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30/09/2008
Questions internationales (1)
Test dmocratique aux Maldives


(MFI) Larchipel des Maldives nest pas quun eden ensoleill aux eaux dun bleu turquoise pour touristes fortuns. Cest aussi un pays dAsie du Sud dirig dune main de fer depuis 1978 par Maumoon Abdul Gayoom. Lconomie est prospre, mais les ingalits sociales et labsence de liberts politiques crent de terribles frustrations. Ces dernires annes cependant, le rgime se dmocratise prudemment. Le multipartisme est dsormais autoris et des journaux indpendants voient le jour. Llection prsidentielle qui se tient le 8 octobre 2008 constitue un nouveau test de la volont des dirigeants de libraliser larchipel.

Quel systme politique prvaut aux Maldives ?

Un seul peuple (les 300 000 Maldiviens de souche), une seule religion (lislam sunnite) et une seule langue (le divehi) : tel est le triptyque sur lequel repose lidentit nationale des Maldives. Mais ce paradis tropical synonyme deau turquoise, de plages de sable fin, de soleil et de fonds marins aux innombrables poissons multicolores est aussi dirig dune main de fer par linamovible Maumoon Abdul Gayoom. Au pouvoir depuis 1978, lhomme est le plus ancien dirigeant en Asie ( lexception du roi de Thalande et de lempereur du Japon, mais eux ne gouvernent pas). Ag de 71 ans, trapu, cheveux poivre et sel, fines lunettes et lgance soigne, lintress a longtemps vcu au Caire (de 1950 1969) o il a ctoy les Frres musulmans, avant dtre professeur dtudes islamiques au Nigeria. De retour Mal, la capitale, il louvoiera un temps entre la haute administration et une prudente opposition politique, avant de simposer en 1978 la tte du pays et ne plus lcher les rnes du pouvoir.
Maumoon Abdul Gayoom est la fois le chef de lEtat, le chef du gouvernement et le commandant suprme des Armes. Cest galement lui qui nomme les magistrats (le systme judiciaire repose principalement sur la charia) et les chefs des les chargs de faire respecter la loi. Des chefs influents dans cet archipel de 298 000 km situ au sud-ouest de lInde, divis en 19 atolls, o seules 200 les sur 1 190 sont habites. Sans surprise, Maumoon Abdul Gayoom a plac ses proches la tte des grandes entreprises, des ministres et des mdias. Au XXIe sicle, Maumoon Abdul Gayoom se comporte tel un sultan en son domaine. Cest le chef absolu qui rgente tout, dans tous les domaines. Lautoritarisme et le npotisme sont la rgle aux Maldives , dnonce Aminath Najeeb, la rdactrice en chef du principal journal dopposition Minivan News. Pour les touristes, les Maldives sont un paradis. Pour les opposants politiques, cest un enfer , ajoute Mohamad Latheef, lun des dirigeants du Parti dmocratique maldivien.

Sur quoi repose le pouvoir de Maumoon Abdul Gayoom ?

Comme dans tout rgime autoritaire, une police muscle, des services de renseignement omniprsents et des mdias aux ordres sont les outils favoris des dirigeants. Lors des grandes manifestations pour la dmocratie en 2003 et 2004, la rpression a t brutale : des centaines de manifestants ont t arrts et tabasss, les meneurs inculps de terrorisme et de tentative de sdition contre lEtat.
La loi est un autre instrument efficace : le Majlis, le Parlement, na que des pouvoirs limits, se rapprochant plus dune chambre denregistrement que dun lieu de dbat. Jusquen juin 2005, le multipartisme tait interdit. La premire formation dopposition, le Parti dmocratique maldivien, a t cre par des dissidents en exil au Sri-Lanka. A ce niveau cependant, les choses voluent favorablement.
Maumoon Abdul Gayoom profite aussi de la forte dispersion des 300 000 habitants, installs sur des les qui ne sont pas toujours proches les unes des autres. Mal 82 000 habitants est la seule ville densment peuple. De mme, les contacts sont rares entre la population locale et les touristes trangers, ces derniers sjournant sur des les-htels qui leur sont exclusivement rserves. Lisolement est le mme au plan international : aucun pays ne fait pression sur les Maldives, encore moins ses plus proches voisins que sont lInde et le Sri-Lanka. Dans cet archipel qui fut tour tour domin par des mirs musulmans, des navigateurs portugais, puis devint une colonie sri-lankaise, un protectorat britannique avant de gagner son indpendance en 1965, la population est souvent conservatrice, ce qui facilite la tche des autorits.

