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10/02/2009
Questions internationales (1)
La fin du rve islandais


(MFI) Cite comme un modle de russite conomique et sociale il y a peu encore, lIslande est aujourdhui au bord de la faillite. Le pays, dont la politique librale avait mis sur les investissements financiers et le crdit plus que sur lconomie relle, est la premire nation occidentale victime de la crise financire internationale. En quatre mois, le chmage est pass de 2 % 8 % et linflation dpasse les 15 %. Cette bourrasque conomique a contraint le gouvernement conservateur cder la place une coalition compose des sociaux-dmocrates et des cologistes. Mais les moyens daction de celle-ci sont limits.

Quelle est aujourdhui la situation conomique de lIslande ?

Nous avons associ le meilleur de lEurope et des Etats-Unis, savoir un systme social fort et un esprit dentreprise qui veut quen travaillant, tout est possible. LIslande ne connatra pas de crise conomique. Ainsi sexprimait, en mai 2008, Geir Haarde, alors Premier ministre islandais. Huit mois aprs, le pays est quasiment en faillite et le gouvernement a t contraint la dmission.
Clbre pour ses geysers, lIslande tait cite comme un modle de russite conomique et sociale. Heureux comme un Islandais , titrait en juin dernier un reportage du magazine britannique The Observer. En 2007, le Programme des Nations unies pour le dveloppement (Pnud) classait lIslande au premier rang mondial pour lindice de dveloppement humain, devant 177 nations. Et pour cause : la plus forte esprance de vie au monde, un taux dalphabtisation de 99 %, un systme de sant excellent et gratuit, une galit homme-femme parmi les mieux respectes de la plante, une criminalit faible, un environnement prserv, un recours gnralis aux nergies renouvelables, puisque 89 % des Islandais se chauffent grce leau volcanique souterraine. Sans oublier que cest lun des rares pays ne pas entretenir darme ; celle-ci a t interdite il y a 700 ans.
Au plan conomique, le tableau tait idyllique aussi. LIslande et ses seulement 320 000 habitants occupaient le sixime rang mondial en termes de Pib par tte. Le chmage tait inconnu, linflation matrise, le taux de croissance oscillait entre 4 % et 7 %, le revenu moyen des mnages avait augment de 45 % en cinq ans. A Reykjavik, la capitale, les boutiques ne dsemplissaient pas, les avenues taient encombres de 4X4 rutilants et le ciel ressemblait une fort de grues. Aprs avoir repos pendant des dcennies sur la pche et laluminium, lconomie islandaise avait su prendre le virage des hautes technologies. A linstar dActavis, un groupe pharmaceutique devenu en six ans le n3 mondial des gnriques aprs avoir rachet 23 concurrents. Nous, le pays du froid, perdu dans les brumes de lAtlantique nord, avec pour plus proche voisin le Groenland, tenions enfin notre revanche sur les six mois dhiver glac et lisolement international. Nous tions le pays avec la meilleure qualit de vie au monde. On nous enviait , souligne le sociologue Asgeir Gunnarson, dans LExpress.
Cette carte postale de rve tait encore vraie en septembre 2008. Mais dbut octobre, tout le systme sest effondr. En soixante-douze heures seulement. Face la crise internationale du crdit, Glitnir, la troisime banque du pays, se retrouve court de liquidits, incapable dhonorer ses engagements. La panique gagne les pargnants, contraignant deux autres banques, Landsbanki et Kaupthing, fermer. Le gouvernement les nationalise en catastrophe, mais sans avoir les moyens de les renflouer. Toute lconomie, qui reposait sur le crdit, est alors asphyxie. La couronne, la monnaie nationale, est dvalue ; les taux dintrt augmentent en flche, les remboursements demprunts des particuliers et des socits aussi. Les importateurs ne peuvent plus honorer leurs traites. Un nombre croissant dentreprises doivent cesser leur activit. En quatre mois, le chmage passe de 2 % 8 % ; linflation flirte avec les 15 %. Le 20 novembre, Reykjavik contracte un prt de 2,1 milliards de dollars auprs du Fonds montaire international. Cest le premier pays occidental solliciter laide du FMI depuis le Royaume-Uni en 1976.

Comment la situation conomique a-t-elle pu se dgrader aussi rapidement ?

