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25/11/2008
Questions internationales (2)
Pourquoi la Chine ne veut rien cder au Tibet


(MFI) Au-del des questions culturelles et religieuses, le Tibet reprsente un enjeu vital pour la Chine, la fois stratgique et conomique. Il est frontalier de lInde, abrite les sources des principaux fleuves dAsie et son sous-sol est riche en minerai. Pour Pkin, accorder lautonomie au Tibet serait aussi favoriser la contagion sparatiste dans un pays qui compte 56 minorits. Lunit de lEmpire du milieu est une obsession des dirigeants chinois.

Le dala-lama nest quun chacal en robe bouddhique, un monstre visage humain. Nous menons une lutte intense de feu et de sang, une lutte mort contre ce bandit et sa clique. Ces propos de Zhang Qingli, le secrtaire du Parti communiste chinois au Tibet, sont tout sauf nuancs. Ils tmoignent de la dtermination de Pkin ne faire aucune concession au prix Nobel de la paix 1989 ; pas question daccorder la moindre autonomie la province himalayenne, ni mme de reconnatre sa culture, sa langue et sa foi.
Lorsque Zhang Qingli qualifie le dala-lama de loup noir envelopp dans une robe de bure et dot dintentions diaboliques , il ne fait que reflter la radicalisation des autorits chinoises sur la question tibtaine. Une radicalisation qui intervient au moment o lEmpire du milieu est confront une multiplication des conflits sociaux : sur les salaires insuffisants, sur les abus de responsables locaux du Parti communiste, sur la scurit inexistante dans les usines, sur les mensonges face au sida La crise financire internationale qui entrane dj des licenciements risque daggraver ces conflits sociaux. Les dirigeants chinois doivent donc raffirmer leur autorit. Cette radicalisation prouve aussi que Pkin parie sur le dcs prochain du dala-lama, g de 73 ans et de sant fragile, pour touffer encore davantage la cause tibtaine.

Le titre de dala-lama cr par un Chinois !

Si la Chine na jamais fait preuve de libralisme lgard dune province quelle a envahie en 1951, son discours na pas toujours t aussi agressif. A son arrive la tte du Parti communiste en 1980, le rformateur Hu Yaobang reconnat que Pkin a commis des erreurs au Tibet et quil faut donner davantage de pouvoirs aux cadres tibtains afin quils puissent grer au mieux les affaires de leur rgion autonome, sous la bienveillante houlette de Pkin . Mais Hu Yaobang est vinc du pouvoir en 1987. Deux ans plus tard, lorsque des meutes clatent Lhassa loccasion du 30e anniversaire de la fuite du dala-lama, la rpression est mene par Hu Jintao, alors secrtaire du Parti communiste au Tibet et aujourdhui prsident de la Rpublique populaire.
Ironie de lHistoire : cest un Chinois Altan Khan qui, en 1578, a cr le titre de dala-lama (ocan de sagesse) en reconnaissance de limportance spirituelle et politique du chef du clan des Gelukpa qui rgnait alors sur la rgion. Les historiens chinois affirment que, de tout temps, le Tibet a t assujetti la Chine. Les spcialistes plus indpendants estiment que ce prtendu lien de vassalit na pas toujours exist, mme si les deux entits ont depuis longtemps commerc et que Pkin a toujours dfendu une conception impriale de son rle dans la rgion. Mais comme le rappelle Franoise Robin, tibtologue auprs de lInalco : Le Tibet est distinct de la Chine sur les plans ethnique, religieux, linguistique et culturel. Que la cause tibtaine soit toujours aussi vive, prs de soixante ans aprs linvasion chinoise, tmoigne de la force dune identit tibtaine que Pkin narrive pas rduire.

