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23/12/2008 | |||
Questions internationales (2) LArctique, un continent trs convoit | |||
(MFI) Locan Arctique renfermerait 90 milliards de barils de ptrole et 48 milliards de mtres cubes de gaz. Aucun gisement na encore t dcouvert, mais la fonte des glaces due au rchauffement climatique facilitera les forages actuellement prilleux et chers. Le continent blanc reprsente aussi un enjeu stratgique, la fonte de la banquise autorisant louverture de nouvelles voies navigables. Etats-Unis et Russie, notamment, nentendent perdre aucune opportunit tandis que les Inuits redoutent dj les consquences cologiques et sociales de ces ambitions sur leur territoire. | |||
Par 4 261 mtres de fond, sous la calotte glaciaire, flotte le drapeau russe. En aot 2007, Moscou a pris linitiative de cette coteuse opration afin de mieux affirmer ses prtentions sur locan Arctique. En septembre dernier, deux navires ocanographiques, amricain et canadien, ont men une mission scientifique dans la mer de Beaufort, aux confins du Yukon canadien et de lAlaska amricain, afin danalyser prcisment les richesses de cet ocan glac. Lenjeu de ces manuvres na rien dune conqute pour la gloire du ple Nord. Il sagit du contrle des hydrocarbures - que la rgion possderait en abondance. Un nouvel eldorado ptrolier ? Selon les rcentes tudes de gologues amricains, lquivalent de 90 milliards de barils de ptrole dormirait dans les grands fonds du cercle polaire soit 22 % des rserves ptrolifres non-exploites de la plante ; trois ans de lactuelle consommation mondiale ; ou encore les rserves cumules du Nigeria, du Kazakhstan et du Mexique. Locan Arctique abriterait aussi 48 milliards de mtres cubes de gaz naturel, soit 30 % des rserves mondiales. De quoi aiguiser la convoitise des pays frontaliers du Grand Nord : les Etats-Unis, la Russie, le Canada, la Norvge et le Danemark (via le Groenland). Pourtant, aucun gisement na encore t trouv. Travailler par des tempratures descendant jusqu 40, sous un vent dune violence rendre fou, dans la nuit six mois sur douze et alors que la calotte glaciaire dpasse souvent 3 000 mtres dpaisseur, est extrmement difficile. Entre le cot des forages et la chute du prix du ptrole, il nest mme pas certain que ces gisements soient rentables. Nanmoins, Exxonmobil, Husky, Cairn Energy, Chevron, le Groenlandais Nunaoil et le Danois Dong Energy sont sur place. Les perspectives sont trop allchantes pour ngliger cette opportunit, la consommation mondiale dhydrocarbures tant toujours plus leve et les rserves dans le reste du globe sur une pente dclinante. En outre, si aujourdhui la banquise et le froid extrme rendent le prix dun forage en Arctique cinq fois plus lev quailleurs, le rchauffement climatique va rduire ce cot et faciliter la dcouverte des gisements. Bataille pour la proprit des gisements Planter un drapeau sous la calotte glaciaire ou mener une expdition scientifique ne suffit pas revendiquer un droit de proprit sur un territoire. A qui appartiendront ces ressources ? Qui est matre de locan Arctique ? La convention des Nations unies sur le droit de la mer autorise un Etat ctier tendre sa juridiction sur le plateau continental, cest--dire le prolongement des terres sous la surface de la mer, jusqu 200 milles nautiques (370 km) au-del de sa zone conomique exclusive. Cela parat simple, mais cest trs compliqu car le plateau continental volue, linstar de la dorsale de Lomonossov. Cette chane de montagnes sous-marines, longue de 1 800 kilomtres, stend de la Sibrie au Groenland et lle canadienne dEllesmere. Sa position taye les revendications de la Russie sur une vaste partie de lArctique. Mais le jeu de la tectonique des plaques fait que cette dorsale sloigne progressivement de la Sibrie. Ce qui renforce les prtentions du Canada et du Groenland. La commission de lOnu pour la dlimitation du plateau continental a du travail en perspective. Les cabinets davocats aussi. Comme le soulignait rcemment le Premier ministre canadien Stephen Harper : Si on nexerce pas sa souverainet sur lArctique, on la perd. Ottawa a donc renforc ses patrouilles maritimes, annonc la construction dun port en eau profonde et dvoil un vaste plan de recensement des ressources minrales et nergtiques du Grand Nord. Pour le Groenland, lenjeu dpasse la seule hausse de ses revenus ptroliers ; il en va de sa possibilit