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09/12/2008
Questions internationales (1)
Le tourisme quitable : aide au dveloppement ou stratgie marketing ?


(MFI) Ne pas bronzer idiot, respecter lenvironnement, mieux comprendre le pays que lon visite : nombre de touristes sont aujourdhui plus exigeants. Le tourisme quitable cherche rpondre cette demande tout en favorisant le dveloppement durable des communauts daccueil. Si les objectifs sont louables, certains dnoncent un concept ambigu, dont limpact sur le dveloppement est trs limit et qui entretiendrait les fantasmes de touristes du Nord sur lauthenticit des pays du Sud. Elments de dbat alors que Paris accueille, le 19 dcembre, le 6e Forum mondial sur le dveloppement durable.

Comment dfinir le tourisme quitable ?

On a connu les babas qui, dans les annes soixante-dix, partaient pour Katmandou en 2 CV, puis les routards en qute de destinations nouvelles, les cotouristes soucieux de lenvironnement. Voici maintenant le tourisme solidaire, responsable ou quitable, selon ladjectif que lon retient.
Le tourisme quitable entend faire rimer voyage et dveloppement local. A loppos du tourisme de masse o les clients envahissent un htel et se font bronzer sur la plage sans chercher connatre les habitants et la culture du pays, ni limpact social et cologique de leur voyage, le tourisme quitable privilgie le contact avec les populations locales, la comprhension de leur mode de vie, le respect de leur environnement. Ce tourisme sappuie sur plusieurs principes : le comportement responsable du voyageur, la participation de la communaut daccueil au projet touristique, un partage juste des bnfices entre villageois, des changes aussi sincres que possible entre htes et visiteurs, des activits conues et gres pour contribuer directement au dveloppement durable des communauts locales. Au catalogue des tour-oprateurs spcialiss : une semaine dans un village du Bnin, dcouverte de lartisanat au Burkina Faso, la rencontre des peuples autochtones dEquateur, randonne dans le dsert marocain, dcouverte de lart rupestre du Tassili NAjjer en Algrie, immersion dans lArgentine rurale
Le tourisme quitable est diffrent du voyage humanitaire. Ceux qui vont sauver le monde pendant leurs vacances , ironise un acteur du secteur. Jai bondi de mon sige lorsque jai vu un reportage sur le tourisme solidaire o un voyageur apportait une machine coudre au tailleur du village. Il ne sagit pas de jouer au Pre Nol pendant une semaine , semporte Jean-Luc Gantheil, directeur de lagence CroqNature. Comme le souligne dans Le Monde Pascal Languillon, prsident de lAssociation franaise dcotourisme : Il sagit de passer de bonnes vacances, tout en sachant quune partie de largent dpense bnficiera des projets de dveloppement local. Et Marianne Didierjean, de lagence Voyager autrement, dajouter : Nous voulons faire dcouvrir nos clients la ralit sociale dun pays sans verser dans le misrabilisme ou le voyeurisme. Lobjectif est de promouvoir le tiers-monde tout en faisant redcouvrir le sens du voyage et la notion perdue de lchange. Mais le point de dpart reste le tourisme ; le dveloppement nintervient quaprs.

Que reprsente le tourisme quitable ?

