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02/12/2008
Questions internationales (2)
Francis Perrin : On ne dfend pas la libert en violant la libert


(MFI) Francis Perrin est membre excutif du bureau dAmnesty International. Selon lui, la Dclaration universelle des droits de lhomme a permis de nombreux progrs sur le plan juridique et a fait monter en puissance linfluence des organisations non gouvernementales. Pour autant, son application est souvent loigne des espoirs placs en elle. Dans les dmocraties occidentales aussi, les droits de lhomme ne sont pas toujours parfaitement respects

MFI : Ce soixantime anniversaire de la Dclaration des droits de lhomme vous parat-il triste ou heureux ?

Francis Perrin : Cest avant tout un anniversaire trs important. Historiquement, cest la premire fois que lensemble des droits de la personne politiques, conomiques, sociaux, culturels ont t reconnus par la communaut internationale. Cette Dclaration universelle des droits de lhomme est aussi une rvolution juridique. Auparavant, les Etats taient au centre du droit ; dsormais, le droit international prime et il contraint les Etats en thorie, du moins respecter les droits fondamentaux des individus.
Amnesty International estime que cette Dclaration na pas pris une ride. Elle est adapte aux dfis prsents et venir, auxquels le monde est confront. Elle demeure un guide pour laction politique des gouvernements, pour les exigences lgitimes des associations de dfense des droits humains. Nous vivons des temps troubls et la crise financire en cours risque daggraver certaines situations politiques. Or, plus les temps sont troubls, plus un guide fort est ncessaire.
Certes, son application est souvent loigne des espoirs placs en elle. Soixante aprs son adoption, il y a encore un gouffre entre dune part, les promesses et les exigences du texte ; et dautre part, la ralit politique et sociale de nombreux pays. Cet anniversaire est loccasion de rappeler aux tats leurs obligations en matire de justice, dgalit, de respect de la dmocratie et des liberts. A Amnesty International, nous ne sommes pas dcourags par le travail qui reste accomplir car nous sommes un mouvement tourn vers laction.

MFI : Diriez-vous que les droits de lhomme se sont amliors dans le monde ces dernires annes ?

F. P. : Cest difficile dire car les droits de lhomme ne sont pas prcisment quantifiables. En outre, pour apprcier une amlioration ou une dgradation, encore faut-il connatre la situation de dpart. Ce nest pas toujours le cas.
Ces dernires annes, il y a eu des volutions importantes. Dabord, linformation. Nous vivons dans un monde plus transparent, o lon sait plus de choses, et plus vite. Le point ngatif, cest quon peut avoir limpression que les choses vont de plus en plus mal, ce qui est inexact. Simplement, nous sommes davantage informs. On dcouvre une plus grande partie de liceberg, ce qui ne signifie pas que, sous leau, liceberg soit plus tendu. Laspect positif de linformation est quelle autorise laction. Par dfinition, on ne peut pas lutter contre des violations des droits de lhomme dont on ignore lexistence.
Lautre volution importante est la construction dun difice juridique, qui protge les individus, travers une srie de lois et traits. Le droit dit ce qui est interdit et ce qui est autoris. La torture, par exemple, est interdite partout, mme en temps de guerre. Certes, elle est encore largement pratique dans le monde mais sans loi, les organisations non gouvernementales et les institutions internationales ne pourraient pas agir en justice. Elles ne pourraient pas dnoncer certains abus, ni faire pression sur les gouvernements. Si ces droits humains ntaient pas inscrits dans un corpus juridique, les tats qui les violeraient ne feraient rien dillgal : on ne pourrait rien leur reprocher. Ce nest plus le cas.
Une troisime volution dterminante, lie la prcdente, est la monte en puissance de la justice pnale internationale. Ce fut dabord le Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie en 1993, puis pour le Rwanda en 1994. Dautres tribunaux ad hoc ont t crs pour le Timor oriental, le Liberia, la Sierra Leone. En 2002, la Cour pnale internationale, charge de juger les crimes de guerre, les crimes contre lhumanit et les gnocides, a t installe. Cest un progrs sur lequel on ne pourra pas revenir. Il y a trente ans, on aurait difficilement imagin que des chefs dtat soient mis derrire les barreaux pour des crimes de guerre. Certes, le systme nest pas parfait, les pays nont pas tous ratifi la CPI, mais le progrs est incontestable. Amnesty International espre que Barack Obama va adopter une attitude diffrente de celle de son prdcesseur lgard de la CPI, les Etats-Unis nayant pas reconnu jusqu prsent la comptence de la Cour. La Chine non plus.
La dernire volution dterminante permise par la Dclaration des droits de lhomme est la multiplication des organisations non gouvernementales. Celles-ci ont une influence croissante, font pression sur les Etats, alertent lopinion publique, sont prsentes dans le monde entier. Certains militants prennent des risques considrables pour dfendre les droits de lhomme. Ils mritent le respect. Cest aussi pour eux quAmnesty International refuse de cder au dcouragement. Comment ceux qui militent Paris ou New York pourraient-ils baisser les bras, alors que dautres risquent leur vie Rangoon ou Tunis ?


