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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

20/01/2009
Questions internationales (1)
La course aux terres agricoles se mondialise


(MFI) Pour garantir leur scurit alimentaire, certains pays riches notamment moyen-orientaux et asiatiques louent ou achtent des superficies croissantes de terres arables dans des pays en dveloppement. Certains voient l un contrat gagnant-gagnant : de largent et des technologies contre des terres. Dautres dnoncent un nocolonialisme agraire, soulignant que la capacit de ngociation dun pays pauvre est limite face aux moyens financiers dune multinationale ou dun Etat prospre. Plusieurs pays qui louent ainsi leur sol ont connu des meutes de la faim en 2008.

Quels sont les pays qui achtent des terres arables ltranger ?

En novembre 2008, le Financial Times rvle une information jusque l reste confidentielle : le groupe sud-coren Daewoo Logistics a acquis Madagascar 1,3 million dhectares de terres, sous la forme dun bail emphytotique de 99 ans. Jamais un accord dune telle importance navait t sign dans le domaine agricole. La superficie reprsente en effet la moiti des terres cultives de la Grande Ile. A en croire Yong Nam-Ahn, le prsident de Daewoo Logistics : Les terres loues seront mises en valeur par de la main duvre locale, forme par des ingnieurs corens et sud-africains. Les terres de la partie Est de Madagascar produiront 500 000 tonnes dhuile de palme par an, celle de la zone Ouest 4 millions de tonnes de mas. Sachant que la Core du Sud importe chaque anne 11 millions de tonnes de mas, on comprend lintrt dun tel contrat. Cela dautant que Daewoo Logistics ne versera pas un centime pour la location du domaine. Il sest par contre engag mettre en valeur les terres exploites et construire les infrastructures voulues : routes, voies ferres, quipements portuaires, silos, btiments de stockage Des investissements estims 6 milliards de dollars sur 25 ans. Cet accord va permettre de moderniser lagriculture du pays et nous apporter des devises , sest flicit Marc Ravalomanana, le prsident malgache. Les experts sont plus sceptiques. Ils pointent du doigt les risques dexpropriation des petits paysans. En outre, pendant 99 ans, toute la production repartira vers la Core, quelle que soit lvolution de la situation conomique et agraire de Madagascar.
Ce contrat fait du Pays du Matin calme ainsi quon surnomme la Core du Sud le premier acqureur de terres agricoles dans des pays en dveloppement : 2,4 millions dhectares, soit davantage que les terres cultives dans la pninsule. Soul nest pas la seule pratiquer cette politique. Cest aussi le cas de la Chine, du Japon, de lArabie Saoudite, du Kowet, du Qatar, des Emirats arabes unis Bref, de tous les pays qui ont des populations nombreuses nourrir, mais ne disposent pas dassez de terres arables. Cest pour eux le seul ? moyen dassurer leur scurit alimentaire. La hausse des prix des denres alimentaires ces derniers mois, additionne aux difficults dapprovisionnement, ont encourag cette chasse la terre . Comme le raconte Jean-Denis Crola, de lOng Oxfam, dans Le Nouvel Observateur : Les pays du Golfe importent 90 % de leur nourriture. En priode de volatilit des cours, cest risqu. Au printemps 2008, ils ont eu peur ; il tait impossible de trouver du riz, dans nimporte quel pays, nimporte quel prix. Les Etats du Golfe nont plus confiance dans les marchs mondiaux. Ils veulent scuriser leur approvisionnement en achetant de la terre. Leurs revenus ptroliers leur en donnent les moyens. Lt dernier, le Kowet, le Qatar, lArabie Saoudite et les Emirats arabes ont envoy leurs ministres dans un tour du monde express six pays visits en dix jours la recherche de terrains disponibles. Le Cambodge, lIndonsie et le Soudan ont t particulirement courtiss. Cest un accord gagnant-gagnant. Ils ont les terres, nous avons largent , dclarait un responsable saoudien au Wall Street Journal.

Ces acquisitions de terre ltranger sont-elles un phnomne rcent ?

