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23/09/2008 | |||
Questions internationales (1) Elections en trompe-lil en Bilorussie | |||
(MFI) Les lections lgislatives se droulent le 28 septembre 2008 en Bilorussie, pays qualifi par les Etats-Unis de dernire dictature dEurope . Au pouvoir depuis 1994, Alexandre Loukachenko a musel la presse et marginalis lopposition. Il pourrait laisser lire quelques dissidents pour donner un vernis dmocratique au rgime, mais lui seul dcidera. Isole sur la scne internationale, la Bilorussie bnficie cependant dune conomie active et surtout du soutien de Moscou. | |||
Dans quel contexte politique se droulent ces lections lgislatives ? Une statue de Lnine dresse face au Parlement ; des stations de mtro aux noms tels que Proltaire ou Partisans ; des tramways hors dge ; peu de magasins, peu de publicits, mais des affiches montrant un policier offrant des fleurs une fillette Minsk, la capitale de la Bilorussie, donne limpression dun voyage dans le pass, un retour dans lURSS des annes Brejnev. Le pays est pourtant lun des premiers avoir acquis son indpendance la dissolution du bloc sovitique, le 25 aot 1991, un an aprs une premire dclaration de souverainet dans le cadre sovitique. Mais, comme le souligne le politologue Alexe Makarkine dans The Economist : Cest aussi le seul ne pas avoir fait sa rvolution post-communiste. Nous sommes une survivance du sovitisme, un laboratoire dun nouvel autoritarisme. En effet, lconomie est contrle 80 % par lEtat. Le gouvernement est dirig dune main de fer depuis 1994 par Alexandre Loukachenko, un ancien chef de kolkhozes, crne dgarni, fine moustache et longues mains blanches, surnomm Batka, le petit pre. Redoutant une rvolution dmocratique comme dans lUkraine voisine, Alexandre Loukachenko, 54 ans, a verrouill le systme : il effectue rgulirement des purges parmi ses collaborateurs, musle la presse, harcle les opposants, terrorise la population. Les services de renseignements qui sappellent encore KGB sont tout-puissants. Les Etats-Unis qualifient la Bilorussie de dernire dictature dEurope, aux avant-postes de la tyrannie . Les associations humanitaires, telles Amnesty International ou Reporters sans Frontires, dnoncent les assassinats de journalistes et les arrestations arbitraires dtudiants. Jou davance, le prochain scrutin lgislatif ne dmocratisera pas comme par miracle le rgime. Alexandre Loukachenko balaie ces critiques dun revers de la main. Il rappelle quil a t lu dmocratiquement en 1994, 2001 et 2006. Pour sa part, le Conseil de lEurope estime que dans un pays o la libert dexpression et dassociation fait lobjet dune rpression si absolue et si agressive, le vote nest pas un exercice dmocratique mais une farce . Dans une interview accorde en juillet 2007 au quotidien Le Monde, le prsident bilorusse affirmait sans sourciller : Notre pays nest pas isol. Je ne comprends pas de quelle dictature on parle. Les liberts publiques sont les mmes chez nous quen France. Je doute que nous ayons besoin de discuter avec lopposition. De quel sujet et avec quelle opposition dabord ? Nous navons pas de prisonniers politiques car le dlit politique nexiste pas en droit bilorusse. Ceux qui ont t condamns lont t pour violation du code pnal. Sur ce point, Alexandre Loukachenko a raison stricto sensu. Ainsi, Nikola Statkevich, le prsident du Parti social-dmocrate, na pas t condamn trois ans de travaux forcs pour motif politique, mais parce que la manifestation quil avait organise a retard de vingt minutes le trafic des bus. De mme, lopposant Alexandre Kozouline a t envoy derrire les barreaux pour hooliganisme : un portrait de Lnine avait t bris lors dune runion de ses partisans. Les optimistes soulignent nanmoins que 700 observateurs europens surveilleront les lections du 28 septembre. Surtout, trois des principaux dissidents ont t librs ces dernires semaines. LUnion europenne sen est flicite, qui a dclar : A ce jour, plus aucun prisonnier politique internationalement reconnu nest incarcr en Bilorussie. Nous saluons cet effort mme si dautres aspects importants de la situation des droits humains restent proccupants. Les prochaines lections lgislatives seront une opportunit de dmontrer le respect par Minsk des valeurs dmocratiques. Cest lune des conditions pour que lEurope envisage une reprise du dialogue avec la Bilorussie. Cette libration de dissidents laisse dubitatif lancien candidat de lopposition llection prsidentielle, Alexandre Milinkevitch : Ici, les urnes sont remplies avant le vote. Un avis partag par Jean-Charles Lallemand, politologue spcialiste du monde russe : Rien ne laisse entrevoir des lections libres et dmocratiques. Le rgime refuse de rviser le code lectoral qui interdit la transparence du dpouillement. (voir interview ci-aprs) Comment expliquer cette longvit au pouvoir dAlexandre Loukachenko ? Le prsident bilorusse joue dans tous les