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28/10/2008
Questions internationales (1)
Deux visions du monde pour la Maison blanche


(MFI) Le 4 novembre, les Amricains liront leur nouveau prsident. Les sondages donnent une nette avance au dmocrate Barack Obama, mais sa victoire nest pas encore certaine face au rpublicain John McCain. Rarement une lection aura autant passionn les foules. Parce que, pour la premire fois, un Afro-Amricain pourrait accder la magistrature suprme. Mais aussi parce que, de leur ge leur carrire, de leur histoire personnelle leur programme politique, tout oppose John McCain et Barack Obama. Ils incarnent deux visions de lAmrique et du monde radicalement opposes. Portraits croiss.

Des enfances aux antipodes lune de lautre

Indpendamment de leur diffrence dge John McCain est n le 29 aot 1936, Barack Obama le 4 aot 1961 , les deux candidats la Maison blanche ont connu des enfances on ne peut plus opposes. John McCain est issu dune famille de la bourgeoisie blanche conservatrice. Militaire de carrire, son pre a fini amiral en chef de lUS Navy dans le Pacifique ; sa mre tenait le foyer. Son grand-pre dj tait militaire. Le petit John a vcu ses premires annes sur les diffrentes bases o tait affect son pre. Le dimanche, la famille se rendait lglise piscopalienne, dont il est toujours membre aujourdhui. Seule entorse ce parcours classique : John McCain tait un enfant bagarreur, et cest davantage ses relations familiales qu ses rsultats scolaires quil doit de ne pas avoir t renvoy de plusieurs coles. Lhistoire veut mme que, pour calmer ses frquentes colres, ses parents navaient dautres choix que de le plonger tout habill dans des baignoires deau froide.
Le seul nom de Barack Obama suscite la curiosit. Barack signifie bni en arabe, Obama lance enflamme en swahili. Dorigine knyane et dethnie Luo, son pre eut une vie de roman : cuisinier dans sa jeunesse, puis professeur duniversit aux Etats-Unis, conseiller influent du gouvernement knyan avant de mourir seul, dans la misre. Issue dune famille pauvre du Midwest, sa mre a toujours travaill. Deux ans aprs la naissance de Barack, ses parents divorcent. Sa mre se remarie avec un tudiant indonsien, et la famille sinstalle Jakarta. L-bas, lenfant frquente lcole municipale musulmane, puis une cole catholique. Mais il nest pas heureux, souffre de la brutalit de son beau-pre, matrise mal lindonsien. A 10 ans, il demande vivre chez ses grands-parents, un couple modeste install Honolulu. Elve rserv, presquintroverti, il obtiendra nanmoins une bourse dtudes dans le meilleur collge dHawaii. Son histoire et sa famille font de Barack Obama un citoyen du monde. Mais il a longtemps souffert dune profonde crise didentit , crit le sociologue Todd Gitlin dans The Los Angeles Times.
Difficile de trouver des points communs aux enfances de John McCain et Barack Obama, si ce nest quils ont tous les deux souvent dmnag et sont tous les deux gauchers.

