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04/11/2008 | |||
Questions internationales (1) Dix ans aprs laccord de Nouma : fragile quilibre en Nouvelle-Caldonie | |||
(MFI) Vingt ans aprs les accords de Matignon et dix ans aprs laccord de Nouma approuv par rfrendum le 8 novembre 1998 , la paix semble revenue en Nouvelle-Caldonie. Le territoire dispose dune large autonomie et les droits des Kanaks, les premiers habitants de larchipel, sont reconnus. Mais si lquilibre politique a t rtabli, cest moins le cas en matire conomique : les Kanaks occupent souvent les emplois les moins qualifis. Do de terribles frustrations, notamment au sein de la jeunesse, qui pourraient nouveau embraser la rgion. | |||
Quelle est aujourdhui la situation politique en Nouvelle-Caldonie ? Le 26 juin dernier, lhymne et la devise de la Nouvelle-Caldonie ont t prsents au public. La devise sera Terre de paroles, terre de partage ; et lhymne un chant choral intitul Soyons unis, devenons frres, interprt en franais et en nengone, lune des langues kanaks. Le mme jour, les premires esquisses des futurs billets de banque caldoniens ont galement t dvoiles. Hymne, devise, monnaie : trois signes dune souverainet caldonienne qui saffirme de faon croissante. Il reste encore choisir un drapeau et peut-tre un nouveau nom au pays. Le rquilibrage politique est clairement en cours dans cet archipel de lOcanie, colonis par la France en 1853, et dont les habitants dorigine, les Kanaks, se sont longtemps vus confisquer leurs droits politiques, conomiques et culturels par les Caldoches, les Europens installs dans la rgion la fin du XIXe sicle. Un rquilibrage politique difficile imaginer dans les annes quatre-vingt, lorsque les affrontements entre partisans et adversaires de lindpendance staient mus en guerre civile. Conclus le 26 juin 1988 sous les auspices de Michel Rocard alors Premier ministre, les accords de Matignon ont mis un terme aux violences en prvoyant un statut transitoire larchipel, des procdures de dialogue entre Kanaks et Caldoches et lorganisation dans les dix ans dun rfrendum dautodtermination. Mais mesure que se rapprochait la date du rfrendum se sont rveilles les craintes de voir la fragile rconciliation anantie par la question de lindpendance. Ne voulant ni vainqueur ni vaincu, le FLNKS (le Front de libration nationale kanak et socialiste) et le RPCR (le Rassemblement pour la Nouvelle-Caldonie dans la Rpublique) ont alors conclu, le 5 mai 1998, laccord de Nouma, approuv 72 % par rfrendum le 8 novembre 1998. Cet accord de Nouma reconnait une mme lgitimit sur la terre aux Kanaks et aux Caldoches. Il exprime une vision partage de lhistoire et de lavenir du pays. Il cre une citoyennet caldonienne distincte de la nationalit franaise et protge les traditions, rites et noms kanaks. En outre, il prvoit des changements institutionnels qui accordent une large autonomie la Nouvelle-Caldonie afin de btir un destin commun notre population pluriethnique . Un rfrendum qui doit tre organis entre 2014 et 2018 dcidera si ce destin commun se construit au sein de la France ou dun pays indpendant. Quels sont ces changements institutionnels ? Ces changements font de la Nouvelle-Caldonie une collectivit sui generis, cest--dire de son propre genre. Ce nest ni un dpartement ni un territoire franais doutre-mer, mais elle appartient toujours la Rpublique ; son autonomie la rapproche de la Polynsie, mais son statut est diffrent. Un statut si original quil a impos une rvision de la Constitution franaise. La Nouvelle-Caldonie qui stend sur 19 000 km est divise en trois provinces (Nord, Sud et les les Loyaut) pour donner aux Kanaks la responsabilit politique et conomique des rgions o ils sont majoritaires. LEtat a beaucoup investi pour amliorer les