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23/09/2008
Questions internationales (2)
Jean-Charles Lallemand : Rien ne laisse esprer une dmocratisation de la Bilorussie


(MFI) Politologue spcialiste du monde russe, Jean-Charles Lallemand est lauteur, avec Virginie Symaniec, de Bilorussie, mcanique dune dictature (d. Les Petits Matins). Selon lui, le prsident Alexandre Loukachenko tient fermement les rnes du pouvoir, et il est peu probable que la Bilorussie connaisse, comme lUkraine, une rvolution dmocratique. La division de lopposition et le soutien de Moscou narrangent rien.

MFI : La rcente libration de trois dissidents permet-elle desprer des lections lgislatives plus dmocratiques ?

Jean-Charles Lallemand : Certainement pas. Il est plus facile, et plus visible en terme dimage pour le rgime, de librer trois personnes qui seront ensuite troitement surveilles que dorganiser des lections libres et honntes. Il ny a jamais eu beaucoup de prisonniers politiques en Bilorussie. Le pouvoir a compris que son intrt nest pas dabuser de la force, comme dans les annes quatre-vingt-dix lorsque des opposants ou des journalistes ont disparu. Sr de son emprise sur le pays, il prfre exercer une pression constante. Des tudiants sont exclus de luniversit, des ouvriers sont licencis, des manifestants sont dtenus 15 jours Cest un harclement permanent, moins visible mais plus efficace.
Rien ne laisse entrevoir des lections libres et dmocratiques. Le rgime dAlexandre Loukachenko refuse damender le code lectoral, ce qui interdit la transparence du dpouillement et celle des votes anticips, cest--dire les votes des salaris sur leur lieu de travail, des militaires dans les casernes ou des tudiants dans les universits. Jai t observateur pour lOSCE lors de llection prsidentielle de mars 2006. Nous avions interdiction de nous approcher moins de deux mtres des tables de dpouillement, la salle des dlibrations nous a t ferme et nous navons pas pu lire les procs-verbaux des rsultats. La prsence dobservateurs internationaux ne constitue en rien une garantie.
En outre, ces lections lgislatives ont t subitement avances par rapport au calendrier prvu. La collecte des signatures imprative pour tout candidat a donc t difficile pour les membres de lopposition. Peu dentre eux ont pu senregistrer auprs des commissions lectorales de chaque circonscription. Or cest l que se situe le cur de la fraude. Ces commissions lectorales de circonscription dtiennent tout le pouvoir lors des scrutins.

MFI : On dit nanmoins que des membres de lopposition pourraient tre lus au Parlement ?

J.-C. L. : Cest possible en effet. Il ny en avait aucun dans la prcdente lgislature. Mais cela ne signifie pas ncessairement un progrs. Dabord parce que le Parlement a peu de pouvoir ; le prsident Loukachenko contrle tout. Ensuite parce que seul ce dernier dcidera si des opposants sont lus et combien.
En outre, quoi serviront ces dputs ? Les partis dopposition ne sont pas daccord entre eux sur la stratgie adopter. Certains pensent que le Parlement leur offrira une tribune, quils y gagneront en libert dexpression, quil faut accepter cette politique des petits pas. Dautres redoutent de servir dalibi au rgime qui cherche se donner un vernis dmocratique, notamment auprs de lUnion europenne.
Dans un pays sans libert, lopinion publique est difficile sonder. Elle est certainement partage. Alexandre Loukachenko nest pas populaire, notamment du fait de la baisse du pouvoir dachat, des difficults de la vie quotidienne. Mais il apparat comme le garant de la stabilit du pays. La jeunesse duque connat les volutions politiques en Ukraine, en Pologne. Elle sait que Loukachenko est un dictateur, mais elle na pas les moyens dagir. En outre, que Loukachenko soit impopulaire ne signifie pas que les gens aient confiance en lopposition. Cette dernire est divise, elle est parfois finance par les Etats-Unis ou lUnion europenne, elle ne parle pas de politique sociale et sa capacit damliorer la vie quotidienne des habitants est quasi-nulle.

MFI : Peut-on imaginer en Bilorussie une rvolution orange comme en Ukraine ?

J.-C. L. : A lheure actuelle, cest impossible. Alexandre Loukachenko a totalement verrouill le systme. On na jamais vu nulle part de gnrations spontanes de dmocrates. En Ukraine, la rvolution orange a t mene par des Ong, des opposants, mais aussi des membres du srail, des proches du pouvoir qui avaient compris quune volution politique tait de leur intrt. Lopposition avait un groupe parlementaire, des ressources, un appareil Tout cela nexiste pas en Bilorussie. Lopposition est harcele, lamine, sans moyen. Je ne vois pas comment la Bilorussie pourrait se dmocratiser. Cela dautant que son seul soutien extrieur, la Russie, durcit son propre rgime politique.

MFI : Do pourrait venir la solution alors ?

J.-C. L. : Dans limmdiat il ne faut pas esprer dvolution politique positive en Bilorussie. Cela fait des annes quon entend dire quune telle dictature ne peut pas perdurer au cur de lEurope, mais au bout du compte Alexandre Loukachenko est toujours l et tient fermement les rnes du pouvoir.
Le changement pourrait peut-tre venir de lconomie. Dans ce domaine, lisolement nest pas viable long terme, et la dpendance financire et nergtique de Minsk lgard de Moscou est trop forte. On pourrait donc imaginer une ouverture conomique vers lUE qui favoriserait la multiplication des contacts, et terme une dmocratisation par tape du rgime. Mais il sagit dun scnario qui reste crire. Pour linstant, lconomie bilorusse nest pas menace deffondrement. Elle a ses faiblesses, ses retards, mais le tissu industriel se modernise progressivement. Mme si les relations sont tendues entre Minsk et Moscou notamment sur le dossier de lnergie, mme si les deux pays se jouent rgulirement une partie de poker menteur, le sort de la Bilorussie dpend beaucoup plus du Kremlin que de lUnion europenne.

Propos recueillis par Jean Piel

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