Des gestions de carrires trs diffrentes refltant des personnalits opposes

John McCain et Barack Obama sont face face pour devenir prsident des Etats-Unis. Tous les deux sont snateurs : le rpublicain, de lArizona ; le dmocrate, de lIllinois. Mais pour en arriver ce mme point, les deux hommes ont men des carrires trs diffrentes.
Respectant la tradition familiale, John McCain sest engag dans larme. Toujours indisciplin, il manque plusieurs reprises de se faire renvoyer de lAcadmie navale pour cause de bagarres et damours excentriques. Le 26 octobre 1967, son avion est abattu au-dessus de Hano. Pendant six ans, il sera prisonnier des Nord-Vietnamiens, tortur, soumis lisolement. Il en garde de graves squelles. Ces annes sombres font de lui un hros de la guerre du Vietnam ; une carte quil utilise abondamment dans une Amrique o le patriotisme est une vertu premire. En 1981, il quitte larme avec le grade de capitaine et sengage en politique. Ds 1982, il est lu dput de lArizona, puis en 1986 snateur. Un poste auquel il est rlu en 1992, 1998 et 2004. En 2000, John McCain brigue linvestiture rpublicaine la Maison blanche. Mais son caractre rebelle et ses positions parfois iconoclastes (voir article ci-aprs) lui valent de profondes inimitis au sein de sa formation. Une campagne de calomnie souvent abjecte mene par lentourage de George Bush le contraint jeter lponge. En 2008, il prend ainsi sa revanche sur un homme quil na jamais aim.
La carrire de Barack Obama a t plus sage, mais par certains cts tout aussi aventureuse mme si elle est moins toffe. Diplm de luniversit de Columbia en sciences politiques et en relations internationales, Barack Obama est dabord analyste dans une socit financire de Chicago. En 1984, il arrte ce mtier rmunrateur pour devenir animateur social 800 dollars par mois dans le quartier dfavoris de South Side. Il dfend les droits des habitants, ouvre des bureaux dembauche, lutte contre la dlinquance. Il obissait une qute messianique. Aprs des annes dincertitude, il voulait forger son identit noire amricaine , se souvient son patron dalors, Jerry Kellman. Cest cette poque que lhomme lev sans religion se convertit au christianisme et rejoint lEglise unie du Christ. En 1987, Barack Obama quitte les taudis du South Side pour la facult de droit dHarvard. Il sera le premier mtis lu rdacteur en chef de la prestigieuse Harvard Law Review. Son diplme en poche, il intgre un cabinet davocats de Chicago spcialis dans la dfense des droits civiques, puis se lance en politique. En 1996, il est lu au Snat de lIllinois. Mais cest en 2004 il y a quatre ans seulement que sa carrire prend une tournure nationale. Lors de la convention dmocrate qui dsigne John Kerry comme candidat llection prsidentielle, il prononce un vibrant discours faisant lapologie du rve amricain, de lAmrique gnreuse, condamnant lextrmisme diviseur de George Bush. Quatre mois plus tard, il est lu au Snat des Etats-Unis, devenant le seul Afro-Amricain y siger. Le cinquime de lHistoire.
A chercher les points communs entre les carrires de John McCain et Barack Obama, on trouve limportance quy jouent leurs pouses. Avocate elle aussi, Michelle Obama a incit son mari entrer en politique et celle quon surnomme la Jacky Kennedy noire est trs prsente dans sa campagne. De son ct, Cindy McCain, hritire dune des grandes fortunes des Etats-Unis, non seulement soutient son mari, mais par ses uvres caritatives arrondit son image. Autre point commun : lambition, ncessaire quiconque espre devenir prsident de la premire puissance mondiale. Le candidat rpublicain est connu pour son franc-parler, mais nest pas un bon orateur. Le dmocrate, au contraire, sait enflammer les foules. Tous deux ont parfois adopt des positions contraires celles de leur parti pour tracer leur propre sillon. Selon les graphologues, John McCain est fier, idaliste et impulsif. Barack Obama serait intelligent, diplomate et pudique.

Lge, cet ennemi

La grande diffrence dge entre les deux candidats vingt-cinq ans est lun des sujets de la campagne lectorale. Si John McCain est lu, il sera le plus vieux prsident son entre en fonction ; si cest Barack Obama, il sera lun des plus jeunes. Le jeu des comparaisons est redoutable. Ainsi, le candidat dmocrate navait que six ans lorsque son adversaire a t fait prisonnier au Vietnam, et seulement 21 ans lorsquil fit son entre au Congrs. Un site Internet recense tous les produits plus jeunes que John McCain : le stylo bille, le Golden Gate Bridge San Francisco, le vaccin anti-polio Et 91 % des Amricains.
Plus srieusement, lge de John McCain interroge sur sa capacit diriger le pays. Comme lcrit The Economist : Certes, certains vieillissent mieux que dautres et on peut mourir jeune de maladie. Mais avec lge, le cerveau finit toujours pas tre plus lent, les artres par se boucher, la capacit grer les affaires par smousser. Dautant que le snateur de lArizona na pas eu une vie facile. Ses annes de dtention au Vietnam lui ont laiss un bras handicap, une dmarche raide, une audition affaiblie. Il a, en outre, t frapp en 2000 par un cancer de la peau que les mdecins ont russi soigner. John McCain fait fi de ces soupons : Jai le courage, la sagesse, lexprience et, avant tout, lge ncessaire pour tre prsident. Le rythme denfer auquel il mne sa campagne semble lui donner raison. Les rpublicains cherchent dpeindre leur candidat comme un nouveau Reagan, possdant une force de caractre et une vision claire mme de sattaquer aux grands problmes des Etats-Unis.
Si elle sduit, sa jeunesse peut tre un handicap pour Barack Obama. Avec ses cheveux ras, sa maigreur et ses grandes oreilles, il a lair de ntre quun tudiant ambitieux , raillent ses adversaires. Cest surtout son manque dexprience qui est point du doigt. Celui qui prtend la plus haute charge de lEtat voire du monde navait, il y a cinq ans, quun mandat local dans un quartier dfavoris de Chicago. Les gens qui se vantent davoir de lexprience ont approuv une guerre en Irak dont on voit aujourdhui quelle fut inutile et coteuse en hommes et en argent , rplique Barack Obama, qui a toujours t oppos linvasion amricaine de lIrak. Le candidat dmocrate a su sentourer son colistier, Joseph Biden, est un expert en relations internationales et travailler ses dossiers. Aujourdhui, les accusations dinexprience ne le touchent plus. A contrario, le choix par John McCain de Sarah Palin comme colistire laisse nombre dAmricains dubitatifs. Et lors du dernier dbat tlvis, en affirmant sept reprises que le snateur Obama ne comprend pas , le candidat rpublicain est apparu arrogant.

