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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

20/01/2009
Questions internationales (2)
Opportunit conomique ou nocolonialisme agraire ?


(MFI) En louant leurs terres arables, les pays en dveloppement peuvent-ils moderniser leur agriculture et gagner des devises, ou subissent-ils la loi du plus fort ? Les contrats sont-ils forcment lonins ou peuvent-ils tre gagnants-gagnants ? Sur ces questions, les avis sont tranchs.

Dun ct, les multinationales et les pays acqureurs de terres agricoles ltranger : pour eux, cela ne fait aucun doute, ces contrats reprsentent une opportunit pour des pays parfois trs pauvres. De lautre, les mouvements cologistes et les associations de dfense des droits humains : ils dnoncent le dsquilibre de ces contrats et les drives inluctables dune telle pratique. Au centre, les institutions internationales en premier lieu, la FAO, lOrganisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture : elles restent circonspectes, mais ne veulent ngliger aucune source denrichissement pour certains Etats en grave difficult financire, rappelant que la course la terre a historiquement toujours exist.

Des pays en dveloppement demandeurs

Spcialiste des questions foncires la FAO, Paul Mathieu estime, dans Le Monde, que ce phnomne comporte des risques, comme lexpropriation des paysans les plus pauvres. Mais il peut aussi constituer une opportunit. A lchelle mondiale, il faut augmenter la production agricole. Un accord gagnant-gagnant suppose des apports de capitaux et de technologies pour amliorer la productivit des terres, en veillant ne pas sacrifier les habitants. De tels contrats doivent sinscrire dans un processus de dveloppement durable .
Au demeurant, la demande vient parfois des pays dtenteurs de terres eux-mmes. Ainsi, lIndonsie et la Papouasie ont dmarch des investisseurs saoudiens, leur offrant un million dhectares pour quils puissent y produire des crales. Le ministre kazakh de lAgriculture expliquait la BBC : Nous disposons de terres en abondance, mais nous navons ni silos ni routes ni chemins de fer. Nous navons pas non plus le savoir-faire pour amliorer le rendement de nos cultures, et nos moyens financiers sont limits. Louer nos terres, en surveillant de prs la rdaction du contrat, constitue pour nous une excellente solution. Le Kazakhstan propose ainsi des firmes trangres des concessions sur les terres pour dix ans maximum. A Madagascar, le prsident Marc Ravalomanana souligne que laccord conclu avec Daewoo Logistics permettra de moderniser lagriculture et crera 70 000 emplois. Un chiffre moins impressionnant quil ny parat cependant pour la location de 1,3 million dhectares pendant 99 ans. Ils ont les terres, nous avons largent , rsume sobrement un investisseur saoudien dans le Wall Street Journal.
La FAO refuse de priver des pays parfois parmi les plus pauvres de la plante dune telle manne, mais elle entend viter la spculation sur la terre et lexpropriation des petits producteurs. Elle est donc en train de concevoir des outils de politique foncire conseiller aux Etats concerns. Pour David King, le secrtaire gnral de la Fdration internationale des producteurs agricoles, cit par le Financial Times, lquation est simple : Si un investissement risque de dtruire lagriculture locale, il faut le refuser. Sil apporte des nouvelles technologies dont les agriculteurs bnficieront, sa venue peut tre positive.

Menaces sur lenvironnement et lconomie

Une quation trop simple cependant car le dsquilibre entre des Etats riches ou des multinationales et des pays aux caisses dsesprment vides est vident. Sans compter les risques de corruption. Quant la loi, elle reste une protection illusoire. Ainsi la lgislation malgache interdit un oprateur tranger dacheter plus de 2,5 hectares. Du coup, Daewoo Logistics a conclu, sur 1,3 million dhectares, un contrat de location de 99 ans. Pourtant tenu une certaine obligation de rserve comme tout diplomate onusien, le directeur gnral de la FAO, Jacques Diouf, avoue redouter, dans la multiplication de ces acquisitions de terres agricoles ltranger, lmergence dun pacte nocolonial pour la fourniture de matires premires, sans valeur ajoute pour les pays dtenteurs des sols .
De leur ct, les Ong insistent sur les nombreuses drives possibles, voire inluctables. Dabord celle de renforcer les monocultures intensives, considres comme lune des causes du dsordre alimentaire actuel. Cest ce qucrit Grain, une association de dfense de lagriculture traditionnelle, base Barcelone : Dans la mesure o la plupart de ces acquisitions visent mettre en place de grandes exploitations agricoles industrielles que ce soit au Laos, au Pakistan ou au Nigeria pour produire des denres alimentaires destines lexportation, elles favorisent un modle industriel dagriculture qui a engendr pauvret et destruction de lenvironnement. Un avis partag par le gographe Christian Bouquet : A Madagascar, malgr les promesses de Daewoo Logistics, les terres cdes seront exploites sur un mode intensif. Quatre hommes et une hyper-mcanisation remplaceront 2 000 familles pour grer 1 000 hectares. On peut dj imaginer lexode vers les bidonvilles de ces familles chasses. Le gouvernement malgache est dans une logique dultra-libralisme. En outre, la valeur symbolique de la terre pour les habitants est totalement nglige.
De son ct, Alain Karsenty, du Centre de coopration internationale en recherche agronomique pour le dveloppement (Cirad) explique que la dforestation risque de saggraver puisque les terres agricoles vont alors acqurir une valeur suprieure celle des espaces forestiers .

Un Monopoly immoral ?

Dans un article au vitriol publi dans Le Nouvel Observateur, le journaliste Doan Bui compare ces acquisitions un Monopoly dun genre nouveau : Le Soudan, jachte ! Le Kazakhstan, jen revends une partie ! Imaginez un Monopoly o lon nachterait plus des rues, mais des pays entiers. Comme au Monopoly, les gagnants seraient ceux qui amasseraient le plus de terres, bref les plus riches la banque. Les perdants ? Ce serait les fauchs, obligs de cder leur bout de terrain pour renflouer leurs caisses. Ce Monopoly serait un peu particulier. Il sagirait non pas de construire des immeubles, mais dinstaller des tracteurs et des machines agricoles pour produire du bl, du riz, du mas. Bref de la nourriture. Ce serait un jeu o les nantis, au lieu de piquer lhtel de la rue de la Paix au voisin ruin, lui faucheraient ses rcoltes futures. Le problme est quil ne sagit pas dun jeu.
Ces achats de terres arables ltranger posent des problmes environnementaux, conomiques puisque le pays loueur ny gagne pas ncessairement et agit parfois sous la contrainte de la misre, des problmes sociaux aussi avec les risques dexpropriation des paysans. Ils posent enfin un problme moral. Les surfaces exploites se trouvent parfois dans des pays qui ont connu, ces derniers mois, des meutes de la faim. Leur seule richesse est lagriculture, et elle sert nourrir les ressortissants de pays riches alors que comme, en Hati, les habitants en sont rduits manger des galettes de boue.
Il ne faut pas noircir le tableau lexcs , estiment en substance les experts de la FAO, qui rappellent que parmi les pays qui cdent leurs terres, tous ne sont pas dans lextrme misre ; que certains contrats sont justes ; quil sagit aussi dun moyen de dvelopper le potentiel agricole dune rgion. Lorganisation onusienne reconnat cependant le danger potentiel du systme. Pour lconomiste Louis Bourgeois, cit par Le Monde : Si un pays riche manque de ressources, il ne doit pas asscher les marchs, au risque daffamer les pays en dveloppement. Aucun pays ne peut dlguer sa scurit alimentaire dautres.

Jean Piel

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