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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

11/11/2008
Q I (1)
Italie : la drive autoritaire


(MFI) Remise en cause de lindpendance des magistrats, renforcement des lois contre les immigrs, scurit publique assure par larme, multiplication des incidents racistes Six mois aprs le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi, lItalie semble connatre une drive autoritaire. Cela nempche pas le chef du gouvernement de rester trs populaire. De son ct, lopposition mine par des querelles de chefs peine se faire entendre. Mais les grandes manifestations actuelles contre la rforme de lenseignement pourraient changer la donne.

Quelles sont les rformes menes par Silvio Berlusconi depuis son retour au pouvoir ?

Lors de la campagne pour les lections lgislatives davril 2008, Silvio Berlusconi semblait stre assagi. Clbre pour ses discours chocs, il avait pour une fois jou la carte de la modestie et du pragmatisme. Je gouvernerai avec humilit, mais attendez-vous des mesures impopulaires , dclarait alors celui que lon surnomme Il Cavaliere.
A peine install au Palazzo Chigi, le sige du gouvernement, Silvio Berlusconi a retrouv ses habitudes dantan. Lui qui stait dit prt ouvrir son gouvernement aux hommes de bonne volont a constitu une quipe trs droite, avec plusieurs ministres issus de lAlliance nationale et de la Ligue du Nord, deux partis ouvertement xnophobes. Il sest dabord attaqu ce qui faisait scandale lors de la campagne lectorale : la crise des ordures Naples, o des tonnes de dchets ntaient plus ramasss depuis des mois. En quelques semaines, il a fait ramasser les ordures (souvent par larme), militaris les zones o seront installes de nouvelles dcharges, annonc la construction de deux incinrateurs, pass un accord avec Berlin pour retraiter les dchets en Allemagne. Aujourdhui, la grande ville du Sud de la pninsule a retrouv sa propret. Mais les cologistes estiment que le problme a juste t dplac. Les ordures sont dsormais rejetes plus loin en banlieue ; cela se voit moins, mais aucune solution na t trouve pour leur retraitement.
Silvio Berlusconi lavait martel sur tous les tons : il entendait restaurer lordre et lautorit de lEtat. Cest sur les thmes de linscurit et de limmigration systmatiquement associes dans les discours dIl Cavaliere quil agit en priorit : 3 000 soldats ont t dploys dans les principales villes du pays aux cts de la police. Surtout, le Parlement a adopt, le 24 juillet, un paquet scurit qui prvoit le fichage des Roms de plus de 14 ans, lexpulsion de ceux qui ne sont pas italiens, la cration de classes destines aux seuls enfants trangers, la simplification des procdures dexpulsion et la pnalisation de limmigration clandestine avec des peines allant jusqu quatre ans de prison. Paralllement, dix nouveaux centres de rtention ont t btis Lampedusa, cette le de Sicile o dbarquent nombre de clandestins, et les autorits compliquent le travail des Ong sur place. Enfin, Rome a conclu le 30 aot un accord avec la Libye qui prvoit une indemnisation de cinq milliards de dollars pour les blessures de lpoque coloniale , en change de quoi Tripoli sengage renforcer le contrle des candidats au dpart sur son territoire.
Ces mesures nont gure port leurs fruits. Depuis le dbut de lanne, 27 000 immigrs sont entrs illgalement en Italie, soit 63 % de plus quen 2007. Mais les expulsions ont augment de 28 % depuis llection de Silvio Berlusconi. Cette association inscuritimmigration a entran une multiplication des accidents xnophobes. Un vent de racisme souffle sur lItalie , titrait rcemment La Repubblica. Un racisme encourag par les dclarations viprines de certains dirigeants. Pourquoi construire des mosques en Italie ? Les Africains prient et pissent dans le dsert , a os Umberto Bossi, le leader de la Ligue du Nord. Quand au maire de Pordenone, issu du mme parti, il a refus la tenue dune expo-photo sur lAfrique au motif que mes concitoyens ne veulent plus voir dtrangers, mme en photo . Rsultat : une multiplication des attaques parfois meurtrires contre des Africains et des Asiatiques, des bavures dans les commissariats, des insultes frquentes. Mme la ministre de la Justice du Burkina Faso, qui se rendait pied au sige du gouvernement, a t insulte par un passant : Sale ngresse, rentre dans ton pays .

Quen est-il des rformes dans les autres domaines ?