Deux visions de lAmrique diamtralement opposes

Au-del de leur ge et de leur exprience respectifs, John McCain et Barack Obama appartiennent deux gnrations diffrentes, presqu deux histoires diffrentes du pays. Ils nont pas les mmes rfrences et incarnent deux visions diamtralement opposes des Etats-Unis et du monde.
Ancien militaire devenu snateur donc homme de loi, gueule de baroudeur un peu casse, franc-parler, chrtien pratiquant, John McCain reprsente une certaine ide de lAmrique ternelle : celle des pionniers, des premiers btisseurs, des conqurants de lOuest. Celle pour qui comptent la Bible et le fusil, la famille et la patrie. Des gens qui se vantent davoir les pieds sur terre, adeptes du bon sens populaire, pour qui on peut toujours sen sortir si on est fort et travailleur. Une Amrique conservatrice, mais qui sait tre gnreuse dans les coups durs. A titre personnel, John McCain ne peut pas tre tax de racisme il a dfendu contre la majorit rpublicaine des textes favorables aux immigrs clandestins , mais il appartient une gnration o les Blancs ont toujours eu le pouvoir. Sans surprise, il est oppos lavortement et au mariage homosexuel ; favorable la peine de mort (Barack Obama aussi) et la libert de port darmes.
Barack Obama, lui, est le premier candidat si prs de la Maison blanche tre n dans une Amrique multiculturelle. Dans un pays o la question raciale reste sensible, il est dailleurs prsent comme un candidat noir alors quil est mtis. Barack Obama incarne la socit multiraciale des Etats-Unis daujourdhui. En 2050, nous ne serons plus un pays majoritairement blanc. Il a lintelligence de ne pas se prsenter comme le candidat dune communaut car il sait que ce clivage est moins pertinent quautrefois et que beaucoup dAmricains veulent le dpasser , analyse le politologue Andrew Sullivan. Lorsque Barack Obama est n, les mariages inter-raciaux taient interdits dans 16 Etats ; quil puisse devenir prsident aujourdhui prouve quel point le pays a volu. N dun pre noir et dune mre blanche, ayant vcu en Indonsie et Hawaii, lve dune cole musulmane puis catholique, diplm de la meilleure universit mais ayant travaill dans les quartiers misreux, Barack Obama apparat comme le candidat le plus global, le plus moderne aussi. Le temps du changement est venu , martle-t-il.
Le snateur de lIllinois arrive aussi aprs la gnration des papy-boomers. Il est plus libre que ses ans dmocrates, englus dans des cas de conscience vis--vis de ltranger cause de la Guerre froide, gns face aux problmes de socit comme le sida, les familles recomposes ou la religion. Il incarne donc aussi un renouvellement de la gauche amricaine, quitte ce que les rpublicains brandissent lpouvantail de dangereux socialiste . Sans surprise, la comparaison avec John Kennedy simpose. Theodore Sorensen, ancien collaborateur du prsident dmocrate assassin en 1963, est frapp par la ressemblance. Il lcrit dans The New Republic : Les deux hommes se sont tout de suite distingus par leur jeunesse, leur beaut et leur loquence. Aucun des deux ne traite les Amricains avec condescendance, mais au contraire ils enthousiasment les foules. Plus que des programmes en cinq points, ils se concentrent sur des sujets fdrateurs : lespoir, la dtermination russir malgr les difficults, la volont de faire bouger les lignes, lappel lunit et la fraternit plutt que la division et les bons mots faciles. En politique trangre, tant Kennedy quObama ont mis laccent sur limportance du multilatralisme, sur le prestige des Etats-Unis comme garantie de paix, sur la ncessit du dialogue qui nexclut pas le recours la force en dernire extrmit. Ils prchent lespoir contre la peur. Au temps de Kennedy, les rpublicains pensaient que la guerre nuclaire simposait face lURSS, tout comme ils ne croient aujourdhui qu la guerre face au terrorisme. Dautres solutions existent pourtant ; lHistoire la montr.
Si les sondages donnent une nette avance Barack Obama, sa victoire nest pas certaine. Jusqu la dernire minute, tout peut arriver. Mais le candidat dmocrate a lavantage darriver aprs huit annes de mandat de George Bush, que la majorit des Amricains juge dsormais dsastreux. Cela handicape John McCain alors quil est, sur plusieurs dossiers, plus progressiste que le futur ex-locataire de la Maison blanche. Cela favorise Barack Obama dont le programme manque pourtant parfois de clart.

Jean Piel

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