de veto. Cela na pas suffi ; llargissement du Conseil de scurit est rest lettre morte. Comme le souligne, dans Le Monde, le politologue Bertrand Badie : Une rforme de lOnu est impossible court terme puisquelle exige non seulement le vote des trois-quarts de lAssemble gnrale, mais aussi lapprobation des cinq membres permanents du conseil de scurit.
Favorable des rformes, Ban Ki-moon ne fait cependant pas de llargissement sa priorit. Un tel largissement sil aurait le mrite de rendre le Conseil de scurit plus reprsentatif, voire plus dmocratique ne ferait pas de lOnu une institution plus efficace. Plus de pays disposer du droit de veto, cest plus de risques de bloquer les initiatives. Cest ce quexplique Bertrand Badie : Penser quon puisse faire lconomie de la puissance dans les dcisions internationales est naf. Le droit de veto signifie quaucun grand dossier ne peut progresser sans engager les grandes puissances qui, dans le cas contraire, se rfugieraient dans lunilatralisme. Donc, le droit de veto permet paradoxalement un quilibre : il rvle lengagement des grandes puissances dans un processus multilatral. Lide sous-jacente est que, pour mener bien ses missions, lOnu ne doit pas tre reprsentative de la plante, mais tre dirige par les dmocraties stables, minoritaires certes mais seules mme de dfinir un nouvel ordre mondial. Pourquoi lInde qui, soixante ans aprs sa cration na toujours pas rsolu le conflit du Cachemire, devrait-elle avoir un rle leader lOnu ? Pourquoi le Nigeria, incapable de consacrer sa manne ptrolire au bien-tre de sa population, devrait-il disposer dun sige permanent au Conseil de scurit ? Lide scandalise les pays du Sud, qui peuvent rtorquer que les actuels membres permanents du Conseil de scurit ne sont pas toujours des facteurs de stabilit de la plante. Mais ces derniers nentendent pas perdre le contrle de leur politique trangre. On pourrait argumenter a contrario que, loin de bloquer linstitution, davantage de membres permanents au Conseil de scurit signifierait des rsolutions approuves par une plus grande diversit de pays, donc mieux appliques. Tant que le Conseil de scurit se verra comme un conseil de tutelle des affaires du monde, rien ne changera , conclut Bertrand Badie.

A quelle rforme Ban Ki-moon est-il attach en priorit ?

Fidle sa rputation de bourreau de travail, austre et proche des Etats-Unis, Ban Ki-moon insiste sur la rforme de la machine onusienne. Une machine qui emploie 60 000 personnes (160 000 avec les casques bleus), dispose dun budget de 8 milliards de dollars, mne des missions de la paix dans 20 pays et enregistre un dficit de prs de 3 milliards. Kofi Annan le disait dj : Nos structures administratives sont inadaptes aux dfis que lOnu doit relever chaque jour. Pour Ban Ki-moon : Il faut davantage de cohrence et de coordination entre les agences de lorganisation. Jattends des salaris de lOnu un dvouement total et un sens du travail en quipe. Je veux changer la culture onusienne.
Comme toute grande organisation, la Maison de verre est connue pour ses lourdeurs, ses gaspillages, ses luttes de clans Comme le racontait dans Le Monde lIndien Shashi Tharoor, secrtaire gnral-adjoint et romancier de renom : Kofi Annan na pas russi imposer aux Etats la rforme en profondeur qui tait ncessaire. Mais il a amlior le systme, le rendant plus cohrent, crant un esprit dquipe, cassant des baronnies. Mais beaucoup reste faire () Le service de traduction met parfois deux mois traduire six pages. Il faut un an pour embaucher une personne vue les rglements. Il est plus facile de tolrer des fonctionnaires qui ne travaillent pas que de perdre du temps engager une procdure disciplinaire (...) Le rsultat est une Onu deux vitesses o de jeunes agents, idalistes, dvous, qui prennent des risques, dpendent de bureaucrates dont le manque denthousiasme trahit les idaux des premiers.
Evoqu par Ban Ki-moon, le manque de cohrence entre les agences onusiennes (Unicef, HCR, OMS) conduit des gaspillages, des doublons entre les missions, des actions menes davantage selon leur visibilit mdiatique que leur utilit relle, des risques de corruption Vingt agences interviennent parfois dans le mme pays sur des programmes de moins dun million de dollars chacun. Cette fragmentation des contributions entrane des cots administratifs levs et une moindre efficacit , tmoigne, dans Le Monde, un fonctionnaire onusien. Ban Ki-moon entend donc sattaquer cette gabegie, sans prciser comment pour linstant, mais sans cacher que les mthodes du secteur priv ne le rebutent pas.

Quelles rformes internes Ban Ki-moon a-t-il men jusqu prsent ?