Dj deux fois Premier ministre, Silvio Berlusconi est aussi lhomme le plus riche dItalie ; beaucoup laccusent de grer le pays comme son entreprise. Prcisment, cette collusion entre affaires et politique lui a valu plusieurs mises en examen. Fininvest, sa socit, a fait lobjet de 22 procs, 600 perquisitions et 250 commissions rogatoires depuis 1998. Comme il le dclarait sans dtour deux journalistes, auteurs dun livre sur lui : Je suis entr en politique pour viter la prison et la faillite de mon groupe. Sil a t plusieurs reprises condamn en premire instance (pour abus de confiance ou faux en criture), il ne la jamais t en appel et surtout a bnfici de la prescription, la justice italienne tant rpute pour son extrme lenteur. Reste que les juges sont la bte noire du chef du gouvernement italien qui les a qualifis de dbiles ayant besoin dune expertise psychiatrique . Il ne risque pas de se rconcilier avec eux. Adopte le 22 juillet, une loi accorde limmunit pendant leur mandat aux quatre plus hautes autorits de lEtat : le prsident de la Rpublique, le Premier ministre, les prsidents du Parlement et du Snat. Plus possible de poursuivre Il Cavaliere, mis en cause Milan pour avoir vers 600 000 dollars un avocat anglais contre de faux tmoignages. En outre, le gouvernement a ordonn que soient suspendus pendant un an les procs non prioritaires et ceux relatifs des dlits commis avant le 30 juin 2002 , afin que les juges se concentrent sur les affaires les plus graves. Sont considrs comme non prioritaires les dlits conomiques et financiers. Paralllement, la prsentation de faux bilan nest plus un dlit. Une nouvelle fois, Berlusconi utilise la loi pour protger ses intrts personnels. La prsentation de faux bilan tait larme utilise par les magistrats pour lutter contre la corruption en politique lors de lopration Mains propres, Mani Pulite, dans les annes 90. Ce nest plus possible dsormais , tempte Luca Palamara, le prsident de lAssociation nationale de la magistrature, cit par LExpress.
Et ce nest pas fini : le Parlement doit examiner avant la fin de lanne une rforme du systme judiciaire qui rduit lindpendance du Parquet. De mme doit-il annoncer la dcentralisation du systme fiscal ( la demande de la Ligue du Nord) et la reprise des constructions de centrales nuclaires, geles depuis les annes 80. Autant de dcisions, de projets, de lois controverss mais qui nempche pas Silvio Berlusconi de bnficier de 60 % dopinion favorable, six mois aprs son entre en fonction. Membre de la Ligue du Nord et auteur du paquet scurit contre limmigration, le ministre de lIntrieur, Roberto Maroni, est tout aussi populaire. A en croire le quotidien La Stampa : Berlusconi est populaire car il fait ce quil avait promis pendant la campagne lectorale. Il est concret, pragmatique, dynamique. Il agit sans faire de longs discours.
Lactuelle crise financire na pas entam la cote du chef de lexcutif italien. Dabord parce que ltat de sant de lconomie transalpine tait dj mauvais avant cette crise, son taux de croissance est infrieur la moyenne europenne. En outre, comme lexplique Eugenio Scalfari, dans La Repubblica : Dans ce domaine, Silvio Berlusconi apparat rassurant. Cest un homme daffaires qui a russi ; il est plus comptent en conomie que les dirigeants de lopposition. Mais, avec une dette qui avoisine les 106 % du PIB, lItalie ne peut pas sen sortir seule. Cest pourquoi, tout en assurant que notre systme bancaire est sr, Berlusconi sest activ pour quun plan de sauvetage des banques soit adopt au niveau europen. Jusqu prsent, une seule banque italienne, Unicredit, a connu de srieuses difficults.

Quelles sont les critiques formules contre la politique mene par Silvio Berlusconi ?