Profondeur stratgique et richesse conomique

Au-del des querelles historiques, les autorits chinoises refusent de faire la moindre concession sur le Tibet pour des raisons stratgique, conomique et politique.
Stratgique : la province himalayenne partage 3 000 km de frontires avec la Birmanie, lInde, le Bhoutan, le Npal et le Pakistan. Surplombant lAsie du Sud, le Tibet offre une profondeur stratgique la Chine et constitue une zone-tampon face une Inde avec laquelle Pkin entretient aujourdhui de meilleures relations, mais qui reste lautre gant asiatique , le principal concurrent de la Chine en Asie. Lhassa se trouve la charnire de lAsie du Sud et de lAsie centrale, deux rgions o les intrts chinois sont cruciaux. En Asie du Sud, Pkin se mfie de lidylle actuelle entre Washington et Delhi, et a besoin du Pakistan pour conserver un dbouch sur locan Indien. En Asie centrale, la Chine entend scuriser les routes nergtiques acheminant le gaz et le ptrole en provenance de la mer Caspienne.
Economique : en mandarin, Tibet (Xizang) signifie la maison des trsors de lOuest . On comprend pourquoi. La province himalayenne abrite la deuxime biomasse forestire de Chine, mme si la rserve spuise du fait du dboisement. Cest aussi le chteau deau de lAsie . Dix des principaux fleuves du continent y prennent leur source, notamment le Mkong, le Yangs, le fleuve Jaune, lIndus et le Brahmapoutre. Le Tibet abrite 30 % des ressources hydrauliques de la Rpublique populaire. Un atout essentiel alors que des pnuries deau se font dj sentir dans le nord de la Chine. Enfin, le Tibet recle dimportantes ressources minrales. Les gisements de chrome et de cuivre sont les plus importants du pays. Ses rserves duranium et de lithium sont les plus riches du monde. Dterminant pour un pays en plein dveloppement conomique. Selon Le Quotidien du peuple, le journal officiel du Parti communiste, les ressources minrales au Tibet seraient values 78 milliards de dollars. En septembre dernier, Pkin a annonc 3,1 milliards de dollars dinvestissements dans des projets miniers et industriels. Le gant de laluminium et du cuivre, Chinalco, a dj ouvert des usines pour exploiter le minerai local. Les autorits chinoises se vantent damliorer les conditions de vie des Tibtains grce au dveloppement conomique. En ralit, des milliers de paysans sont chasss de leurs terres et les Tibtains mmes diplms noccupent que des emplois subalternes. Lconomie et le commerce sont contrls par des Chinois dethnie Han (lethnie majoritaire dans le pays). Depuis le dbut de la dcennie, prs de 200 000 Han se sont installs Lhassa. Etre ainsi exclus du dveloppement conomique de leur propre rgion cre de terribles frustrations chez les Tibtains et favorise le sentiment indpendantiste.

La boite de Pandore des minorits ethniques

Politiquement, pour Pkin, accorder lautonomie au Tibet serait ouvrir la boite de Pandore. Dans un pays qui compte officiellement 56 ethnies (minzu), le risque est la contagion sparatiste. Les Ougours (les musulmans du Xinjiang) et les Mongols (de Gobi et de Mongolie intrieure), voire dautres minorits, pourraient leur tour rclamer leur indpendance. Une menace politique dautant plus inadmissible pour Pkin que ces rgions reprsentent des superficies considrables. Le Tibet historique et culturel stend lui seul sur 25 % du territoire chinois. Dfendre lunit du pays est une obsession du gouvernement. Les dirigeants chinois restent hants par lclatement de lURSS , souligne Ji Shuoming, rdacteur en chef de lhebdomadaire hongkongais Yazhou Zhoukan.
Si le Tibet reprsente un enjeu conomique et stratgique pour la Chine, cela ne justifie en rien les exactions commises par Pkin contre la langue, la culture, la religion tibtaines. Cela ne justifie en rien les atteintes aux droits humains dans la province himalayenne. Dautant que le dala-lama ne revendique pas lindpendance, mais une large autonomie du Tibet dans la cadre de la Constitution chinoise. Pour lcrivain dissident Wang Lixiong : Le Parti communiste chinois est incapable de grer la question des minorits. Les Tibtains ne reprsentent que six millions de personnes, face plus dun milliard de Han. O est la menace ? Mais lobsession de lunit nationale est telle quelle conduit toujours encourager la force face aux minorits et aux sans-grades.

Jean Piel

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