infrastructures et former des cadres kanaks. Des comptences sont progressivement transfres de Paris Nouma. Cest dj le cas en matire de fiscalit, de droit du travail, de protection sociale, denseignement primaire. Cela doit encore ltre pour le droit commercial, lenseignement secondaire et la surveillance du trafic arien. La France, reprsente par un haut-commissaire de la Rpublique, conserve les prrogatives rgaliennes : justice, dfense, police, diplomatie Des signes identitaires seront adopts par tape : hymne, drapeau, devise A noter que la monnaie nest pas leuro, mais le franc pacifique. Tous les cinq ans se tiennent des lections provinciales qui permettent de dsigner les reprsentants des trois provinces au Congrs, le Parlement de Nouvelle-Caldonie. Outre lgifrer, ce Congrs lit la proportionnelle les 11 membres du gouvernement. Il sagit donc dun gouvernement collgial, ce qui oblige les partis politiques sentendre pour la gestion du pays. Aprs des annes de haine et dincomprhension, tout est fait pour que Kanaks, Caldoches, mais aussi Mtropolitains, Polynsiens et Asiatiques se construisent un avenir commun. Cest la recherche permanente du consensus , explique un professeur de sciences politiques luniversit de la Polynsie franaise, cit par Le Monde. Un Snat coutumier a galement t cr, charg de veiller au respect des usages, des rites et des traditions dans chaque aire coutumire de larchipel. La culture kanak est officiellement reconnue, comme le prouve linauguration du Centre culturel Jean-Marie Tjibaou, du nom du leader du FLNKS signataire des accords de Matignon et assassin par un ultra de son propre camp. Les accords de Matignon comme celui de Nouma crent donc un environnement et des institutions qui permettent aux diffrentes communauts de vivre ensemble et de se construire un avenir commun afin, pour reprendre les mots de Jean-Marie Tjibaou, que chacun continue faire de ce pays celui quon rve dhabiter, parce quil est le plus beau, le plus dvelopp, le plus attirant du Pacifique . La situation est donc pacifie en Nouvelle-Caldonie ? Elle est aujourdhui globalement pacifie. Les droits des Kanaks sont reconnus, le pouvoir politique est mieux quilibr, Nouma dispose dune large autonomie. La fin de la guerre civile des annes quatre-vingt a aussi favoris les investissements. La Nouvelle-Caldonie dtient 25 % des rserves mondiales de nickel ; elle profite de lenvole des cours. Lindustrie tourne plein rgime, le taux de croissance flirte avec les 6 %, le chmage est absent. La paix favorise lconomie, et inversement (voir article ci-aprs). Nanmoins, lquilibre reste fragile, et il suffirait de peu de choses pour que la situation senflamme, en particulier du fait des jeunes qui nont pas connu le conflit des annes quatre-vingt. Dans ce pays de 240 000 habitants, la question ethnique reste fondamentale. On compte 44 % de Kanaks, 34 % de Caldoches, 11 % de Polynsiens (venus de Tahiti ou de Wallis et Futuna), 6 % de mtropolitains, auxquels sajoute une petite communaut asiatique. Larrive massive ces dernires annes de mtropolitains, en qute demplois et de soleil, inquite parfois. Depuis le dbut de la dcennie, 16 000 se sont installs sur le Caillou, ainsi quon surnomme la Nouvelle-Caldonie. Cela favorise la spculation immobilire, chassant les Kanaks de Nouma. Do des bidonvilles qui stirent autour de la capitale et de terribles frustrations. Ces nouveaux migrants ne pourront pas voter au rfrendum dautodtermination, mais ils votent aux lections locales, renforant le parti caldoche. Nous craignons de subir le mme sort que les Aborignes dAustralie : devenir minoritaires sur notre propre terre , sinquite Pascal Naouna, lancien prsident de LUnion caldonienne. Le soleil brille, les paysages sont magnifiques, la crise conomique