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15/03/2009
Abdou Diouf : Les personnes multilingues sont plus ouvertes et crent davantage de richesses

(MFI) Le secrtaire gnral de la Francophonie plaide en faveur du plurilinguisme et explique pourquoi un soutien accru la langue franaise a t dcid lors du Sommet doctobre 2008 Qubec. Le besoin tait patent dans au moins trois domaines : les systmes ducatifs, lenvironnement socio-conomique et lutilisation du franais dans la vie internationale.

MFI : A Qubec, vous avez plac la langue franaise au centre des proccupations de la Francophonie. Est-ce parce que le monde est de plus en plus anglophone ?

Abdou Diouf : Si laccent a t mis sur la langue franaise lors du Sommet de Qubec o elle a, pour la premire fois, fait lobjet dune rsolution , cest avant tout pour rpondre une proccupation de nos Etats et gouvernements membres, qui revendiquent pour cette langue un effort de promotion.
La tentation du monolinguisme que nous observons au niveau plantaire serait plutt le corollaire dune mondialisation dsquilibre et uniformisatrice. Je ne dirais cependant pas que le monde devient de plus en plus anglophone : les chiffres les plus fantaisistes circulent pas toujours sans arrire-penses mais leur disparit suffit les dcrdibiliser. Il est vrai questimer le nombre de locuteurs dune langue est trs dlicat. Par exemple, nous considrons, daprs nos enqutes, quenviron 200 millions de personnes sont capables de sexprimer en franais dans le monde. Cest moins que lensemble des populations de nos 70 pays membres et observateurs, et mme moins que la somme des rsidents des 32 Etats et gouvernements o le franais est langue officielle. Mais nous essayons dtre rigoureux, quitte ce que ce soit moins spectaculaire !
De plus, si jen juge par la politique volontariste dautres langues (chinoise, russe, allemande, anglaise), je constate que le souci de promouvoir sa langue est partag par beaucoup dorganisations, et cest heureux pour la diversit linguistique. Enfin, je note quavec prs de 110 millions dapprenants, la langue franaise est enseigne dans la quasi totalit des pays de la plante et que la demande ne faiblit pas : nous la mesurons aux sollicitations qui sont faites notre Organisation !

MFI : Soutenir le franais, est-ce protectionniste ou est-ce dfendre une vision du monde ?

A. D. : Je ne parlerai pas de protectionnisme, qui implique une attaque, ni de dfense qui suppose un ennemi. Je prfre parler de promotion de la langue franaise, ce qui me semble non seulement traduire plus clairement notre ambition au service de toutes les langues, mais aussi mieux correspondre la volont exprime dans la rsolution sur la langue franaise adopte Qubec.
Tous nos membres ont souhait rappeler la valeur quils attachent au franais. Certains, parce que sa qualit de langue denseignement en fait un lment clef de la russite de lobjectif de lEducation pour tous. Dautres, parce que son statut de langue officielle et de travail de la plupart des organisations internationales en fait un outil indispensable pour peser sur la scne mondiale. Dautres encore, en raison dune vision revendique dun monde pluriel, dont la diversit, notamment linguistique, serait menace sans une politique de rgulation.
Je considre que lquilibre du monde repose, pour une grande part, sur la vitalit dmocratique des organisations internationales. Non pas comme entits supranationales abstraites, mais en tant que lieux dexpression, de ngociation et de conciliation des points de vue nationaux. Do limportance que jattache au respect des rgles du plurilinguisme dans ces organisations, notamment dans le systme des Nations unies, qui connat malheureusement une drive unilingue, et lUnion europenne, dont le grand nombre de langues officielles (23) ne doit pas nous faire renoncer certaines exigences minimales en faveur de lusage effectif de plusieurs langues, dont le franais.

MFI : Quels sont les principaux obstacles qui freinent lexpansion linguistique, alors que sur le plan politique de plus en plus de pays veulent rejoindre lOIF?