daccder lindpendance (voir article prcdent). La Guerre froide de retour ? Au demeurant, les ambitions des grandes puissances autour du cercle polaire ne sont pas quconomiques ; elles sont aussi stratgiques. Le rchauffement climatique entrane une fonte des glaces sans prcdent. Les scientifiques lestiment 20 % depuis 1979, soit 1,3 million de km en moins. Le Groenland perdrait 100 milliards de tonnes de glace par an depuis 2002. Longtemps, la banquise et le froid ont t les meilleurs garants de la scurit de la rgion. Aujourdhui, le rchauffement relance lintrt stratgique du continent blanc. Washington entend mener toujours plus au nord sa surveillance maritime. Immense espace, peu peupl, difficile daccs, ce dsert de glace est un site privilgi pour dployer des radars dobservation et les missiles du fameux bouclier anti-missiles amricain. Les Etats-Unis disposent dj dune base militaire dans le nord-ouest du Groenland, Thul. LOtan pourrait aussi y installer un site. De quoi provoquer la colre de Moscou qui multiplie les missions sous-marines autour du cercle polaire. La Russie et les Etats-Unis sont les seuls pays possder des submersibles capables doprer sous la banquise. Pour la Russie, de la glace en moins, ce sont des accs vers la mer en plus. Dautant que la chute de lURSS a entran un accs plus difficile aux ports de la Baltique et de la mer Noire. Moins de banquise, cest aussi plus de place pour construire des parcs de sous-marins nuclaires ouverts sur locan Pacifique, autour du dtroit de Bring, des les Kouriles et de la rade de Petropavlosk-Kamtchatski. Ces ambitions autour de lArctique, cest vraiment le rveil de la Guerre froide , ironise un diplomate en poste lOnu. Les Inuits veulent tre consults La fonte des glaces devrait galement permettre louverture de nouvelles routes maritimes au nord du globe, qui raccourciront de 7 000 km la distance de navigation entre lEurope et lAsie par rapport au canal de Suez, mais qui rapprocheront aussi les ctes est et ouest du continent nord-amricain. Dj, on estime que le trafic devrait passer de 3 millions de tonnes de fret en 2005 14 millions en 2015. Cest dire lenjeu commercial. Ces nouvelles voies navigables devront tre scurises, tant pour contrler les marchandises qui y transitent et dventuelles menaces terroristes que pour prvenir de possibles collisions entre les navires, aux consquences cologiques dramatiques. Dans ce domaine, le Canada est gographiquement en premire ligne. La devise du pays, Dun ocan lautre, sera de plus en plus juste au fur et mesure que la banquise cde la place des voies navigables entre lAtlantique et le Pacifique. Ottawa espre toucher les dividendes de ce trafic maritime, mais aussi prvenir les risques associs une navigation plus dense : mare noire, naufrage, trafic de drogue, immigration clandestine Une revendication qui se heurte au veto des Etats-Unis et de lUnion europenne qui refusent que les futures voies navigables soient places sous une quelconque souverainet nationale, arguant du fait quelles rejoindront deux ocans, donc deux espaces sans propritaire. Cette convoitise autour de lArctique suscite bien des inquitudes. Le Groenlandais Aggaluk Lynge prside lICC, la Confrence inuit circumpolaire, un mouvement qui entend runir les 150 000 Inuits du Grand Nord, quel que soit le pays o ils vivent. Comme il le disait dans Le Monde : Le rchauffement climatique nest pas une bonne nouvelle pour la rgion, mme sil facilitera lexploitation ptrolire dont le Groenland a besoin. Les risques cologiques sont normes. Des multinationales vont arriver sur place sans respecter les modes de vie des Inuits, sans respecter les rgles sociales, risquant mme de les corrompre et de les diviser par largent. Nous sommes les premiers habitants de cette rgion, mais nous ne sommes jamais consults et serons les derniers bnficier de ses richesses. Les craintes dAggaluk Lynge sont dautant plus justifies qu la diffrence de lAntarctique, lArctique nest protg par aucun trait international. Certes, en mai dernier, les cinq pays frontaliers (Etats-Unis, Russie, Canada, Norvge, Danemark) se sont engags prendre des mesures pour assurer la protection et la prservation du fragile environnement marin de locan Arctique . Mais il sagit dune simple dclaration de bonnes intentions, sans valeur contraignante. | |||
Jean Piel | |||
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