Nous avons reproduit lchelle du pays le comportement dun trader qui perd de largent, mais essaie de se refaire en rinvestissant chaque fois et perd toujours davantage. Ctait une gigantesque fuite en avant , soupire lconomiste Gunnar Haraldsson.
Privatises en 1990, les banques se lancent dans une politique ultra-librale, investissant massivement ltranger (la petite taille du pays lexplique) et finanant sans contrle les projets de leurs clients. Un laxisme dautant plus facile que les banques appartiennent gnralement des industriels. Le Monde raconte ainsi lhistoire extravagante de Bjrgolfur Gudmundsson, un entrepreneur qui a fait fortune en Russie en vendant des cocktails vodka-soda. De retour au pays, il acquiert la banque Landsbanki grce laquelle il finance ses investissements dans la pharmacie et la tlphonie mobile en Europe de lEst, rachte des supermarchs et des enseignes de mode en Grande-Bretagne, avant de soffrir le club de football de West Ham. Aucune affaire nest rentable, mais chaque investissement est cens sauver le prcdent. Gudmundsson est la fois un cas extrme et reprsentatif. De nombreuses entreprises islandaises sont bien gres, mais les banques ont en effet cr une culture de lendettement et de la frnsie dinvestissement sans que personne ne prenne conscience des risques. La finance a pris le pas sur lconomie relle. Comme si lon vivait dans un monde virtuel , explique Gunnar Haraldsson. Entre 1998 et 2005, les investissements islandais ltranger sont ainsi multiplis par 85. Le Danemark souponne les banques de Reykjavik de blanchir largent de la mafia russe. Aucune preuve ne vient tayer cette crainte. Pour cause : les tablissements islandais prennent seuls des risques inconsidrs.
Paralllement, le pays vit crdit. Les particuliers sendettent pour soffrir de belles voitures, de grandes maisons, des vacances Les banques proposent des crdits immobiliers sur quarante ans sans apport personnel. Pour honorer leurs emprunts, les gens ont un deuxime, voire un troisime travail. Une blague voulait que le premier emploi serve nourrir sa famille, les autres payer ses dettes , sourit Hafsteinn Halldorsson, un ingnieur de 48 ans, interview par La Croix, aujourdhui ruin. Pour contourner les taux dintrts levs en couronne islandaise, les banques libellent les emprunts en euro, en dollar, en franc suisse et mme en yen.
Dbut 2008, plusieurs capitales europennes tirent la sonnette dalarme. Lendettement des banques islandaises est douze fois suprieur au revenu national du pays ; les emprunts en devise reprsentent 550 % du PIB. Les investisseurs trangers commencent quitter le pays. Mais Reykjavik, la Banque centrale nintervient pas, et les autorits politiques se taisent. Le climat deuphorie nous a rendu aveugle. Nous tions persuads que ce ntait quune mauvaise passe , confesse aujourdhui lancien Premier ministre Geir Haarde.
Mais lorsque la banque Glitnir se retrouve en cessation de paiements le 7 octobre, bientt suivie de deux autres tablissements, leffet boule de neige est terrible.

Quelles sont les consquences sur lconomie relle ?

En une journe, la Bourse de Reykjavik a perdu 90 % de sa valeur, privant de fonds les entreprises. La couronne a t dvalue de 60 % ; seule la monnaie zimbabwenne a fait pire cette anne. La dvaluation a entrain un renchrissement du crdit. Les particuliers et les entreprises ont vu leurs mensualits doubler voire tripler. Et impossible de vendre leurs biens : le march de limmobilier sest effondr et il ny a plus dacheteurs pour les voitures. Pour couler leurs stocks, les magasins accordent des rabais de 60 % voire 80 %. Pour viter que les gens ne vident leurs comptes en banque (ce qui aurait aggrav la crise), le gouvernement na laiss ouvert que les comptes-courants ; les comptes dpargne sont bloqus, la fureur des clients. Le taux de croissance 4 % en 2008 devrait tre de - 9,6 % en 2009. Les firmes et les banques trangres ne veulent plus travailler avec lIslande. On la dit : faute de moyens financiers et de dbouchs commerciaux, les entreprises rduisent voire cessent leur activit. En quatre mois, le chmage passe de 2 % 8 %.
La presse multiplie les tmoignages de citoyens ruins. Ragnar Kristjansson possdait une exploitation agricole et des parts dans un htel Pittsburgh. Je ne peux plus exporter ma rcolte ni recevoir dargent des Etats-Unis. Ma banque a fait faillite. Je me retrouve sans revenu alors que mes mensualits sur ma maison, mes terrains et mes tracteurs ont tripl , raconte-t-il lenvoye spciale du Monde. Son voisin, Jn Odsson, est dsespr : Javais une retraite par capitalisation. Jai perdu toutes mes annes dpargne. Par contre, les traites sur mon appartement ont doubl, alors que ma banque a ferm. Dans LExpress, Sigurdur Agustsson, un commerant de la ville de Fludir, raconte : Mon fils fait ses tudes en Allemagne. Comme beaucoup de ses amis, il va devoir les interrompre. Avec la dvaluation de la couronne, les bourses dtude ne valent plus rien. Je ne peux pas lui envoyer dargent, les banques nont plus le droit deffectuer des transferts de fonds vers ltranger.
Tout le pays semble entrer en hibernation. Lampleur de la dette branle le gnreux systme social dont les Islandais taient si fiers. Comment indemniser les 8 % de chmeurs et sans doute davantage dans les prochains mois alors que le chmage tait inconnu ? Comment maintenir la gratuit des soins alors que les caisses de lEtat sont vides ? Comment assurer la qualit de lenseignement si les professeurs perdent leur poste ? Comme le rsume lconomiste Gunnar Haraldsson : Notre croissance tait fragile. Elle reposait sur des emprunts massifs ltranger avec une monnaie survalue. La crise financire internationale na eu aucun mal renverser ce chteau de cartes. Une conomie sans argent, a ne fonctionne pas.