domaines la carte de la stabilit. Stabilit conomique : le taux de croissance flirte avec les 8 %, lendettement est faible, le chmage limit et les salaires mensuels avoisinent les 250 euros, un bon chiffre dans la rgion. Ancien atelier de lURSS, la Bilorussie a conserv des aciries et des usines de tracteurs et dquipements lectroniques. Minsk tire surtout dimportants revenus de limplantation sur son territoire doloducs et gazoducs russes destination de lEurope de lOuest. Mais le FMI dmythifie ces apparents bons rsultats. Aucune rforme de structure na t mene. Lagriculture est peu productive, le tissu industriel obsolte, les investisseurs trangers absents , crit linstitution internationale ; 20 % de la population vivrait sous le seuil de pauvret. La dpendance lgard de Moscou est galement excessive. De qualit mdiocre, la production bilorusse nest coule que chez le puissant voisin, qui lui vend en outre ptrole et gaz des tarifs prfrentiels. Mais loloduc Droujba (lamiti) pourrait tre remplac par un pipeline sous-marin reliant directement la Russie lAllemagne, et le Kremlin ne cache pas son agacement subventionner un pays si dcri. Par ailleurs, 80 % de lconomie bilorusse est aux mains de lEtat ; linitiative prive est dcourage. Un moyen de sassurer la docilit de salaris qui ne disposent que de contrats dure dtermine, et dviter lapparition doligarques qui pourraient mettre leur fortune au service dambitions politiques. La marge de dveloppement de lconomie est donc faible. Stabilit politique galement : lordre et la scurit rgnent dans le pays. Les troubles en Ukraine et en Gorgie sont exploits par Alexandre Loukachenko pour dnoncer les chimres de la dmocratie loccidentale . Lors de la campagne lectorale, un mystrieux attentat a permis au chef de lEtat dattaquer ces vermines de lopposition qui veulent dtruire notre nation . Mais pour la journaliste Narodnaa Volia, cite par Libration : Cet attentat est une mise en scne du pouvoir. La popularit du rgime est au plus bas, lconomie relle au bord de la faillite, le systme de soins en dshrence, Loukachenko na plus confiance en personne. Il veut donc se donner limage dun garant du calme face une opposition prte faire sauter des bombes. On la vu, larme prfre dAlexandre Loukachenko reste la peur ; la presse est musele et les opposants systmatiquement poursuivis. Les tudiants contestataires sont exclus de luniversit ; beaucoup poursuivent leurs tudes en Pologne ou en Lituanie. Une rcente loi punit de trois ans de prison quiconque diffamera le pays auprs dun tranger. Comme lexplique Alexandre Milinkevitch : Alexandre Loukachenko se sait impopulaire ; sa base srode, la vie quotidienne est trop dure, notamment pour les retraits. Ce rgime ne parle quune seule langue : celle de la force. Le prsident bilorusse ne cultive pourtant pas le culte de la personnalit. Il est certes omniprsent la tlvision, mais on ne croise pas sa photo ou sa statue chaque coin de rue, et les coliers nont pas apprendre sa biographie. Il nappartient non plus aucun parti politique, tout comme la totalit des dputs qui le soutiennent. Le peuple est mon parti , rpte-t-il lenvi. Dans ce pays de dix millions dhabitants tour tour occup par les rois de Pologne, les ducs lituaniens puis intgr lURSS, Alexandre Loukachenko tente de crer un sentiment dappartenance nationale, mais il entretient aussi la nostalgie de lpoque sovitique et de sa protection sociale, au point davoir fait du russe la seconde langue officielle et denvisager une fusion hypothtique certes avec son puissant voisin. A en croire le politologue Alexe Makarkine : Il manque la Bilorussie une identit nationale comme il en existe une en Ukraine. Cela favoriserait une volution politique. Aujourdhui, le rgime est ubuesque. Ce nest ni un retour au modle sovitique, ni une transition vers le capitalisme. La doctrine officielle est celle de la confiance en lEtat, mais cest un concept vide. Il sagit surtout de faire confiance Loukachenko. Qui peut y croire ? Lopposition arrive-t-elle exister nanmoins ? Malgr les menaces et les arrestations, une opposition subsiste. Courageusement, elle organise des sit-in devant le Parlement et dfile silencieusement, des bougies la main, le 16 de chaque mois en souvenir de la disparition de deux dissidents. Mais ses manifestations rassemblent rarement plus de 500 personnes. Sa faiblesse est sa division. On y croise des communistes pro-russes et des sociaux-dmocrates pro-europens, des libraux et des ultra-nationalistes. Certains sont favorables un dialogue avec le pouvoir, dautres ne veulent que sa chute. Certains sont financs par lUnion europenne et les Etats-Unis, dautres regardent vers Moscou, conscients que le sort de leur pays se joue en grande partie au Kremlin. Aucun de ces partis ne compte plus dun millier de membres. Le mouvement de jeunesse Zubr (le bison, lanimal emblmatique de la Bilorussie), pro-UE, compterait, lui, 2000 