Paradoxe : la hausse des prix des denres alimentaires est notamment due la croissance dmographique et conomique de pays comme la Chine ou lInde. Et ce sont eux qui ensuite acquirent des exploitations ltranger pour scuriser leur alimentation. Qui va nourrir la Chine ? , sinterrogeait ds 1993 lcologiste Lester Brown. LEmpire du milieu doit nourrir 1,4 milliard de bouches, soit prs du quart de la population mondiale, avec seulement 7 % des terres arables. Et le problme ne va quempirer. Du fait de son industrialisation et de son urbanisation, le gant asiatique a perdu 8 millions dhectares de cultures ces dix dernires annes.
Dautres pays vont arriver sur le march prochainement. Dici trois ans, la culture du coton ne sera plus subventionne aux Etats-Unis. Les exploitants amricains loueront alors des terres au Burkina Faso pour le cultiver, ce qui aggravera lexode rural dans ce pays , avertit le gographe Christian Bouquet. LUnion europenne est peu prsente dans ce grand Monopoly des terres . Elle dispose de suffisamment dhectares pour nourrir ses habitants. Mais une firme comme Danone envisage dacheter des fermes en Afrique australe pour se prmunir contre laugmentation du prix du lait. La qute de terres nest pas un phnomne nouveau, mais on assiste une acclration incroyable ces derniers mois, et cest la premire fois que le phnomne est aussi mondialis , constate Paul Mathieu, expert en gestion foncire auprs de la FAO, lOrganisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture.


De nouveaux acteurs interviennent-ils sur ce march ?

Investissez dans des fermes ! Achetez des terres ! Cest le credo de Jim Rogers, un magnat amricain de la finance, crateur avec George Soros du fonds dinvestissement Quantum. Il y a peu encore proccupation exclusive des Etats et des socits agroalimentaires, lachat de terres attire dsormais aussi des acteurs financiers. Si des socits financires, des banques, des assurances, des fonds de pension disposent de milliards de dollars, pourquoi ninvestiraient-ils pas dans lagriculture ? , plaide Jim Rogers. Les exemples sont nombreux en effet : la Deutsche Bank a investi massivement dans des fermes en Chine, Renaissance Capital, un hedge fund russe, sest offert 300 000 hectares en Ukraine, le Japonais Kobe Bussan 3 000 hectares en Egypte Lexplication est simple : les Bourses sont en chute libre, limmobilier incertain, le ptrole en baisse ; par contre, les cours des denres alimentaires restent orients la hausse. Ces oprations sont parfaitement lgales depuis que la Banque mondiale a dcrt le principe duniversalit des terres ; cest--dire quau nom de la dfense de la scurit alimentaire, tout le monde peut les acheter. Autrefois, on utilisait la force militaire pour asservir les populations faibles. Aujourdhui, le droit des affaires est respect : on ne spolie plus, on achte ou on loue , ironise Christian Bouquet, dans Le Monde.
Tout le monde ne partage pas en effet lanalyse du financier Jim Rogers. On ne peut pas appliquer les rgles du capitalisme aux exploitations agricoles des pays du Sud. La scurit alimentaire nest pas un produit comme un autre, sur lequel on parie un temps avant de sen dsintresser quand sa rentabilit baisse. La spculation sur la terre provoquera lappauvrissement et lexpulsion des paysans les plus pauvres, et portera atteinte la souverainet des pays concerns , sinsurge Jean-Denis Crola, dOxfam. Par dfinition, les placements financiers sont phmres alors que le dveloppement agricole ncessite de sengager dans la dure. La plus grande prudence simpose donc. Si nous nous tions laisss faire, cest lensemble des terres sngalaises qui serait aujourdhui entre les mains dinvestisseurs trangers , tmoigne, dans Le Monde, Abdourahim Agne, le ministre sngalais de lAmnagement du territoire. En outre, il ne faut pas ngliger la dimension symbolique de la terre pour les populations.

Quels sont les pays qui acceptent ainsi de vendre leurs terres ?