Cette crise conomique a-t-elle des consquences politiques ?

Tout descendants de Viking quils sont, les Islandais sont des pacifiques. La criminalit est faible, les rares bagarres ont lieu la sortie des pubs le samedi soir, les manifestations sont peu frquentes. Aprs la faillite des trois principales banques du pays, une cinquantaine de personnes se sont rassembles devant laustre btiment gris du Parlement, au centre de Reykjavik. La colre restait modeste, la confiance importante. Au fil des semaines et des faillites, les manifestations organises tous les samedis 15 heures rassemblaient environ 400 personnes, essentiellement des retraits et des mres de famille venues avec leurs enfants, qui se dispersaient dans le calme au bout dune heure. De quoi dsesprer Hordur Torfason, lorigine du mouvement : En France, face une telle crise, face une telle incomptence des dirigeants et des entrepreneurs, tout le pays serait dans la rue. Ici, quelques personnes scandent sagement des slogans, avant de repartir vaquer leurs occupations. Cest la preuve de la dsaffection des jeunes pour la politique ; cest la preuve aussi que les Islandais nont pas ralis lampleur de la crise.
Tout change le mardi 20 janvier. Ce jour-l, 5 000 manifestants, furieux de linaction des autorits, envahissent les bureaux du Premier ministre, les maculent de peinture rouge, allument des brasiers. Pendant deux jours et deux nuits, la manifestation vire lmeute. La police dote de boucliers seulement une semaine avant fait usage de gaz lacrymognes. Cest la premire manifestation violente depuis soixante ans dans ce pays sans arme. Jamais depuis 1949 et le mouvement de contestation contre ladhsion de lIslande lOtan, les forces de lordre navaient eu affronter une foule en colre.
Le 26 janvier, le Premier ministre Geir Haarde dmissionne. Aprs dix-huit ans au pouvoir, les conservateurs sont remplacs par une coalition gouvernementale compose des sociaux-dmocrates et des cologistes, et dirige par Johanna Sigurdardottir. Ancienne ministre des Affaires sociales, cette dernire est unanimement respecte pour son train de vie modeste et son engagement en faveur des dfavoriss. Mais la marge de manuvre du nouveau gouvernement est limite. Il va surtout grer les affaires courantes jusquaux lections lgislatives anticipes qui auront lieu le 25 avril. Nanmoins, il sest engag accorder des aides durgences aux entreprises et aux familles les plus en difficult, et sappuyer sur de nouvelles valeurs sociales . Les postes-cls de lconomie ont t confis des experts, non des politiques. Nous avons des atouts : une population bien forme, des industries performantes, des capacits nergtiques, un savoir-faire en matire de hautes technologies, un secteur de la pche dynamique , plaide Jn Asbergsson, le prsident du Conseil des investissements. Plusieurs pays nordiques ont accord une aide financire Reykjavik. Le vrai patron de lIslande dsormais, cest le FMI , entend-t-on avec rsignation dans la capitale. Certains suggrent que le pays se rapproche de lUnion europenne. Si nous avions t membres de lUE avec leuro pour monnaie, tout ceci ne serait pas arriv , dfend le dput cologiste Steingrimur Sigfusson.
Car cette crise conomique se double dune crise morale (voir article ci-aprs) : la honte davoir cd aux sirnes de lhyper consommation, le sentiment davoir gch les opportunits dun pays dont les habitants sont duqus et travaillent beaucoup, limpression davoir oubli les valeurs de lIslande (cologie, famille, frugalit, esprit communautaire) pour chercher senrichir, le sentiment aussi davoir t trahi par la classe dirigeante. Dans ce pays majoritairement luthrien, lune des premires mesures du nouveau gouvernement a t de laisser les glises ouvertes jusque tard dans la nuit pour que les citoyens puissent trouver un rconfort spirituel et demander laide de Dieu.


Jean Piel

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