La bonne sant de lconomie favorise-t-elle le maintien dun pouvoir politique fort ?

Certainement. Le chef de lEtat maldivien profite du succs de sa politique conomique. Le revenu national par habitant est de 2 350 dollars, ce qui est lev en Asie du Sud, linflation est matrise, le chmage infrieur 2 %. Lconomie repose essentiellement sur le tourisme haut de gamme qui fournit 40 % des revenus de lEtat et 35 000 emplois. La pche et les industries associes sont lautre ple dactivit. Le tsunami du 26 dcembre 2004 a reprsent un coup trs dur pour lconomie maldivienne. Le nombre de victimes a t peu lev (82 morts), mais les dgts colossaux dans un archipel situ en moyenne un mtre au-dessus du niveau de la mer. En 2005, le tourisme a diminu de moiti et le taux de croissance a t ngatif (-3,6 %). La reconstruction a cot 375 millions de dollars (plus de la moiti du PIB), dont 260 millions pris en charge par laide internationale. Depuis, les affaires ont repris. De nouvelles les-htels ont vu le jour, 35 autres sont en construction, laroport de Mal a t agrandi. En 2007, 700 000 touristes ont visit le pays, et le taux de croissance a flirt avec les 8 %.
Sil reprsente la poule aux ufs dor, le tourisme nempche pas la persistance de fortes ingalits sociales qui crent de terribles frustrations. Rien ne dit non plus quil soit ternel. Larchipel des Maldives est en effet lun des plus menacs par le rchauffement climatique et la monte des eaux (voir article ci-aprs). A en croire une enqute du quotidien britannique The Independent, lislam depuis toujours modr tend se radicaliser. On croise de plus en plus de femmes intgralement voiles et les madrassas (les coles coraniques) recrutent un nombre croissant dlves. LArabie Saoudite et la Libye financeraient des mosques et des imams qui vont de village en village pour convaincre les gens dadopter un islam plus strict. Comme le souligne Sarah Mahir, la responsable dune association de dfense des droits humains, cite par The Independent : Lexistence de luxueux villages de vacances permet facilement ces imams de dnoncer un Occident dcadent, puisque les vacanciers disposent de chambres immenses, mangent ce quils veulent, dansent toute la nuit et se font masser tandis que les familles maldiviennes vivent dans de minuscules maisons et se contentent, pour tout repas, de poisson et de riz. Mme pendant le ramadan, les touristes mangent et boivent. Ils nont pas conscience dtre dans un pays avec des habitants, une culture, mais se croient dans un gigantesque club de vacances.
Maumoon Abdul Gayoom a pris prtexte de cette islamisation rampante pour renforcer la rpression. Le terrorisme qui pourrait ruiner lconomie est sa phobie. En septembre 2007, un attentat la bombe Mal a bless douze touristes. Trois militants islamistes ont t condamns quinze ans de prison. Le 8 janvier dernier, le chef de lEtat a lui-mme chapp une tentative dassassinat. Dans plusieurs pays musulmans, le fondamentalisme a prospr sur le terreau des ingalits conomiques et de la rpression politique. Les Maldives pourraient ne pas chapper cette menace , regrette la journaliste Aminath Najeeb.

Assiste-t-on nanmoins une certaine dmocratisation des Maldives ?

