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07/10/2008 | |||
Questions internationales (1) La Bolivie menace de scession | |||
(MFI) Quatre provinces de Bolivie ont vot leur autonomie. Un dfi pos Evo Morales, premier Indien lu la tte de lEtat, partisan de profondes rformes sociales et admirateur avou de Fidel Castro. Au-del des diffrends politiques, lenjeu est conomique. Les provinces rebelles abritent dimportants gisements de gaz et ne veulent pas partager leur richesse avec le reste du pays, trs pauvre. Evo Morales a reu le soutien de tous les chefs dEtats sud-amricains. Mais beaucoup craignent que la crise ne dgnre, dautant quEvo Morales, trop dfendre la cause des Indiens, sest alin la classe moyenne urbaine. | |||
Quelle est aujourdhui la situation politique en Bolivie ? Risque de guerre civile, possible explosion sociale, menace de partition du pays A lire la presse, la Bolivie est au bord du chaos. De quoi entretenir la triste rputation de cette nation andine qui a connu 160 coups dEtat depuis son indpendance en 1825 et o la dmocratie tente difficilement de simplanter depuis 1982. Ces derniers mois, la tension est extrme entre le prsident Evo Morales premier Indien lu la tte de lEtat et les gouverneurs des quatre provinces les plus riches qui exigent leur autonomie. Surnommes les provinces de la demi-lune car elles forment un arc-de-cercle autour de La Paz et des rgions des hauts-plateaux, ces quatre provinces (Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando) ont organis en mai et juin 2008 des rfrendums qui ont donn la victoire aux partisans de lautonomie, mme si labstention a t suprieure 30 %. Nous ne voulons pas faire scession, nous rclamons juste une autonomie sur le modle des rgions espagnoles. Nous voulons grer nos richesses pour le bien-tre de la population face aux tendances centralisatrices et autoritaires de lEtat , affirme, dans le quotidien El Mundo, le gouverneur de Santa Cruz, Ruben Costas. Rponse des autorits de La Paz : Ces rfrendums sont illgaux. Aucune rgion ne peut ainsi auto-proclamer son autonomie. La ralit est que ces gouverneurs de droite nacceptent pas la politique sociale dEvo Morales. Ils ne supportent pas non plus dtre dirigs par un Indien. Contest donc, Evo Morales a remis son mandat en jeu loccasion dun rfrendum rvocatoire quil a largement remport (67 % de oui) le 10 aot dernier. Problme : le mme jour, les gouverneurs ont galement t confirms dans leurs fonctions par les lecteurs. Comme si les Boliviens entendaient renvoyer chacun ses responsabilits. De plus en plus violents, les affrontements entre partisans et adversaires dEvo Morales ont fait 16 morts le 11 septembre dans la province de Pando. La Bolivie est en tat de choc. Nous ne sommes pas habitus une telle violence politique. Jespre que cela va favoriser un sursaut des dirigeants en faveur du dialogue , tmoignait dans Le Monde le politologue Jorge Lazarte. Le dialogue a en effet timidement repris ces derniers jours, mais la tension reste vive dans les provinces sparatistes. Larme fait preuve de retenue depuis le dbut de la crise, mais le chef dEtat-major a prvenu : Nous ne tolrerons plus laction de groupes radicaux et violents qui menacent lunit du pays et la fraternit entre Boliviens. De son ct, Evo Morales a expuls lambassadeur des Etats-Unis, accus davoir encourag lagitation politique, donnant la crise bolivienne une dimension rgionale (voir article ci-aprs). Il sest aussi dit prt ngocier avec les gouverneurs autonomistes sous la houlette de lOnu et de lUnion des nations dAmrique du Sud. Jouant la carte de lapaisement, il a refus de dcrter ltat durgence. Le prsident bolivien a reu le soutien unanime de ses homologues latino-amricains qui, runis le 15 septembre Santiago du Chili, ont condamn les autonomistes qui menacent lintgrit territoriale de la Bolivie, attisent la