Si Il Cavaliere connat toujours un tat de grce, sa politique nen est pas moins critique. Peu par une opposition qui on le verra peine trouver ses marques, mais surtout par les intellectuels et la presse. A en croire le philosophe Massimo Cacciari, interview par Libration : Silvio Berlusconi est trs habile pour vendre du vent. Il prend des mesures contre limmigration, mais les clandestins sont toujours plus nombreux. Il dploie 3 000 soldats dans les rues, mais il y avait dj 400 000 policiers, et la police voit son budget diminuer. Il vante le fdralisme fiscal, mais les impts ne baissent pas et le pouvoir dachat des Italiens fond comme neige au soleil. La force de Berlusconi est de contrler les chanes de tlvision prives qui prsentent la moindre de ses mesurettes comme une initiative exceptionnelle. Sa tactique rside dans la seule communication. Ancien rsistant et doyen de la presse italienne, Giorgio Bocca est encore plus svre : Le berlusconisme ressemble de plus en plus au fascisme. Le Premier ministre est obsd par lordre, autorise tous les drapages contre les immigrs, remet en cause lindpendance des magistrats et la libert de la presse, utilise lEtat des fins personnelles. Les fondements de la dmocratie sont viols. Pour Mario Marazitti, de la communaut catholique SantEgidio, cit par Le Monde : Culturellement, les Italiens ne sont pas racistes. Nous avons longtemps t un pays dmigrs. Nous savons ce que cest que de tout quitter pour refaire sa vie ltranger, dans un environnement parfois hostile. Aujourdhui, nous sommes devenus une terre dimmigration, et ce changement est difficile grer. Mais rejeter les trangers serait sautomutiler. Les immigrs rguliers travaillent ; ils payent deux milliards deuros de taxes par an. En criminalisant les clandestins, on les marginalise et on les pousse dans les bras du crime organis.
La trs influente Eglise catholique se montre svre aussi pour Il Cavaliere. A plusieurs reprises, elle a critiqu les mesures prises contre les clandestins et le regroupement familial, comme contraires aux Droits de lhomme. Mme le Pape a dnonc une renaissance proccupante du racisme . Lhebdomadaire catholique Famiglia Cristiana, diffus plus dun million dexemplaires, sinquite dun possible regain du fascisme. Comme lcrit son ditorialiste : La prise dempreintes digitales des enfants roms ? Indcent. Le recours larme pour scuriser les lieux publics ? Ridicule. La tentation de certains de rcrire lhistoire de la Seconde guerre mondiale et de la priode mussolinienne ? Inquitant . Les rassemblements en mmoire du Duce rencontrent, en effet, un succs croissant (voir article ci-aprs).
La Commission europenne a galement lanc un avertissement Rome. Elle a en effet oppos son veto deux mesures du paquet scurit , lexpulsion des Roms et la pnalisation de limmigration clandestine, les jugeant contraires au droit europen. LItalie connat aujourdhui une drive autoritaire alors que les habitants de ce pays sont de braves gens. Mais face la crise conomique, la mondialisation, la peur du lendemain, on cherche toujours des boucs missaires. Ltranger est le plus facile, a fortiori quand les dirigeants politiques donnent le mauvais exemple , dplore Graziano Delrio, le maire (centre-gauche) de Reggio, connu pour le succs de sa politique dintgration des immigrs.

Dans un tel contexte, que devient lopposition ?

Les rformes inities par Silvio Berlusconi, les controverses autour de sujets sensibles comme limmigration ou lindpendance de la justice, la multiplication des attaques caractre raciste auraient d tre loccasion pour lopposition de sexprimer. Cela na gure t le cas. Sonne par sa dfaite aux lections lgislatives davril 2008, celle-ci semble aphone. Elle est surtout dchire par une guerre des chefs dont Silvio Berlusconi profite allgrement. Leader du Parti dmocrate (centre-gauche), lancien maire de Rome Walter Veltroni na pas de stratgie claire. Il hsite entre une opposition radicale au gouvernement et une tentative de dialogue afin de peser sur les dcisions. Cest illusoire. Berlusconi mprise la gauche et na aucun besoin de dialoguer avec elle. Nous avons perdu les dernires lections lgislatives. Quand on perd, on change de capitaine , affirme, dans La Repubblica, un dput du Parti dmocrate, favorable la dmission de Walter Veltroni. Quant Antonio Di Pietro, ancien juge vedette de lopration Mani Pulite, aujourdhui la tte de LItalie des valeurs, il a trait Walter Veltroni de collabo et a rompu lalliance entre leurs deux formations. Plus gauche, les communistes et les Verts peinent exister.
La gauche italienne pourrait sortir de son coma grce la rforme de lenseignement propose par le gouvernement. Une rforme qui envisage le retour au professeur unique dans le primaire, 130 000 suppressions demplois tales sur plusieurs annes et une baisse de neuf milliards deuros du budget de lducation. Depuis quinze jours, tudiants et professeurs manifestent quotidiennement dans les principales villes de la pninsule. Le 30 octobre, 90 % des coles taient en grve. Le 14 novembre, ce sera au tour des universits. Enfin, lopinion publique se rveille. Les jeunes, dpolitiss, descendent dans la rue. Cest peut-tre la fin de ltat de grce pour Berlusconi , se rjouit le philosophe Massimo Cacciari.
Le 25 octobre, le Parti dmocrate a organis une manifestation contre Silvio Berlusconi qui a rassembl un million de personnes Rome. Le meeting final a eu lieu dans le clbre cirque Maxime o se tenaient les combats de gladiateurs dans lantiquit. Intitule Sauver lItalie , la manifestation semble tout le moins avoir sauv lopposition.

Jean Piel

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