nexiste pas. Tout semble parfait. Et cest vrai que les choses ne vont pas mal. Mais les diffrentes communauts se croisent plus quelles cohabitent. Il ny a pas de conflits, mais pas dentente non plus. Cest chacun chez soi. La communaut de destin existera lorsque le Centre culturel Tjibaou exposera, ct des masques kanaks, les outils des premiers pionniers caldoches. Et lorsque les jeunes blancs iront couter du kaneka dans la province du Nord, et les jeunes Kanaks participeront la Nuit du rock Nouma , tmoigne une dentiste installe sur le Caillou depuis 1991. Interviewe par Les Nouvelles Caldoniennes, Marie-Claude Tjibaou, la veuve du leader indpendantiste assassin, regrettait que les choses aillent trop lentement : Oui la paix progresse, mais les gens doivent encore se rapprocher. Le rquilibrage est vrai au plan politique ; il lest moins au plan conomique et les jeunes commencent tre aigris. Nous avons besoin de la modernit ; chacun veut des routes carrossables et llectricit. Mais nos terres ne doivent pas surbaniser. Nous ne voulons pas casser notre culture et nos coutumes. Des Kanaks sont morts pour que les choses changent, or on a limpression que notre lutte a servi au plus grand nombre, mais moins aux Kanaks quaux autres. Limportant est moins lvolution des institutions que celle de la justice sociale. On prend les terres de ce pays sans que les jeunes qui y sont ns peroivent quoi que ce soit. Le mouvement indpendantiste est n quand lEtat nentendait pas nos appels la justice et la reconnaissance. Que cela ne se reproduise pas. Les partis politiques pourraient-ils tre dpasss par leurs lments les plus radicaux ? Cest la crainte, tant du ct du FLNKS que du RPCR. Ct kanak, le FLNKS est dbord sur sa gauche par lUSTKE, lUnion syndicale des travailleurs kanaks et des exploits. Celle-ci a cr, en novembre 2007, une formation politique, le Parti travailliste, qui a enregistr de bons rsultats aux lections municipales. Il rencontre notamment du succs auprs des jeunes qui trouvent le FLNKS vieillissant et trop consensuel. Le 17 janvier 2008, une manifestation de lUSTKE a dgnr, entranant des heurts avec la police pendant douze heures. Le leader du syndicat, Grard Jodar, a t condamn six mois de prison. On na plus le droit de manifester ; on emprisonne nos militants. Si cela continue, il ny aura plus de syndicats en Nouvelle-Caldonie , proteste Grard Jodar. Le haut-commissaire de la Rpublique reconnat faire preuve de fermet lgard de lUSTKE, non pas parce quil sagit dun syndicat kanak, mais parce quil est oppos laccord de Nouma sur lequel repose lavenir du Caillou. Rponse de Grard Jodar : Nous ne sommes pas opposs laccord. Mais les transferts de comptences navancent pas car le systme du consensus bloque tout. Les non-indpendantistes se trouvent aussi confronts une surenchre droite de la part du prsident local de lUMP, le dput Pierre Frogier. Celui-ci clame quune bonne lecture de laccord de Nouma signifie le maintien de la Nouvelle-Caldonie dans la France . Pour lui, il faut purger cette affaire dindpendance . En outre, Pierre Frogier soppose au transfert de lenseignement secondaire, pourtant prvu par laccord du 5 mai 1998. Le dput UMP sest senti soutenu par Christian Estrosi lors de sa visite dans la rgion en octobre 2007. Alors secrtaire dEtat lOutre-mer, ce dernier avait peine rencontr les reprsentants kanaks, mais affirm que la Nouvelle-Caldonie doit rester franaise . Pour lhistorien Louis-Jos Barbanon, cit par Le Monde : Cest une attitude va-t-en-guerre dangereuse pour le pays. La situation politique repose sur un quilibre trs fragile. Depuis, Christian Estrosi ne dtient plus le maroquin de lOutre-mer, et Nicolas Sarkozy a affirm sa volont de respecter une application loyale de lesprit et de la lettre de laccord