Une goutte deau dans locan du tourisme. Lide de voyager solidaire nest pas nouvelle. Dans la vague des dcolonisations des annes soixante, des touristes souvent militants tiermondistes choisissaient de dcouvrir ainsi lAfrique. Le Sngal a t le pionnier de ce quon appelait alors le tourisme intgr. A lorigine de plusieurs projets, Christian Saglio le raconte dans lhebdomadaire Tlrama : Je voulais viter le paternalisme. Jai tout fait pour que les Blancs soient dpayss, quils mangent par terre comme les Sngalais. Jamais plus de vingt personnes par campement pour ne pas dstabiliser le village, ctait ma rgle dor. Et une cooprative pour associer tout le monde. Le fonctionnement communautaire de la Casamance sy prtait merveille. En 1995, lOrganisation mondiale du tourisme (OMT) a organis la premire confrence internationale sur le tourisme durable. Aujourdhui, au mme titre que les impratifs cologiques sont mieux compris, un nombre croissant de voyageurs refusent de bronzer idiot et prennent conscience des consquences parfois nfastes du tourisme : paysans expropris, salaires de misre dans les htels, ressources en eau rserves aux piscines au dtriment des autochtones, nature saccage, culture transforme en folklore, prostitution
Le tourisme reprsente un potentiel de croissance conomique important. Cest la premire industrie de service au monde avec un chiffre daffaires de 856 milliards de dollars en 2007 (en hausse de 5,6 % par rapport 2006) et plus de 900 millions de clients. Le secteur emploie 250 millions de personnes, soit 8 % de lemploi mondial. Mais comme le souligne lAssociation pour le tourisme quitable et solidaire (Ates) : Selon les pays daccueil, 80 90 % des recettes touristiques reviennent au final aux industries du Nord. Faut-il sen tonner, puisque les complexes hteliers et les compagnies ariennes appartiennent gnralement des groupes europens ou amricains ? Si un nombre croissant de touristes aspirent des vacances diffrentes, le tourisme quitable ne reprsente encore que 2 % du chiffre daffaires du secteur selon lOMT.
Lexemple de la France est significatif. Selon une tude ralise en avril 2008 pour la SNCF et le Guide du routard, seuls 27 % des Franais ont entendu parler du tourisme quitable, mais 72 % se disent intresss par le concept ; 7 % des personnes interroges disent avoir particip un voyage responsable . Encore faut-il savoir ce que ce vocable recouvre : un priple la dcouverte dune civilisation en Asie, ou un sjour dans un htel-club qui recommandait de ne pas gaspiller leau ? LAtes qui fdre 23 agences de tourisme quitable a fait voyager 6 000 personnes en 2008. Certes, cest le double quen 2005, mais cela reste anecdotique compar aux 30 millions de Franais qui partent chaque anne en vacances, dont 8 millions ltranger. Loin dtre une utopie, loffre solidaire existe, mais elle reste peu visible , explique Cline Magnin, qui a rdig le guide Tourisme solidaire pour les ditions Le Petit Fut.
Quant limpact du tourisme quitable sur le dveloppement, il est ngligeable. Lagence CroqNature qui reverse 4,5 % du prix du voyage une caisse de dveloppement local a collect 62 000 euros en 2008 avec 1 350 clients ; Voyager autrement environ 10 000 euros (avec 500 clients) au profit dassociations qui luttent contre la lpre Madagascar, scolarisent des enfants au Tibet et grent un orphelinat au Cambodge. Nanmoins, les professionnels sont optimistes : la demande est en constante augmentation et les clients reviennent.

Comment expliquer des chiffres aussi faibles ?

Le tourisme quitable reste confidentiel. Les agences sont de petite taille et nont pas les moyens de rivaliser avec les grands tours-oprateurs en termes de publicit. Les voyageurs doivent faire un effort de recherche. Ce tourisme souffre aussi dune image litiste, rserv aux gens aiss et aux intellectuels. La responsable dune agence le reconnat demi-mots : Nos clients sont majoritairement des militants associatifs ou des gens qui ont dj bourlingu, rflchi la notion de voyage, aux relations Nord-Sud, presque toujours bilingues. Le prix peut parfois se rvler dissuasif. Sur les catalogues, on ne trouve gure de voyages moins de 1 200 euros la semaine, dans des conditions souvent spartiates. En comparaison, une semaine dans un htel-club au Maroc ou en Rpublique dominicaine cote parfois moins de 600 euros. Gure surprenant : pour obtenir les prix les plus bas dans les htels et les avions, les voyagistes doivent garantir un nombre lev de clients toute lanne ; impossible pour les agences de tourisme solidaire. Bref, sil sagit de vacances plus intelligentes , plus satisfaisantes en termes de dcouverte, elles semblent aussi exiger un effort que tous les touristes nont pas envie ou ne se sentent pas capables de faire.
Si le volume dactivit du tourisme quitable reste modeste, cest aussi parce que les voyagistes nen ont pas lexclusivit. Visiter lArdche vlo en dormant dans des fermes, en consommant des produits locaux et en sintressant la vie de la rgion, cest dj du tourisme quitable. De mme, ltranger, certains touristes qui voyagent seuls adoptent une dmarche responsable voire solidaire, sans pour autant passer par une agence.

Le tourisme quitable ne porte-t-il pas en lui mme ses propres limites ?