A. D. : La Francophonie, dj prsente sur les cinq continents, peut difficilement stendre au-del ! Plus srieusement, il faut bien voir que la francophonie relle ne se limite pas son espace institutionnel. Ainsi, de nombreux territoires, actuellement non membres de lOIF, abritent au total plusieurs millions de francophones : lAlgrie naturellement, mais aussi Isral ou la Syrie, sans oublier la Louisiane ou la Nouvelle-Angleterre Chacun a pu aussi faire lexprience de la prsence de la langue franaise dans un taxi New York, une librairie Moscou, un restaurant Montevideo Enfin, il est une terre sans limites que les francophones ne cessent de fertiliser : la littrature ! DAtiq Rahimi Le Clzio en passant par Tierno Monnembo ou Hubert Haddad, nous pouvons clbrer une certaine universalit de la langue franaise, dans lacception quavait si bien pressentie Lopold Sedar Senghor.
Votre question nen demeure pas moins pertinente concernant les obstacles non pas tellement lexpansion, mais plutt la diversit linguistique. Nous croyons fermement la ncessit de multiplier loffre linguistique dans lenseignement, ds les premires annes de scolarisation, en proposant des langues dorigines varies : latine, arabe, germanique, africaine, slave, anglo-saxonne Nous sommes convaincus que des femmes et des hommes bi- ou trilingues seront non seulement plus ouverts et plus riches sur le plan intellectuel, mais aussi plus efficaces et crateurs de richesses sur le plan conomique.

MFI : Vos envoys spciaux ont, en 2008, identifi dans un certain nombre de pays membres des initiatives-phares de valorisation du franais. Dans quels secteurs faut-il mettre laccent ?

A. D. : Jai, en effet, demand certaines personnalits (*) dtre mes missaires auprs des autorits de quelques-uns de nos Etats, reprsentatifs de la mosaque francophone : Burundi, Ghana, Grce, Laos, Liban, Mozambique et Roumanie. Le choix de ces pays mavait t inspir par le travail de notre Observatoire de la langue franaise, soulignant soit des initiatives en faveur de la langue franaise soit, linverse, des menaces qui compromettaient sa situation. Jesprais ainsi, en recueillant directement le tmoignage des responsables qui mont fait lamiti de recevoir mes messagers, pouvoir dgager quelques traits communs et exemples de bonnes pratiques pouvant clairer ensuite nos choix stratgiques. Les rapports de mission ont bien fait apparatre de vastes champs dintervention qui exigent de la Francophonie un soutien absolument ncessaire la langue franaise. Ce besoin, dans certains cas urgent, est patent dans au moins trois domaines : le franais dans les systmes ducatifs, lenvironnement francophone des populations et lutilisation de la langue franaise dans la vie internationale.

MFI : Que sont les Pactes linguistiques que vous avez, en consquence, proposs ?

A. D. : Le Pacte linguistique est un plan daction issu de la volont commune de lOIF et dun pays candidat pour faire rayonner davantage la langue franaise sur le territoire de ce pays. Ce pacte nest possible que si le pays a exprim nettement sa volont de prendre des dcisions, administratives et politiques, favorables au dveloppement de la langue franaise. La Francophonie peut alors accompagner les efforts nationaux. Je souhaite dailleurs que tous les oprateurs francophones soient associs ce plan daction. Formation des matres, production de matriel didactique, cours de franais pour fonctionnaires et diplomates et dploiement dune signaltique multilingue font partie des actions possibles. Quelques pays ont dj fait connatre leur intention de sengager dans cette dmarche. Je compte faire un premier bilan de cette exprience lors de notre prochaine Confrence ministrielle, la fin de lanne 2009.

MFI : En cette priode de crise financire internationale, ne craignez-vous pas une diminution des moyens dj relativement modestes consacrs la Francophonie ?

A. D. : La question des moyens disponibles pour donner suite aux dcisions de nos instances est fondamentale. Nous savons dj que pour 2009, nos ressources financires seront maintenues et que certains tats membres ajouteront des crdits ponctuels. La situation, compte tenu du contexte mondial, est donc bonne. Dans le mme temps, nous sommes engags dans une dmarche de resserrement de nos programmations et de nos frais de fonctionnement, tout en esprant accrotre les sommes consacres des projets structurants ayant une plus grande visibilit. Nous cherchons aussi diversifier nos sources de financement en faisant appel certains bailleurs de fonds qui veulent exprimer leur solidarit avec les pays francophones du Sud. Tous ces efforts conjugus nous permettront sans doute de maintenir nos activits. Je voudrais que nos ralisations soient mieux connues de la population francophone, qui pourrait devenir notre meilleure allie pour convaincre nos membres de nous confier plus de ressources.

(*) Louise Beaudoin, Michle Gendreau-Massaloux, Brigitte Girardin, Henri Lops, Jean-Louis Roy et Ghassan Salam.

Propos recueillis par Marie Joannidis

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