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18/11/2008 | |||
Questions internationales (1) Les dfis de larme irakienne | |||
(MFI) Barack Obama a promis de retirer les troupes amricaines dIrak dans les seize mois suivant son entre la Maison blanche. Sil maintient cet engagement, ce sera larme irakienne dassurer la scurit du pays. Forte de 254 000 hommes, celle-ci est de mieux en mieux entrane et organise. Mais elle connat encore des failles importantes, notamment ses divisions communautaires. Pourra-t-elle assurer la stabilit de lIrak aprs le dpart des soldats amricains ? Elments de rponse. | |||
Quelle est limportance de larme irakienne aujourdhui ? Dfil de pompiers, policiers et soldats des forces spciales ; musique militaire et lever des couleurs : le transfert du pouvoir des forces amricaines aux autorits irakiennes dans la province de Wassit, le 29 octobre 2008, a t loccasion dune fastueuse crmonie. Les forces de scurit irakiennes sont dsormais capables dassurer la stabilit de la rgion. Leur organisation, leur discipline, leur entranement leur en donnent les moyens. Ici en mars, on comptait 18 attaques par semaine ; on en compte peine deux aujourdhui , sest flicit le gnral Llyod Austin, commandant en chef adjoint de larme amricaine en Irak. Frontalire de lIran, Wassit devient ainsi la 13e des 18 provinces irakiennes passer sous contrle des autorits du pays. Cinq jours avant, la province de Babylone avait connu le mme sort. Un transfert de pouvoir trs symbolique puisque Babylone est un haut lieu de la culture persane et mme lun des berceaux de lhumanit avec ses ruines sumriennes et ses clbres Jardins suspendus, lune des sept merveilles du monde. Symbolique, ce transfert ltait aussi car la province abritait le triangle de la mort , o linsurrection anti-amricaine puis les violences entre chiites et sunnites ont t les plus meurtrires. Aujourdhui, le calme est revenu. Dans les 13 provinces contrles par larme irakienne, les soldats amricains restent cantonns dans leur base et ninterviennent officiellement qu la demande du gouverneur rgional. Prochainement, deux autres districts reviendront sous le giron du pouvoir irakien : la riche province ptrolire de Kirkouk, et Salahedinne qui fut longtemps un bastion de linsurrection sunnite. Il ne restera alors que trois provinces sous contrle amricain : Bagdad et deux rgions toujours en proie la violence, Ninive et sa capitale Mossoul, ainsi que Diyala dont le chef-lieu est Baaqouba. Cette acclration des transferts de pouvoir aux autorits irakiennes tient la nette diminution des combats depuis un an. Larme amricaine subit aujourdhui plus dattaques en Afghanistan qu Bagdad. Elle tient aussi la meilleure qualit des troupes irakiennes. On est loin de la situation o, en avril 2004, les soldats irakiens, frachement enrls, avaient refus de tirer sur dautres Irakiens lors de la bataille de Falloujah et avaient disparu dans la nature. Mieux entrains, mieux arms, plus disciplins, les 254 000 soldats de la nouvelle arme irakienne constituent dsormais une relle force de contre-insurrection. Ils lont prouv en menant seuls, en mars dernier, les combats contre lArme du Mahdi, la puissante milice du chef chiite radical Moqtada Al-Sadr. Lopration baptise Charge des chevaliers a pris fin aprs une semaine daffrontements et 200 morts, lorsque Moqtada Al-Sadr a demand ses hommes de cesser les hostilits. Quelles sont les forces et les faiblesses de larme irakienne ? Larme irakienne est la fois ancienne et rcente. LIrak de Saddam Hussein disposait de troupes aguerries, encadres par des officiers forms en Europe ou aux Etats-Unis, avec des armes de pointe. Washington lavait prsente comme la quatrime arme du monde. Abusif certes, mais il existe en effet une tradition militaire dans lancienne Msopotamie. Peu aprs linvasion amricaine, Paul Bremer, premier reprsentant des Etats-Unis Bagdad, avait ordonn sa dissolution et le renvoi des fonctionnaires membres du parti Baas. Une erreur majeure : tous les officiers et fonctionnaires ntaient pas des admirateurs de Saddam Hussein ; ils constituaient par contre des cadres mme de reconstruire le pays. Dmobiliss, nombre dofficiers ont rejoint linsurrection anti-amricaine avec leurs hommes, leurs armes et leur connaissance du terrain. Nous avons t aveugls par notre propre propagande. Nous pensions que ceux qui nous attaquaient taient des fidles de Saddam Hussein ou des intgristes proches dAl-Qada. Cest lorsque nous avons compris que beaucoup dentre eux taient des Irakiens ordinaires, qui essayaient juste de survivre, que nous avons dcid srieusement de refonder une arme irakienne , reconnaissait un colonel dinfanterie dans le magazine Newsweek. Cette mission est dabord confie une socit de scurit prive, Vinnell Corporation. Sans gure de succs. Une unit de larme amricaine, dirige par le gnral David Petraeus, va alors se consacrer la tche. A en croire Anthony Cordesman, du Center for Strategic