violence et ne respectent pas lautorit du prsident dmocratiquement lu . Comment en est-on arriv une telle situation ? Dans ce pays de neuf millions dhabitants qui a connu une dictature militaire de 1964 1982, puis des gouvernements de droite ultra-libraux jusquen 2003, llection la tte de lEtat, le 18 dcembre 2005, dEvo Morales, ancien syndicaliste et Indien Aymara, a constitu un choc : 62 % des Boliviens appartiennent lune des 36 ethnies indiennes, 27 % sont mtis, mais le pouvoir politique et conomique a toujours t dtenu par la minorit blanche dorigine europenne. Ne cachant pas sa sympathie pour Fidel Castro et Hugo Chavez, Evo Morales dfend un agenda forte tonalit sociale : promotion des communauts indignes, scolarisation pour tous grce la mthode cubaine Yo si puedo (Oui, je peux), redistribution des terres, nationalisation des hydrocarbures, meilleure fourniture deau et dlectricit Nous allons changer lHistoire , a-t-il lanc le jour de son investiture. Il va faire voluer les choses car lui-mme a souffert de la pauvret, et cela ne soublie pas , dclarait alors, dans Pagina 12, une habitante dEl Alto, le gigantesque bidonville qui entoure La Paz. Evo Morales sait nanmoins faire preuve de pragmatisme. Mais sa seule prsence la tte de lEtat est insupportable aux grands propritaires terriens et loligarchie de droite. Comme le rsume Alfredo Valladao, professeur de sciences politiques : La crise politique actuelle reflte la fragmentation de la Bolivie. La bourgeoisie duque des villes contre les paysans analphabtes des hauts plateaux ; les provinces agricoles pauvres de lOuest contre les provinces riches en hydrocarbure de lEst ; les Indiens qui ne parlent que quechua ou guarani contre ceux qui matrisent lespagnol. Lenvoy spcial du Monde diplomatique dcrivait le foss entre les Indiens Aymaras qui survivent grce la culture des pommes de terre et llevage des lamas, dans des villages oublis de tous, qui ne sont mme pas sur la carte, l o le btail meurt quand il ne pleut pas, o les jeunes fuient et la bourgeoisie satisfaite de Santa Cruz, la ville la plus prospre du pays, qui a bti sa richesse sur la terre et aujourdhui sur lindustrie . Ses opposants font tout pour faire chouer Evo Morales. En 2007, ils ont bloqu une centaine de lois au Snat, contraignant le Mouvement pour le socialisme, le MAS, des artifices de procdure pour appliquer son agenda. Profitant dun projet gouvernemental de dcentralisation, les prfets des quatre provinces les plus riches ont donc dclar leur autonomie. Sil a une base idologique, le conflit est aussi conomique. La Bolivie est le second producteur de gaz en Amrique latine, et les gisements se trouvent dans les provinces rebelles. En nationalisant les hydrocarbures le 1er mai 2006, Evo Morales a rduit de 30 % au profit de lEtat leurs recettes fiscales. Des sommes consacres au relvement du salaire minimum, la cration de bourses scolaires et de la Renta Dignidad, une retraite de 200 bolivianos (20 euros) pour toute personne de plus de 65 ans. Les ressources naturelles doivent tre mises au service du peuple , dfend Evo Morales. Toujours au chapitre conomique, la redistribution de 5 000 hectares de terres en faveur des paysans les plus pauvres a provoqu lire des propritaires terriens, dautant que la nouvelle Constitution prvoit dapprofondir la rforme agraire. Comment est organise lopposition ? Dans les provinces sparatistes, lopposition sappuie sur les Comits civiques, des groupes de militants aux mthodes muscles. Parmi eux, lUnion de la jeunesse de Santa Cruz, une organisation dextrme-droite qui revendique 35 000 membres et dont le prsident dclarait au quotidien Pagina 12 : Aucun militant du MAS, aucun dfenseur des Droits de lhomme, pas mme Evo Morales nont dsormais droit dentrer dans notre province. Ces comits civiques sont adeptes de la stratgie du chaos : blocages de