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20/01/2009
Mauritanie (2)
Messaoud ould Boulkheir : En aucun cas nous ne voulons composer avec les militaires comme acteurs politiques


(MFI) Quelle position adopter face un coup dEtat ? Doit-elle varier en fonction des situations, rarement comparables dun pays lautre ? Faut-il, comme le prsident sngalais Abdoulaye Wade, soutenir la junte qui a pris le pouvoir en Guine le 23 dcembre 2008, au lendemain de la mort de Lansana Cont, au motif que, dans lattente de futures lections, cette priode de transition est indispensable ? Pour le Mauritanien Messaoud ould Boulkheir, il nen est pas question. Aussi les propositions de sortie de crise pour son pays du prsident de lAssemble nationale sont-elles trs claires : rintgration du prsident lu dans ses fonctions constitutionnelles ; retrait dfinitif de larme de la scne politique ; recherche avec le prsident dune solution la crise en vue de lorganisation dune lection prsidentielle anticipe. Dans une interview accorde MFI, Messaoud ould Boulkheir dcode pour mieux le refuser le rle jou par les militaires dans la vie politique.

MFI : Pour justifier le coup dEtat, certains ont affirm que le bilan du prsident Sidi tait ngatif. Quen pensez-vous ?

Messaoud ould Boulkheir : Son bilan est loin dtre ngatif tant sur le plan dmocratique que sur le plan politique. Jamais les liberts nont t joues aussi pleinement que dans la priode o il a prsid aux destines du pays. Jamais les mdias nont t aussi ouverts tous, majorit comme opposition. Jamais les dbats nont t aussi contradictoires, sans tabous. Jamais les institutions parlementaires nont fonctionn ainsi, en toute indpendance vis--vis du pouvoir excutif. Jamais lopposition na eu tel rang dinstitution, une institution constitutionnelle reconnue par lEtat. Le chef de file de lopposition tait la quatrime personnalit de lEtat, exactement aprs moi, prsident de lAssemble, qui vient aprs le prsident du Snat et aprs le prsident de la Rpublique.

MFI : Et sur le plan politique ?

M. o. B. : Le prsident Sidi a pu, grce son esprit douverture et son sens du devoir, mettre au devant les problmes structurels ou conjoncturels du pays. Pour la premire fois, on a fait voter une loi incriminant lesclavage alors que tous les rgimes prcdents lavaient ni. Il a accept le retour des dports aprs les vnements de 1989, ainsi que le principe du ddommagement et du dsintressement des victimes et de leurs ayant-droits. Ce sont des problmes majeurs et il fallait du courage et de la conviction politiques, du patriotisme pour oser les approcher. En termes conomiques, nous tions en progression malgr la mauvaise conjoncture dont on ne pouvait pas rendre responsable un prsident aprs seulement un an et demi dexercice.

MFI : Cette ingrence militaire dans le processus dmocratique signifie-t-elle que la Mauritanie reste une dmocratie militaire ?

M. o. B. : Mais cest justement ce quon essaye dviter ! Lorsque les militaires ont fait leur coup dEtat avec le gnral Abdul Aziz en 2005, ils staient eux-mmes engags rentrer dans leurs casernes. Devant lUnion europenne, ils ont pris lengagement ferme quaprs des lections libres et transparentes, ils ne singreraient plus dans la vie politique. Nous, dmocrates, nous ne pouvons pas exercer cette libert que nous rclamons sous une tutelle de quelque nature quelle soit, militaire ou extramilitaire. Nous voulons que le jeu politique se fasse avec les partis et entits politiques. Et si, face cette situation, nous exigeons le retour lordre politique constitutionnel, notamment par le retour du prsident de la Rpublique lgalement lu, cest bien pour montrer quen aucun cas nous ne voulons composer avec les militaires comme acteurs politiques. Ni dans le prsent ni dans le futur.

MFI : Un gouvernement civil peut-il se dfendre contre la force des armes ?

M. o. B. : Les militaires, les armes Sils veulent les utiliser contre la population, la dcimer

MFI : Ce nest pas le cas ?

M. o. B. : Ah, je ne sais pas ! Ils ont cette force-l. Sils veulent se prsenter en sauveurs, ils doivent savoir que le pays se construit autrement que par larme. Les militaires, cela fait trente ans quils nous rgentent. Toutes les situations que nous vivons sont la consquence de leurs politiques. Nous ne leurs connaissons aucune qualit ni de gestion ni de probit ni de droiture. Absolument rien qui fasse que nous devrions composer avec eux. Ceux qui veulent faire de la politique nont qu quitter larme. Nous voulons que le pays soit livr la population et quelle en fasse ce quelle veut travers les voies dmocratiques quelle sest fixes.

MFI : En tant que prsident de lAssemble nationale, vous sentez-vous le garant de la dmocratie ?

M. o. B. : Le garant du respect de la constitution, en principe, cest le prsident de la Rpublique. Moi, je prside une institution qui malheureusement a t dvoye par les militaires. La grande majorit des dputs qui les soutiennent au moins une cinquantaine sont des Indpendants qui nappartiennent aucune formation politique. Cest sur eux que les militaires sappuient pour chercher une lgalit ce quils font. Mais un dput putschiste qui viole dlibrment la constitution sur la base de laquelle il a t lu ne peut se prvaloir, de mon point de vue, daucune lgitimit. Si le Parlement est rest en ltat sans tre dissous ou mis de ct par les putschistes, cest bien quils comptent sur ces gens-l. Ils ont besoin dun fond de soi-disant lgalit.

MFI : Mais alors vous, vous acceptez de jouer ce rle-l ?

M. o. B. : Moi, je suis fort dans ma position. Je suis minoritaire, certainement. Nous sommes peu prs le tiers des dputs avoir rejet ce coup dEtat et avoir dclar nul et non avenu tout ce qui se passe sous ce rgime que nous ne reconnaissons pas. Mais puisquils ont pris sur eux de ne pas dissoudre lAssemble, nous faisons comme nous pouvons. Et ceci dautant plus quils ne se sont pas contents de mettre lAssemble entre parenthse. Ils se sont arrogs, travers leur Charte constitutionnelle, comme ils lappellent, un droit de lgislateur. Nous sommes l pour amuser la galerie.

MFI : Certains ont avanc que Sidi tait un candidat des militaires pour contrer les politiques dont vous-mme, dailleurs.

M. o. B. : Peut-tre. Je dirais que Sidi a t un candidat que les militaires ont soutenu mais il nest pas le seul candidat lavoir t en tout ou partie de cette faon. En fait, en 2007, les militaires se sont partags entre deux candidats : le leader de lopposition actuelle ou passe, je ne sais pas , Ahmed ould Daddah, et Abdallahi. Mais si les militaires ont russi les faire parvenir au deuxime tour, aucun deux na obtenu 25 % de llectorat. Du coup, beaucoup dautres Mauritaniens, sans tre aux ordres des militaires, ont soutenu lun ou lautre au deuxime tour. Ce fut le cas de mon parti avec Sidi, aprs avoir t moi-mme candidat au premier tour*.


* Messaoud ould Boulkheir avait obtenu 9,2 % des voix.

Propos recueillis en novembre 2008 par Antoinette Delafin

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