Soudan, Ouganda, Ethiopie, Cameroun, Angola, Nigeria LAfrique est le continent le plus courtis par ceux qui cherchent scuriser leurs approvisionnements. Faut-il sen tonner ? Nombre de pays nont pour seule richesse que leur terre, sans souvent avoir les moyens de lexploiter. Ainsi Madagascar, on estime le potentiel agricole 35 millions dhectares, mais seuls 3 millions sont cultivs. LAfrique vendre , dnonait rcemment un article de Jeune Afrique, rappelant le caractre sacr du sol dans la plupart des pays du continent et sinquitant des risques pour les agriculteurs locaux : Force est de constater que les investisseurs les plus riches disposeront toujours darguments imparables pour convaincre les Etats conomiquement faibles. Et que les paysans risquent dtre particulirement vulnrables face des intrts qui les dpassent. Mais le magazine reconnat aussi que ce commerce de terres arables constitue une opportunit sil seffectue dans la transparence : Si lAfrique dispose dun immense potentiel agricole, les capitaux manquent encore cruellement () Compte tenu de ltat de dliquescence des filires agricoles de nombreux pays subsahariens, cette rue vers la terre peut aussi tre une chance. De son ct, le Madagascar Tribune met en cause la politique du prsident Ravalomanana qui ne cache gure sa course la recherche de gros investisseurs et qui fonde ses espoirs sur les trangers plutt que sur les hommes daffaires locaux. Pourquoi les politiques de dveloppement des rgimes successifs nont-elles jamais t mises en uvre ? Elles permettraient au moins aux multinationales et certains pays trangers de cesser de croire quils peuvent coloniser notre terre en change de quelques routes, coles et hpitaux .

Outre lAfrique, quelles sont les rgions concernes ?

Plusieurs pays asiatiques attirent aussi les investisseurs en mal de riz, lgumes et autres olagineux : le Kazakhstan, lOuzbkistan, le Pakistan, le Cambodge, la Thalande, le Vietnam Mais la logique nest pas toujours au rendez-vous. Ainsi, le Cambodge loue des terres au Kowet. Or le pays bnficie de lassistance du Programme alimentaire mondial. Comment un Etat qui a besoin de laide internationale a-t-il des surfaces arables en quantit suffisante pour les mettre la disposition dun autre pays avant de satisfaire les besoins de sa propre population ?
En Amrique latine, la Chine loue des terres au Mexique, lArabie Saoudite au Paraguay, la Core du Sud en Argentine. Depuis 2000, le Brsil a concd 5 millions dhectares des firmes agroalimentaires trangres, notamment pour la culture du soja destin la fabrication de biocarburant. Loccasion de noter que, si pour lessentiel les propritaires des terrains cds sont des pays du Tiers-monde, certains sont des Etats globalement riches, mais sous-peupls par rapport ltendue de leurs surfaces agricoles. On la vu avec le Brsil. Cest aussi le cas de lAustralie (sur un autre continent) et de lArgentine dont 10 % du territoire appartient des trangers. Tous ne sont pas des agro-businessmen . Plusieurs personnalits (comme Bill Gates ou Ted Turner, le fondateur de CNN) possdent des milliers dhectares, en Patagonie notamment. Mais de grands groupes viticoles franais, italiens et espagnols sont aussi installs dans la province de Mendoza, aux pieds de la Cordillre des Andes ; les producteurs de crales, eux, ont jet leur dvolu sur la Pampa. De quoi faire ragir les associations cologistes, mais aussi lEglise catholique, qui dnoncent la multiplication des conflits avec les communauts indignes (les Mapuches en particulier), la privatisation des accs aux rivires, aux forts, aux sentiers de montagnes. Les petits paysans et les tribus indiennes sont parfois violemment expulss de leurs terres. Mais cela se passe loin de Buenos Aires et les autorits ne disent rien. Ces investissements sont rentables et il nexiste aucun contrle quant aux consquences cologiques, sociales et financires , regrette lconomiste Miguel Teubal, interview par Le Monde.
Certains spcialistes des questions foncires veulent croire que ces acquisitions de domaines agricoles ltranger peuvent dboucher sur du gagnant-gagnant condition dencadrer strictement les contrats et de protger les droits des populations locales (voir article ci-aprs). Dautres dnoncent au contraire un nocolonialisme agraire et sinquitent des consquences environnementales, sociales et conomiques de telles pratiques. Parmi eux, les associations de dfense des droits humains, mais aussi le directeur gnral de la FAO, Jacques Diouf.
Reste quil parat humainement inacceptable que des surfaces agricoles de pays qui comme lEgypte, les Philippines ou le Sngal ont connu des meutes de la faim en 2008, soient consacres la scurit alimentaire des habitants des pays les plus riches.

Jean Piel

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