adhrents. Malgr ses divisions, lopposition pourrait avoir des lus aux prochaines lections lgislatives, au risque de servir dalibi un rgime qui veut se donner un vernis dmocratique. Elle stait dote dun candidat unique llection prsidentielle de mars 2006, en la personne du social-dmocrate Alexandre Milinkevitch. Celui-ci avait rcolt 8 % des suffrages, alors quun sondage du Conseil de lEurope le crditait de 30 % des intentions de vote. Laurat du prix Sakharov pour la paix remis par le Parlement europen, Alexandre Milinkevitch conjure lUE de ne pas abandonner la Bilorussie son sort : La Bilorussie nest pas la Core du Nord. Elle ressemble plus la Pologne au dbut de Solidarnosc. Des tudiants sont exclus de luniversit, des ouvriers licencis pour avoir manifest, des opposants arrts par milliers, mais lopposition existe. Il ne sagit pas seulement de combattre une dictature, mais aussi de dfendre lindpendance du pays face la Russie. Rien ne serait pire que lcroulement du rgime, comme celui de Ceausescu en Roumanie. Tout pourrait alors arriver, mme une annexion par Moscou. Cest pourquoi lUE doit envisager une reprise du dialogue avec Minsk. Quel rle joue la Russie lgard de son ancienne rpublique ? Les Etats-Unis nentretiennent aucune relation avec la dernire dictature dEurope ; lUE se contente dun modeste dialogue. Washington et Bruxelles ont adopt des sanctions conomiques contre Minsk du fait des atteintes aux droits de lhomme, et les principaux dirigeants bilorusses sont interdits de sjour dans lUE comme aux Etats-Unis. Isole sur la scne internationale, la Bilorussie na quasiment pour seul partenaire que la Russie. Mais si les liens sont troits entre les deux pays du fait de lhistoire, de la culture, de lconomie, leurs relations nen sont pas moins tendues. La dpendance conomique de Minsk vis--vis de Moscou cre des frustrations. Lessentiel de la production bilorusse est export vers la Russie, et cette dernire lui consent des tarifs privilgis pour le gaz et le ptrole sans lesquels lconomie bilorusse serait en pril. Cela na pas empch en dcembre 2006 une guerre des tarifs nergtiques entre les deux pays, qui a menac lapprovisionnement de lEurope, les pipelines russes transitant par la Bilorussie. A en croire le FMI, les changes avec Moscou reprsentent 25 % du revenu national bilorusse. Ce qui commence irriter le Kremlin qui, sil ne critique pas le rgime autoritaire dAlexandre Loukachenko, aimerait voir son voisin moderniser son conomie et dynamiser sa socit. Moscou a parfois limpression de subventionner la Bilorussie perte , commente Alexe Makarkine. A perte, pas vraiment. Car cette dpendance conomique offre Moscou un puissant moyen de pression politique. Ainsi, en rponse au projet amricain de bouclier anti-missile en Europe, la Russie devrait dployer des systmes anti-ariens sur le sol bilorusse. De mme Minsk vote-t-il toujours comme Moscou lOnu. En 1997, les deux voisins ont sign un trait dunion prvoyant une coopration conomique et montaire, et au-del la fusion des deux pays en une entit supranationale. Une fusion reste lettre morte et que personne nimagine se concrtiser dans un avenir proche. Comme le souligne Jean-Charles Lallemand : Le dsquilibre entre les deux pays est trop important. Soit cette entit supranationale signifie labsorption de la Bilorussie par la Russie, et cest inacceptable pour Minsk. Soit elle se fait sur un pied dgalit, comme le souhaite Alexandre Loukachenko qui rve de prsider sa destine, et cest inadmissible pour Moscou. En juillet 2007, Sergue Ivanov, le ministre de la Dfense russe, voquait encore la runification des deux pays. Rponse dAlexandre Loukachenko : La Bilorussie ne sera jamais intgre la Russie. Nous navons pas dautres choix que dtre amis, mais nous ne sacrifierons pas notre souverainet contre du ptrole. Le Kremlin sait que la Bilorussie constitue, louest, le dernier rempart entre la Russie dune part, lUE et lOtan dautre part. Cest ce quexplique lopposant Anatoly Lebedko : Vladimir Poutine na jamais aim Alexandre Loukachenko. Il le trouve la fois arrogant et dpass. Mais le Kremlin prfre un rgime stable et autoritaire sa frontire quun pays qui, comme lUkraine, pourrait connatre une rvolution dmocratique. En constituant une barrire entre la Russie et lOtan, la Bilorussie fait partie du systme de scurit russe. Aujourdhui, Moscou souhaite que Minsk reconnaisse lindpendance de lAbkhazie et de lOsstie du Sud. Mais Alexandre Loukachenko joue la montre, voquant un possible rapprochement avec lUnion europenne. Le prsident bilorusse sait que sa marge de manuvre est rduite, mais il entend bien monnayer cette reconnaissance contre de nouveaux gains conomiques. Comme le disait lopposant Alexandre Milinkevitch, Loukachenko est coutumier des parties de poker menteur. A moyen terme, personne ne limagine perdre le pouvoir. | |||
Jean Piel | |||
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