de Nouma . Cette surenchre, droite comme gauche, sexplique par la proximit des lections provinciales de 2009. Celles-ci dsigneront les lus des assembles locales, mais aussi ceux du Congrs qui seront chargs dorganiser le rfrendum dautodtermination entre 2014 et 2018. Cest dire lenjeu. La Nouvelle-Caldonie sachemine-t-elle inluctablement vers lindpendance ? Rien nest moins sr, et cest ce qui inquite le camp indpendantiste. Aujourdhui, un rfrendum donnerait la victoire aux partisans du maintien dans la France. Reprsentant 44 % de la population, les Kanaks ne sont plus majoritaires, mme sils sont les premiers habitants de larchipel. En outre, tous les Kanaks ne sont pas favorables lindpendance. Le 17 juin dernier, Victor Tutugoro, le porte-parole du FLNKS, dclarait dans Les Nouvelles Caldoniennes : Il ny a plus dindpendance au sens ancien du terme. Lessentiel, cest la souverainet et la capacit de choisir nous-mmes nos interdpendances, donc le type de relations avec la France. Pourquoi en effet les Caldoniens souhaiteraient-ils lindpendance ? Ils disposent de leur propre citoyennet, de leur gouvernement, de leur Parlement, dun hymne, bientt dun drapeau, de leurs propres lois en matire conomique et fiscale, en matire scolaire et culturelle Bref, ils grent lessentiel de leur vie quotidienne. Certes, ils ne disposent pas de leur police ni de leur arme et la politique trangre est dfinie par Paris. Mais ces fonctions rgaliennes coteraient trs cher un Etat dont lconomie est certes florissante, mais dont le PIB ne dpasse pas six milliards deuros. Pre des accords de Matignon, Michel Rocard dclarait rcemment : Le concept dindpendance na plus de sens. Les enjeux du monde daujourdhui ne sont plus la porte dun pays solitaire. Lindpendance, telle quenvisage par lOnu, suppose le pouvoir montaire, de dfense et de souverainet civile. Jamais la Nouvelle-Caldonie ne demandera cela car cest trop cher. Lessentiel est la souverainet dont elle dispose. Chacun y va alors de sa solution : un Etat associ avec la France, sur le modle des les Cook ; une Union franaise, sur le modle du Commonwealth ; un systme fdral Un discours qui fait grincer des dents Paul Naoutyine, prsident de la province Nord : La dcolonisation est inacheve. Le cot financier nest pas lessentiel ; il y a la fiert et la logique dtre indpendant. Cest le sens de lhistoire. Je ne veux pas dpendre pour la dfense de mon territoire de soldats franais. Et le leader kanak de menacer de saisir les Nations unies, la Nouvelle-Caldonie tant inscrite depuis 1986 sur la liste des territoires dcoloniser. Il est vrai que le Caillou se trouve 20 000 km de Paris, et seulement 1 500 km de la Nouvelle-Zlande. Si le prsident local de lUMP, Pierre Frogier, souhaite lorganisation dun rfrendum dautodtermination aprs 2014 pour purger cette affaire dindpendance , certains sont plus rservs. Cest le cas du chef du gouvernement, Harold Martin, leader du parti centriste Avenir ensemble : Un rfrendum fera des vainqueurs et des vaincus. Cest mauvais pour tout le monde, pour lharmonie de la socit pluriethnique. Il faut continuer discuter, signer un nouvel accord comme celui de Nouma, trouver dautres formes dvolution institutionnelle que lindpendance. Ancien patron du RPCR, autrefois considr comme un dur anti-Kanaks, mais signataire des accords de Matignon et de Nouma, le Caldoche Jacques Lafleur estime que la solution nest pas dans un rfrendum, mais dans le dialogue. On ne peut pas mettre fin la Nouvelle-Caldonie multiraciale. Personne ici ne peut prtendre possder tous les droits. Lardente obligation des futurs responsables politiques est de maintenir le dialogue et de ninspirer de sentiment de domination personne. | |||
Jean Piel | |||
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