and International Studies (Washington), cit par Le Monde : Former une arme irakienne pour aider les Etats-Unis prendre possession du pays tait vou lchec. Par contre, si cette arme a pour mission de lutter contre les fondamentalistes, souvent trangers, qui commettent des attentats, tuent des chefs tribaux et terrorisent la population, alors tout devient possible. Larme amricaine a subi de lourdes pertes parce quelle tait visible. Confier aux troupes irakiennes les oprations de maintien de lordre, de protection des Ong de reconstruction, de soins mdicaux dans les villages, prsente le double avantage de ne pas exposer les Amricains et de satisfaire une population en contact avec des soldats de son pays. Larme irakienne est donc destine la contre-insurrection. Elle le fait avec une efficacit certaine. Dans un DVD enregistr en 2007, un chef djihadiste, Abou Maysara, tu depuis, se plaignait de ces rengats qui se sont allis aux infidles pour nous dtruire . Cette arme irakienne est cependant encore loin dtre parfaite. Elle manque de matriel, prsente des dfauts dans la chane de commandement, connat des dsertions, souffre dune logistique alatoire. Surtout, comme la police, elle est souvent traverse par des divisions communautaires. Elle est majoritairement chiite, sauf au Kurdistan, rgion autonome qui dispose de ses propres troupes. Les sunnites minoritaires dans le pays mais dtenant tous les pouvoirs lpoque de Saddam Hussein peinent y trouver leur place, et certaines units font davantage allgeance des chefs politiques ou tribaux quau gouvernement. Bref, lunit et le sentiment national ne sont pas son fort. Ce problme est en passe dtre rsolu. Les conflits ethniques perdent en intensit. Moins les troupes amricaines seront prsentes, plus larme irakienne endossera son rle darme nationale , assure le gnral Llyod Austin. Rpartis en 13 divisions, les 254 000 soldats de la nouvelle arme irakienne ont donc un sacr dfi relever. Larme irakienne pourrait-elle assurer la scurit du pays en cas de retrait des troupes amricaines ? Cela reste illusoire. Les experts militaires sur place estiment quun retrait des troupes amricaines ne pourra tre que progressif. Comme le confiait la BBC le gnral David Petraeus, il y a peu encore commandant en chef des forces amricaines en Irak et considr comme celui dont la stratgie a rduit drastiquement le niveau de violence Bagdad : La situation reste fragile, le calme prcaire. Mme si larme irakienne fait dincontestables progrs, sans notre prsence le pays risque de sombrer dans le chaos. Des milices chiites, actuellement en sommeil, reprendront leurs attaques contre les sunnites, et vice-versa. Les groupes terroristes, tel Al-Qada en Msopotamie, commettront nouveau des attentats. LIran entretiendra linstabilit. Ni la police ni larme irakiennes nont les moyens de faire face une telle situation. Quun officier amricain livre une telle analyse nest gure surprenant. Mais cest aussi celle du colonel Abdel Salam, qui commande la 42e brigade de larme irakienne : Nous serons capables de prendre en charge la scurit nationale vers 2012 et celle des frontires vers 2018. La perspective est lointaine. A en croire Salim Abdullah, le porte-parole du Front de la concorde irakienne, un parti politique sunnite, cit par The New York Times : Nombre de milices et groupes terroristes attendent le dpart des Amricains pour reprendre leur activit. Certes, la prsence des GIs nest pas notre option favorite. Mais les Etats-Unis ne doivent pas abandonner le pays une violence et une instabilit quils ont eux-mmes cres. Depuis un an environ, la violence a srieusement diminu en Irak. On comptait 322 attaques par jour en moyenne en septembre 2007, 80 en septembre 2008. On est pass de 3 000 400 morts par mois sur la mme priode. Un apaisement qui a de multiples causes : les progrs des troupes irakiennes, le renfort de 30 000 hommes ct amricain, le cessez-le-feu dcrt par les milices chiites, les coups ports aux factions intgristes, la lassitude des Irakiens face des combats fratricides qui nont apport que la dsolation. Un lment essentiel a t la cration au printemps 2007, linitiative du gnral Petraeus, de milices sunnites baptises Sahwa, les Comits du Rveil. Ces sunnites qui ont pourtant men linsurrection contre les forces amricaines, mais qui ont aussi subi les exactions dAl-Qada (voir article ci-aprs). La situation reste nanmoins volatile. Do la difficult pour larme irakienne dassurer seule la scurit ? Cest le cas en effet ; tous les problmes sont loin dtre rgls. Les Etats-Unis souhaitent que les miliciens de Sahwa soient intgrs dans larme. Les officiers, comme le Premier ministre Nouri Al-Maliki, y sont rticents car ils ne leur font pas confiance. La preuve que les divisions communautaires qui minent lIrak et qui ont enflamm le pays aprs la destruction de la mosque dor de Samara par un groupe sunnite en fvrier 2006 restent profondes. Larme peine encore reprsenter toute la Nation. Si