routes, prises de contrle de btiments publics, attaques de locaux syndicaux, violences contre des manifestations dIndiens. Car, en croire Adolfo Chavez, le prsident de la Confdration des peuples indignes de Bolivie : Cette crise est loccasion dun rveil du racisme contre les Indiens. Llite naccepte pas que nous puissions avoir des droits, mme lmentaires. Elle ne nous voit que comme des esclaves. Des accusations que rfute Ruben Costas, le gouverneur de Santa Cruz : Nous ne sommes ni racistes ni violents. Nous ne sommes pas opposs une gauche dmocratique et humaniste. Mais aujourdhui, nous sommes face un gouvernement autoritaire, qui avoue sa sympathie pour le prsident Hugo Chavez, qui veut collectiviser la terre, qui est oppos au droit de proprit. A en croire Jorge Lazarte : Il y a une large part de mauvaise foi dans ce discours. Evo Morales ne menace pas le droit de proprit ni les liberts individuelles. La bourgeoisie bolivienne joue se faire peur. Quand elle tait au pouvoir, la droite de Ruben Costas na jamais rclam lautonomie rgionale. Elle na jamais permis davances sociales en faveur des plus dmunis alors que 73 % des Boliviens vivent en-dessous du seuil de pauvret. Une opinion partage par Antonio Soria Galvarro, le prsident de lOng paysanne Tierra : La droite conservatrice est matre de la richesse et de lautorit depuis toujours en Bolivie ; elle ne supporte pas llection dEvo Morales qui, sans tre un extrmiste, remet en cause ses privilges pour amliorer le niveau de vie du plus grand nombre. Elle nadmet pas un gouvernement proche du peuple, progressiste et dirig par un Indien. Elle agite donc lpouvantail de la dictature sous prtexte quEvo Morales affiche sa sympathie pour Fidel Castro et Hugo Chavez, alors que cest elle qui mne la dstabilisation politique du pays de faon non-dmocratique. Le gouvernement dEvo Morales na-t-il pas aussi sa part de responsabilit dans la crise actuelle ? Certainement. Lorsque lancien syndicaliste a t lu, mme ses partisans sinquitaient de son manque dexprience, de sa rputation dimpulsif. Des critiques qui valent aussi pour son entourage qui, lexception du vice-prsident Alvaro Garcia Linera, navait gure lexprience du pouvoir. Sur la forme, Evo Morales a pch par imprudence. Cest lui qui le premier a voqu lautonomie des provinces (son ide tait daccorder plus dautonomie aux territoires indiens) avant de se rtracter lorsque les gouverneurs lont pris au mot. De mme, son entourage na pas su rpondre aux provocations de lopposition, choisissant de passer en force lorsque la droite bloquait ladoption de textes au Snat, ce qui a permis cette dernire de dnoncer le dni de dmocratie et les mthodes autoritaires du gouvernement . Comme le confiait un responsable du MAS au Monde diplomatique : Il existe encore, au sein du gouvernement, une hsitation entre la pratique des ngociations, venant plutt de laile parlementaire et des intellectuels, et une ligne radicale venant du ple indien et paysan qui prfre les coups de force. En outre, si la droite dispose de milices muscles, le MAS nest pas en reste. Les Ponchos rouges, par exemple, sont un mouvement paysan qui nhsite pas pratiquer le coup de poing. Le niveau de violence nest pas le mme. Les Comits civiques ont t crs pour semer le dsordre et attaquer les militants de gauche, alors que les Ponchos rouges ont certes une aile militaire, mais cest avant tout un mouvement de dfense des paysans et des Indiens , rplique un cadre du MAS. Tout est question dimage, ajoute le politologue Jorge Lazarte. En portant un gros pull indien le jour de son investiture, en avouant son admiration pour Fidel Castro, Evo Morales sest cr une rputation dextrmiste qui va dstabiliser le pays, rputation quentretient malice lopposition, alors que lhomme est plus fin que cela. Au-del des formes, Evo Morales na-t-il pas aussi commis des erreurs de stratgie ? Cest ce que certains, mme parmi ses supporters, lui reprochent. La nationalisation du gaz a ainsi t ralise alors que la compagnie publique navait pas les moyens dexploiter seule les gisements. Du coup, les autorits ont d, dans un second temps, faire marche arrire et rengocier avec les compagnies trangres les contrats dexploitation, dans un sens certes nettement plus favorable lEtat, mais le tout a donn une impression de cafouillage. Les priorits ne sont pas toujours bien dfinies. Ainsi, la redistribution des terres a attis la crise alors quil nexiste pas en Bolivie de mouvements des paysans sans terre, comme au Brsil. Evo Morales a artificiellement cr une revendication , dplore la politologue Jimena Costa dans le quotidien espagnol El Pais. Faux. Les Indiens sont tellement exploits quils nimaginent pas pouvoir possder leurs champs. Il faut leur faire prendre conscience de leurs droits , rplique Adolfo Chavez, le prsident de la Confdration des peuples indignes de Bolivie. La question indienne est aussi au cur des dbats. Pour Ar Vasquez, le directeur dEl Deber, un quotidien pourtant plutt favorable Evo Morales : Si la majorit des Boliviens sont dethnie indienne, la majorit se dfinit comme mtis. En Bolivie, le mtissage rsulte dun processus social et culturel, lurbanisation notamment, et non dun mlange racial ; les identits sont moins marques que par le pass. Certes, les Indiens ont longtemps t exploits, et il est important que leurs droits soient reconnus. Mais aujourdhui, Evo Morales fait passer un agenda indigniste avant un agenda social. La priorit est de combler le foss entre les plus riches et les plus pauvres, doffrir un avenir aux familles dmunies, que celles-ci soient indiennes ou non. La priorit est le dveloppement conomique. La fracture sociale ne se rduit pas la fracture ethnique. A trop jouer la carte indienne, Evo Morales va se mettre dos les syndicats ouvriers en plus de la droite. Cest ce que disait une habitante de Santa Cruz, membre de la classe moyenne, lenvoy spcial du Monde diplomatique : Jai vot pour Morales. Je veux le changement et je souhaite que tous les Boliviens soient gaux. Mais aujourdhui, on subit un racisme lenvers. Si on nest pas indien, on est suspect. Tout pour les indignes. Jattends plus de mesures sociales. Le bon Juacinto Pinto en faveur de la scolarisation des enfants ? De largent liquide remis aux parents sans contrle. Cest dilapid . Et le dput centriste Samuel Doria Medina dajouter : Un investissement massif dans le bidonville dEl Alto, avec son million de misreux, pourrait modifier la situation sociale du pays. Mais rien nest fait. La gestion publique ne semble pas la priorit du gouvernement. A ne parler que des Indiens, Evo Morales perd le soutien de la classe moyenne urbaine qui a vot pour lui . Le pire est quEvo Morales ne parle ni aymara ni guarani. Certes, cest le fils de paysans pauvres, il a souffert dans sa jeunesse et son ascension sociale est mritoire. Mais cest un Indien accultur comme des millions dautres Boliviens. Dfendre la cause indigne nest quun crneau, une revanche sur le pass, qui ne correspond pas lattente de la majorit des Boliviens , raille Ar Vasquez. Face un Evo Morales qui apparat brouillon, qui parle plus quil nagit, qui manque de moyens, dont lentourage pche par manque dexprience, les gouverneurs des provinces autonomistes rassurent par la clart de leurs discours : Nous voulons grer nos propres richesses, nos propres rgions, pour le bien-tre des habitants. Peu importe si leurs motivations sont avant tout politiciennes, sils ne cherchent qu barrer la route au programme de justice sociale dEvo Morales. En attendant, la crise politique affecte lconomie. Dj pays le plus pauvre dAmrique latine, la Bolivie a vu son taux de croissance diminuer en 2007. | |||
Jean Piel | |||
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