MFI : Quelles victoires reste-t-il remporter ?

F. P. : Beaucoup, et dans beaucoup de pays. La victoire totale serait lapplication complte et universelle de la Dclaration des droits de lhomme, le respect absolu des droits politiques, conomiques, sociaux et culturels de chacun de par le monde. Nous ny sommes pas encore.
Aujourdhui, lessentiel est de lutter contre limpunit. Cest elle qui permet tous les abus. Tant que ceux qui ordonnent, qui prparent, qui excutent, mais aussi qui dtournent lchement le regard, ne seront pas punis, alors, les violations des droits humains se poursuivront. Lutter contre limpunit suppose une pression continue contre les Etats autoritaires, une application stricte du droit international, des moyens pour les organisations non gouvernementales, des mdia toujours en alerte.
Les sanctions conomiques peuvent tre des outils efficaces contre les dictatures mais elles ne doivent tre mises en uvre que si elles nont pas deffets ngatifs sur la population, que si elles sont prcisment cibles. Ainsi, Amnesty International est favorable la stricte application du processus de Kimberley qui assure la traabilit des diamants. Cest un moyen efficace pour empcher la commercialisation des diamants de sang . Sinon, on ne peut pas priver une population du droit lalimentation ou laccs aux soins au nom de la dfense des droits de lhomme. Ce sont les Etats, les gouvernements, qui sont responsables des atteintes aux liberts fondamentales, pas les citoyens.

MFI : La dmocratie ne semble plus toujours tre un modle. Cela vous inquite-t-il ?

F. P : Oui, certainement. Mais dmocratie et droits de lhomme ne sont pas toujours synonymes. Certes, la dmocratie est un droit des citoyens, mais que la dmocratie progresse ne signifie pas toujours que les droits de lhomme samliorent. Cest gnralement le cas, mais ce nest pas automatique. La dmocratie est une condition ncessaire, mais pas suffisante, pour le respect des droits humains. En Russie, Vladimir Poutine, et aujourdhui Dmitri Medvedev, ont t lus dmocratiquement sur le papier. Pour autant, les droits de lhomme ne sont gure respects dans le pays.
Mme en France, lorsquAmnesty International dnonce certains abus concernant, par exemple, la situation des immigrs, les responsables politiques nous rpondent quil ny a pas datteinte aux droits de lhomme puisque la France est une dmocratie. Il faut se mfier de ce sentiment dautomaticit.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont mis mal les liberts publiques au nom de la lutte contre le terrorisme. On ne peut pas nier que les Etats-Unis soient une dmocratie, et il est vrai que le terrorisme menace les droits de lhomme, mais on ne dfend pas la libert en violant la libert. On ne dfend pas les droits de lhomme en violant les droits de lhomme.

Propos recueillis par Jean Piel

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