la violence a diminu, elle na pas disparu. Le 10 novembre, un attentat-suicide a fait 28 morts Bagdad, le plus meurtrier depuis le mois de juin. Lopration Charge des chevaliers , qui a oppos, en mars dernier, les troupes irakiennes lArme du Mahdi, est rvlatrice aussi. Les optimistes soulignent que les forces irakiennes sont montes seules au combat, que majoritairement chiites elles ont nanmoins attaqu une milice chiite au nom du maintien de lordre, que les affrontements nont dur quune semaine. Les pessimistes rappellent quil ne sagissait pas dune attaque contre les troupes amricaines mais des ambitions dune arme locale, que cette milice de 60 000 hommes a tenu tte une semaine larme irakienne et na cess les combats que sur lordre de son chef install en Iran depuis plus dun an, que larme irakienne a eu en permanence besoin de lappui logistique et arien des forces britanniques et amricaines. Le capitaine dune brigade base Ramadi le reconnaissait dans Le Monde : Patrouiller en ville, protger un lieu public, escorter des visiteurs sont des missions que nous pouvons mener seuls. Mais nous ne montons au combat que si nous sommes srs de bnficier dun appui arien ou dun renfort en hommes et en blinds des Amricains. Au demeurant, dans la province dAl Anbar officiellement contrle par les Irakiens on compte encore 28 000 soldats de la coalition pour 37 000 hommes de troupes irakiens. Enfin, on imagine mal aujourdhui larme irakienne contrler Bagdad. Chef de la mission des Nations unies Bagdad, Staffan de Mistura insiste sur la dimension politique de la pacification de lIrak : La violence baisse sans conteste dans le pays. Maintenant il faut aider le Premier ministre, Nouri Al-Maliki, conclure des compromis politiques. Il faut rintgrer les sunnites dans le jeu politique, lutter contre la corruption et mieux rpartir les revenus ptroliers. Sans ces initiatives, tout renforcement de larme irakienne mnera limpasse, toute baisse de la violence sera transitoire. De mme, les milices, comme lArme du Mahdi ou les Comits du Rveil, ne doivent pas tirer leur influence de leur seul arsenal. Puisque leurs chefs rclament des responsabilits, quon leur en donne. On pourrait leur confier, quartier par quartier, la gestion de leau, le ramassage des ordures, la scolarisation primaire Voil des pistes pour satisfaire les diffrentes factions tout en faisant taire les armes. Les Irakiens apprcieraient. Dans ce contexte, que change llection de Barack Obama ? Depuis toujours oppos la guerre en Irak, Barack Obama sest engag ce que les troupes de combat quittent le pays dans les seize mois suivant son installation la Maison blanche, soit dici juin 2010. Le prsident lu na cependant pas prcis combien de temps resteraient les troupes de soutien, celles assurant la formation de larme irakienne, celles ddies la protection des ambassades ou celles luttant contre le terrorisme. Mais son ide est de redployer au plus vite les troupes dIrak vers lAfghanistan. Llection de Barack Obama a dj dcid le gouvernement irakien approuver, le 16 novembre 2008, le SOFA, le Status of Forces Agreement, qui vise donner un cadre lgal la prsence amricaine en Irak aprs le 31 dcembre 2008, date de lexpiration du mandat de lOnu. Le texte prvoit le retrait des forces amricaines des grandes villes dici juin 2009 et de lensemble du pays avant la fin 2011 sauf si Bagdad demande leur maintien dans le pays au-del. Laccord assure aussi une certaine immunit judiciaire aux GIs coupables de crimes de droit commun. Le Parlement doit encore approuver ce texte, sign pour linstant par le seul gouvernement. Mais cela ne devrait tre quune formalit. Jusqu prsent, malgr les pressions de Washington, les responsables irakiens refusaient de signer un tel contrat. Comme lexplique, dans The New York Times, Hadi Al-Ameri, lun des dirigeants du Conseil suprme de la rvolution islamique en Irak, un parti chiite : Il nous tait impossible dapprouver un document prvoyant le maintien des forces amricaines en Irak. Tout simplement parce que nous ne faisions pas confiance ladministration Bush pour respecter cette date de dcembre 2011. Avec Barack Obama, nous savons que le calendrier de retrait sera respect. Donc, il nous est devenu possible de signer le SOFA. Le climat est donc dj diffrent entre Washington et Bagdad. A ceux qui leur rappellent les avertissements des experts militaires quant aux risques de chaos en Irak aprs le dpart des troupes amricaines, les dmocrates rpondent en substance : Certains pensent que nous devrions partir lorsque le pays sera pacifi. Nous pensons au contraire que notre prsence empche la pacification. Une fois nos troupes hors dIrak, les diffrents partis politiques seront forcs de sentendre pour grer le pays, larme irakienne devra prendre les moyens dassurer la scurit. Les Irakiens ne veulent pas voir leur pays sombrer ; cela les obligera sentendre. | |||
Jean Piel | |||
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