Aprs les manifestations pour la dmocratie de 2003 et 2004, o des milliers de personnes scandaient dans les rues de Mal Maumoon isthiufaa (Maumoon dmission), le chef de lEtat a initi de prudentes rformes. De mme, le choc provoqu par le tsunami du 26 dcembre 2004 a oblig les autorits librer la plupart des prisonniers politiques pour reconstruire lunit nationale. Le multipartisme est dsormais autoris. Le Parti dmocratique maldivien reste la formation la plus structure, mais on trouve ses cts le Parti populaire maldivien, le Parti dmocratique islamique, le Parti Adhaalath et le Parti rpublicain. Ces formations manquent encore de moyens et ont du mal faire entendre leur voix dans une socit sur laquelle lemprise du chef de lEtat reste forte, mais elles ont le mrite dexister. Nos meetings attirent un nombre croissant de personnes. Je crois vraiment en la possibilit dinstaurer une dmocratie digne de ce nom aux Maldives dans les prochaines annes , dclarait au quotidien sri-lankais The Sunday Observer Mohamad Latheef, lun des responsables du Parti dmocratique maldivien. Cette dernire formation a remport les deux siges de dput de Mal lors des lections lgislatives de 2005. Si nous avions pu faire campagne librement, nous aurions probablement remport une trentaine de siges au total, contre les dix que nous dtenons aujourdhui. Mais cest une premire tape , soupire Mohamad Latheef. La victoire est certes plus symbolique que politique, le Majlis ne disposant gure de pouvoir. En aot 2007, Maumoon Abdul Gayoom a remport, avec 62 % des suffrages, un rfrendum sur la nature du systme politique (prsidentiel ou parlementaire) ; un scrutin considr par les observateurs comme le plus libre quait connu le pays.
Ct mdias, une timide libralisation est en cours. Certes, les principaux journaux restent aux mains de proches du chef de lEtat. Mais des titres indpendants mergent. Internet est trs prcieux ce niveau. Il nous permet datteindre un lectorat loign et de fdrer les mcontentements dune population disperse , souligne Aminath Najeeb, la rdactrice en chef du journal dopposition Minivan News. Dans son dernier rapport, Reporters sans frontires note une certaine libralisation de la presse travers la cration de titres privs et indpendants. Mais la rpression se poursuit lencontre des journalistes . De son ct, lOng indienne Asian Center for Human Rights dnonce des arrestations arbitraires, lusage de la torture par la police, des mauvais traitements contre les opposants , mais reconnat que le rgime semble accepter les prmices dune dmocratisation .
A en croire Mohamed Ishan Saeed, un architecte maldivien interview par The Independent : Le pouvoir est confront un dilemme : comment continuer remplir ses caisses avec les dollars des touristes occidentaux tout en respectant les besoins spirituels et matriels des habitants ? Il comprend les exigences dun meilleur niveau de vie et dune plus grande libert exprimes par la population, mais il ne veut perdre le contrle de rien. Maumoon Abdul Gayoom ne sait pas comment rpondre aux changements des besoins, des murs, de lpoque. Cest la preuve que les tyrans finissent toujours par perdre pied.

Llection prsidentielle du 8 octobre pourrait-elle voir la dfaite de Maumoon Abdul Gayoom ?

Cest peu probable. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et le pouvoir prendra les moyens dassurer la victoire du chef de lEtat. Dj, lopposition dnonce des risques de fraudes. Mais de telles fraudes sont-elles ncessaires ? Ce nest pas certain. Maumoon Abdul Gayoom a, face lui, sept adversaires ; les voix de lopposition vont donc se diviser. En outre, lhomme du succs conomique et de la stabilit politique des Maldives conserve une certaine popularit. A contrario, les dirigeants de lopposition sont souvent peu connus.
Elment positif : cette premire lection prsidentielle multipartite est certainement le scrutin le plus dmocratique aux Maldives. Huit candidats reprsentant des programmes divers vont saffronter (certes pas avec les mmes moyens), et pour la premire fois un dbat tlvis a t organis. Mme le Parti dmocratique maldivien le reconnat, par la voix dun de ses dputs, Hassan Hussein Rasheed, interview par lagence Reuters : Cette lection devrait tre relativement libre et honnte. En tant que chef dEtat, Maumoon Abdul Gayoom a un avantage dentre, dautant que les chefs des les vont inciter la population voter pour lui. La dmocratie progresse nanmoins.
Lopposition espre surtout quil sagit l du dernier mandat de Maumoon Abdul Gayoom. Dans cinq ans, lhomme aura en effet 76 ans, dont 35 passs la tte du pays. Dans des Maldives synonymes, pour les touristes, de soleil, de calme et de volupt, les Maldiviens esprent, eux, une transition dmocratique en douceur.

Jean Piel

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