Cest lun des paradoxes du secteur. Sil veut respecter ses principes (change entre les touristes et les populations daccueil, respect de lenvironnement, promotion du dveloppement durable), le tourisme quitable ne peut faire voyager sur une mme destination quun nombre restreint de clients. On tombe sinon dans les travers du tourisme de masse. Son impact sur le dveloppement est donc ncessairement limit. Coordinateur de lAtes, Julien Buot assure pourtant que nous pourrions rpondre la demande de 100 000 voyageurs par an sans remettre en cause nos principes. La plante est immense. Il est possible de diversifier loffre, denvoyer les touristes dans des villages diffrents, de proposer de nouveaux circuits, dimaginer des projets novateurs, dautres types de rencontres (voir interview ci-aprs).
On retrouve donc ici une critique adresse au commerce quitable. Si ce dernier est plus juste pour les producteurs locaux, il intervient nanmoins la marge. Ainsi, le caf quitable reprsente peine 1 % de la production mondiale de caf. Pour amliorer le sort des producteurs et protger lenvironnement, il serait plus efficace dagir politiquement, syndicalement, juridiquement sur les 99 % restant. Le tourisme de masse, sil peut tre destructeur au plan social et environnemental, rapporte nanmoins plus dargent aux autochtones que le tourisme quitable. Certes largent ne fait pas tout, mais lorsquon est pauvre, cela compte. Le tourisme de masse reprsente par dfinition beaucoup de clients ; des actions menes par les grands tour-oprateurs pourraient donc tre trs utiles. Dailleurs, lintrt croissant du public pour le tourisme responsable les oblige agir. Des groupes comme Fram ou Nouvelles Frontires limitent la consommation deau dans leurs htels, installent des panneaux solaires, financent des micro-projets de dveloppement local, sassocient la lutte contre la prostitution Doit-on parler pour autant de tourisme responsable, ou de stratgie marketing, puisque ce genre dinitiatives sduit les clients sans les contraindre ? Les optimistes noteront que cest mieux que de ne rien faire. Il est impossible de condamner le tourisme quitable, mais il ne faut pas que les touristes soient dupes de son efficacit sur le dveloppement.

Quelles sont les critiques adresses au tourisme quitable ?

Elles sont nombreuses, parfois injustes parfois pertinentes. Certains estiment que cest un moyen pour les Occidentaux de sacheter une bonne conscience un prix raisonnable. Dautres soulignent que le problme est le tourisme et le phnomne de groupe en tant que tels. Le premier touriste est toujours un invit de marque. Le millime peut devenir un banal client qui drange , crit ainsi un participant au festival des crivains-voyageurs de Saint Malo. Sur le forum du Guide du routard, un internaute se fait accusateur : Les circuits discrets daujourdhui seront les autoroutes de demain. Ce qui est rserv quelques touristes sensibiliss deviendra un produit lablis insolite. On propose de la femme-girafe ou du monastre tibtain comme on propose nimporte quel produit de consommation. Il y a trente ans, personne ne rencontrait de Massa. Dsormais, tous les circuits au Kenya font visiter leurs villages. Si le filon est rentable, il est exploit. Quel que soit le tour-oprateur.
En 2004, lanthropologue Nadge Chabloz a suivi des groupes de touristes en immersion dans un village du Burkina Faso. Elle a not de nombreux malentendus, lis des conceptions divergentes du dveloppement entre touristes, villageois et voyagistes. Ainsi, des touristes drogent au code de bonne solidarit en faisant des cadeaux individuels ou en photographiant sans discontinuer plutt que de participer la vie du village. Les villageois empochent des commissions sur les achats, inventent des danses soi-disant authentiques ou rechignent animer les ateliers dartisanat. Au final, un gros sentiment damertume de part et dautre, dautant que les touristes se mentent eux-mmes sur lauthenticit de ce quils voient pour masquer leur dception. Certaines phrases de visiteurs sont gnantes aussi : Au moins ici, les enfants samusent avec trois fois rien. Ils nont pas besoin de la tlvision ou de jeux vido comme chez nous. On frise le racisme ou le no-colonialisme inconscient puisque le touriste de passage nie ses htes africains le droit la modernit, aux choix individuels. Le tourisme mme solidaire- reste une invention du Nord, un rve fcond en projections de toutes natures, le terrain dexprimentation de nos frustrations de modernes. Pourtant le tourisme solidaire, comme sensibilisation aux ingalits du monde et aux questions de dveloppement, comme dnonciation des errements du tourisme de masse, est une dmarche louable. Quil sattle transformer la socit daccueil pour quelle corresponde limage que les touristes sen font est par contre dangereux , souligne un acteur du secteur. Lingalit serait donc toujours patente entre visiteurs du Nord et htes du Sud. Comme lcrit crument Philippe Frmiaux dans Alternatives Internationales : La notion de tourisme quitable est ambigu. Elle consiste souvent ajouter une petite couche dquit sur un rapport lautre peu diffrent. La volont daller la rencontre dautres cultures cache souvent une logique de dcouverte du bon sauvage qui ne nous semble pas plus sympathique que la consommation industrialise de sable et de soleil.
Coordinateur de lAtes, Julien Buot admet le dbat que peut susciter le tourisme solidaire, mais il dfend lhonntet du concept : Les rencontres inter-culturelles ne sont jamais faciles. Mais il ne faut pas rduire le tourisme quitable quelques Blancs venant dormir dans les cases dun village africain. Cest une ide bien plus vaste. Nous poursuivons cette aventure car nous esprons contribuer, notre modeste chelle, au dveloppement et car nous croyons sincrement que des changes entre des gens de cultures diffrentes sont possibles.

Jean Piel

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