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17/02/2009
Questions internationales (2)
Michelle Robidoux : Nous nattendons pas grand-chose de Barack Obama


(MFI) Michelle Robidoux est la porte-parole de la Campagne dappui aux rsistants la guerre, une association qui vient en aide aux dserteurs amricains au Canada. Selon elle, tous mritent le statut de rfugi politique. Elle ne pense pas que Barack Obama qui a des projets militaires importants, notamment en Afghanistan accordera une amnistie aux dserteurs. Ceux-ci sont peu nombreux et leur sort ne constitue pas une priorit pour la nouvelle administration amricaine.

MFI : Quelle est aujourdhui la situation des dserteurs amricains rfugis au Canada ?

Michelle Robidoux : Elle est difficile. Une quarantaine dentre eux demandent tre reconnus comme rfugis politiques, et on estime environ 250 ceux qui ont choisi la clandestinit. Le fait dtre anglophone et de culture nord-amricaine permet ces derniers de trouver du travail dans des secteurs o les contrles sont moins rigoureux, comme le btiment ou la restauration. Mais ils vivent dans la prcarit ; ils ne bnficient daucune aide sociale et leurs enfants ne peuvent pas tre scolariss. Ils ont toujours langoisse dtre arrts.
Ceux qui rclament lasile politique bnficient daides sociales tant que leur demande est en cours dexamen, et leurs enfants peuvent tre scolariss. Mais lorsque toutes les voies de recours sont puises et quun arrt dexpulsion est prononc, toutes les aides cessent. Or, jusqu prsent, les magistrats ont rejet toutes les demandes dasile. Nous avons certes des raisons desprer. Les trois partis dopposition, qui sont majoritaires au Parlement, ont rclam que les dserteurs amricains se voient accorder un permis de rsidence permanent. Cest un soutien de poids. De mme, les deux tiers de la population canadienne se dclarent favorables la cause des dserteurs. Cela nest pas surprenant puisque lopposition la guerre en Irak a toujours t forte au Canada. La mauvaise nouvelle par contre, cest que le gouvernement conservateur de Stephen Harper, tout comme les magistrats, se montre inflexible. Trois dserteurs ont dj t expulss ; deux autres risquent de ltre dans les prochaines semaines.

MFI : Peut-on considrer comme rfugis politiques des soldats qui refusent de participer un conflit alors quils se sont engags volontairement dans larme ?

M. R. : Certainement. Le cur du problme, cest lillgalit de la guerre en Irak. Une guerre qui a vu le scandale de la prison dAbu Ghraib, des massacres de civils innocents, une guerre qui dailleurs nest pas termine. La convention de Nremberg prvoit que toute personne est autorise dsobir son gouvernement et son arme si ceux-ci violent le droit international. Le Haut-commissariat aux rfugis admet aussi quun dserteur peut tre considr comme un rfugi si les actions militaires quil a fuies sont condamnes par la communaut internationale comme tant contraire aux principes humanitaires de base. Cest exactement le cas en Irak. On ne peut forcer personne pas mme un militaire participer un massacre ou obir des ordres illgaux.
En sengageant dans larme, ces soldats ont pass comme contrat de protger les Etats-Unis, pas de participer une guerre illgale et immorale contre un autre pays. Ce ne sont pas eux qui ont viol leur contrat en premier, cest larme amricaine par sa conduite en Irak. Ce sont certes des professionnels. Mais leur origine sociale montre quils se sont engags dans larme pour des raisons conomiques. Ce sont les plus pauvres, les plus prcaires, les moins insrs socialement, qui forment lessentiel des hommes de troupe. Cest donc une forme de conscription conomique.
Quant ne pas tre perscut aprs leur expulsion vers les Etats-Unis, cela se discute. Lun des dserteurs expulss a t condamn par un tribunal militaire quinze mois de prison. Certains diront que cest peu, mais cest excessif pour avoir refus de participer des massacres. Il na commis aucune faute aux yeux de notre mouvement. Un seul jour de dtention aurait dj t de trop. Surtout, cette condamnation est inscrite son casier judiciaire, au mme titre quun crime ou un cambriolage. Cela lui barre laccs tout emploi public ; les employeurs privs vont aussi le regarder avec mfiance. Obtenir un crdit lui sera difficile voire impossible, de mme quun visa pour se rendre ltranger. Cette condamnation injustifie va donc le marquer vie. Cest une forme de perscution. Dans le mme temps, George Bush qui est le principal responsable du dsastre en Irak est libre et nencourt aucune sanction.

MFI : Quesprez-vous de la prochaine visite de Barack Obama Ottawa sur ce dossier ?

M. R. : A vrai dire, pas grand chose. Certes, Barack Obama a toujours t hostile la guerre en Irak, mais cela ne signifie pas quil va amnistier les dserteurs, que ceux-ci soient aux Etats-Unis ou au Canada. Le prsident Jimmy Carter lavait fait en 1976 pour les dserteurs de la guerre du Vietnam. Mais ils taient beaucoup plus nombreux, et surtout lpoque ctait la conscription. Donc certains dentre eux appartenaient aux classes moyennes ou suprieures. Ils avaient des relais dans les mdias ou les cercles du pouvoir ; ils savaient comment faire du lobbying. Aujourdhui, les dserteurs ne sont que 300 au Canada, quelques milliers aux Etats-Unis, et ils appartiennent le plus souvent aux classes populaires. Ce nest pas un dossier prioritaire pour Barack Obama.
Le prsident amricain a aussi besoin du soutien de larme puisquil veut renforcer les effectifs en Afghanistan. Larme est une institution puissante aux Etats-Unis, et Barack Obama ne peut pas se mettre les officiers dos pour quelques dserteurs alors quil a des projets importants : le retrait dIrak, le redploiement en Afghanistan. Politiquement, une telle amnistie est difficile car elle serait mal accepte par lopinion amricaine. Enfin, cela pourrait aggraver les problmes de discipline dans larme alors que les Etats-Unis vont bientt envoyer des soldats supplmentaires Kaboul. En ralit, je ne pense mme pas que ce sujet sera abord entre Barack Obama et le Premier ministre canadien.

MFI : Quelle est la solution alors pour ces dserteurs amricains au Canada ?

M. R. : La seule solution est que le gouvernement leur accorde un permis de rsidence permanent ; mme sans leur confrer un statut de rfugi politique, simplement pour des raisons humanitaires. Llection de Barack Obama pourrait peut-tre faire voluer la position de notre Premier ministre. Mais jen doute car Stephen Harper est trs conservateur ; il tait vraiment proche de George Bush.
Un vaste mouvement populaire en faveur des dserteurs pourrait aussi lamener rviser sa politique. Mais l encore, il y a une diffrence entre soutenir dans le principe ces dserteurs, comme le font 64 % des Canadiens, et descendre dans la rue pour eux. Mme lopposition, pourtant majoritaire au Parlement et qui a vot une rsolution en faveur des soldats amricains, ne cherchera pas renverser le gouvernement sur ce sujet, alors quarithmtiquement elle le pourrait.
Je ne suis gure optimiste. Je crains que la seule solution soit dattendre la formation dun gouvernement plus progressiste qui accordera le droit de rsidence aux dserteurs. Mais cela prendra peut-tre plusieurs annes. En attendant, la situation de ces soldats amricains, qui ont dsert pour une juste cause, reste trs prcaire.


Propos recueillis par Jean Piel

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