Le secrtaire gnral de lOnu, de nationalit sud-corenne, a tendu tous les fonctionnaires de lorganisation le code thique mis en place aprs le scandale Ptrole contre nourriture, et jusque-l rserv aux seuls agents du secrtariat gnral. Onze fonctionnaires ont ainsi t licencis pour corruption. De mme, une vaste enqute est mene sur tous les marchs passs par lOnu. Des irrgularits portant sur 600 millions de dollars ont dj t identifies, surtout lors des missions de maintien de la paix. Il ne sagit pas toujours de fraudes, mais du non-respect de lobligation de mettre en concurrence les fournisseurs ou de comptabilits peu scrupuleuses, ne suivant pas les taux de change au jour le jour par exemple.
De mme, tous les chefs de dpartements ont d rendre compte des missions confies leurs quipes. Cela navait jamais t fait depuis la cration de lOnu il y a 63 ans. Une enqute confie Alicia Barcena, lancienne chef de cabinet de Kofi Annan, rpute pour sa rigueur. On a alors ralis que des milliers de missions doublonnaient ou taient finances alors quelles nexistaient que sur le papier. L encore, de substantielles conomies en perspective. Enfin, le dpart la retraite de la moiti des cadres du secrtariat gnral dici cinq ans sera loccasion de rduire un personnel notoirement plthorique. Autre projet : externaliser de nombreux services comme la communication, la gestion du personnel, la traduction Objectif : rduire les cots, amliorer la transparence dune organisation o lon ne sait pas toujours qui fait quoi, simplifier la gestion quotidienne. Dj, la Banque mondiale une institution spcialise de lOnu fait faire sa comptabilit Madras, en Inde. Les syndicats montent au crneau, mais ils savent ces volutions inluctables.
On pourrait objecter que ces rformes ne sont que de la cuisine interne , quelles sont loin du souffle des rformes ncessaires concernant la dfense des droits humains ou les oprations de maintien de la paix. Certes. Mais ces rformes internes visent aussi amliorer lefficacit de lOnu sur le terrain, en rationnalisant ses missions. Elles permettent galement de couper lherbe sous le pied des pays qui, comme les Etats-Unis, nprouvent gure de sympathie pour lOnu et tirent prtexte de sa gabegie financire pour limiter leur participation.

Quelles missions de lOnu ont-elles t rformes ces dernires annes ?

Une volution majeure de la scne internationale ces dernires annes est lapparition de nouvelles menaces (comme le terrorisme) et la multiplication des conflits intrieurs. Des menaces contre lesquelles lopinion publique attend une rponse de lOnu, mais contre lesquelles celle-ci est mal arme. Sa charte exclut en effet toute ingrence dans les affaires intrieures dun Etat membre. Les rgles dengagement des soldats de la paix doivent donc tre repenses (voir article ci-aprs). Une rforme importante a cependant t adopte le 28 avril 2006, savoir la rsolution 1674 qui cre une responsabilit de protger . Celle-ci prvoit que le Conseil de scurit peut recourir la force contre un Etat en cas de gnocide ou de crimes contre lhumanit contre son propre peuple. Cest la lgalisation du droit dingrence humanitaire, et la fin de limpunit pour les dictateurs. Une impunit dj mise mal par linauguration de la Cour pnale internationale indpendante, mais ne sous les auspices de lOnu le 1er juillet 2002.
Largement discrdite, la Commission des droits de lhomme a t remplace, en mars 2006, par le Conseil des droits de lhomme. Au-del de la smantique, lobjectif est une rigueur accrue. Le Conseil se runit trois fois par an pour un minimum de dix semaines (alors que la Commission ne tenait quune session annuelle) et il peut se runir durgence. Les Etats membres sont censs respecter les droits lmentaires de la personne et se soumettre une valuation annuelle. Ceux qui commettent des violations graves des droits humains pourront tre exclus du Conseil aprs un vote des deux-tiers de lAssemble gnrale. Par rapport la Commission, le pouvoir de surveillance du CDH est donc accru ; en tre membre exige plus de transparence. Les pays occidentaux souhaitaient des critres plus stricts pour bloquer laccession des pays notoirement liberticides. Mais les pays du Sud sy sont opposs, craignant que le CDH ne se transforme en un tribunal pour les juger selon les critres du Nord .
Les premires lections au Conseil des droits de lhomme ont vu la nomination de la Chine, de la Russie, de Cuba, de lArabie saoudite, du Pakistan. De quoi laisser dubitatif. Ce nouveau Conseil a dj vot 40 fois contre Isral, mais jamais contre le Soudan ni contre la Chine. Les Etats-Unis nont aucune raison de participer cette mascarade , temptait un diplomate amricain dans Le Monde. Directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth se veut plus optimiste : Certes, le CDH nest pas bien parti. Mais laissons-le sinstaller. Les rgles quil sest dfini reprsentent un pas dans la bonne direction. Il reste au temps les mettre en vigueur. Il faut faire preuve de ralisme et ne pas pcher par exigence dabsolu. Son existence est le fruit du meilleur compromis possible. Des pays comme la Chine ou la Russie sont si importants quil est prfrable de les associer au processus, plutt que de les exclure en les montrant du doigt.
Pour Victor-Yves Ghebali, professeur de relations internationales luniversit de Genve : Vouloir rformer lOnu, cest chercher rsoudre la quadrature du cercle. Rien ne sert de rparer le moteur si le problme vient du mauvais comportement du conducteur. Or, les maux qui affectent lOnu manent bien des conducteurs. Soit des membres du Conseil de scurit qui, linstar des Etats-Unis, de la Russie ou de la Chine, violent impunment les principes fondamentaux des Nations unies. Soit de certains pays du Sud qui, au nom de la dfense de leurs intrts nationaux ou par mfiance systmatique envers le Nord, ne se conduisent pas mieux.
Nanmoins, lOnu reste le seul forum de dialogue plantaire dont la lgitimit est inconteste. Ses domaines dintervention ne cessent de stendre : du maintien de la paix la scolarisation dans les pays du Sud en passant par la construction dinfrastructures ou la lutte contre le sida. Elle est mme dsormais charge de dfendre la plante contre le rchauffement climatique. La preuve que la Maison de verre, si elle est avec raison critique, suscite aussi espoir et respect.

Jean Piel

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