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14/04/2009 | |||
Les enjeux de la faim dans le monde (3)Olivier de Schutter : La faim ne reculera pas si les petits producteurs ne sont pas privilgis | |||
(MFI) Quest-ce prcisment que le droit lalimentation et par qui a-t-il t consacr ? Faut-il rguler le commerce des denres agricoles ? Peut-on continuer appliquer les principes de la proprit intellectuelle dans le domaine agricole ? Rapporteur spcial des Nations unies pour le droit lalimentation depuis plus dun an maintenant, Olivier de Schutter fait le point sur les avances de ce droit et sur les actions entreprises. | |||
MFI : Que recouvre prcisment le concept juridique de droit lalimentation ? O. d. S. : Reconnu par la Dclaration universelle des droits de lhomme de 1948, le droit lalimentation a pris corps la fin des annes 1990 partir dun simple constat : la faim nest pas quun problme technique, li labsence de nourriture suffisante, elle est aussi un problme politique, li la pauvret, la discrimination, la marginalisation de certains groupes de la population oublis des politiques publiques. Ce droit a t clarifi concrtement par le Comit des droits conomiques, sociaux et culturels un comit dexperts qui surveille le respect du Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels (PIDESC) et, surtout, par des directives volontaires adoptes en 2004 au sein de lorganisation des Nations unies pour lalimentation et lagriculture (FAO). Ce droit impose aux Etats dvaluer limpact de leurs politiques sur le droit lalimentation des plus vulnrables ; de dfinir des objectifs prcis raliser dans le temps, de surveiller les progrs raliss intervalles rguliers ; de soumettre leurs politiques la discussion et au contrle de lopinion publique. Une vingtaine dEtats, comme lEquateur trs rcemment, ont consacr le droit lalimentation dans leurs constitutions nationales et se sont dots dune lgislation cadre en la matire, permettant aux juridictions de sanctionner les atteintes ce droit. Dautres pays, comme le Honduras ou le Mozambique, sapprtent leur emboter le pas. MFI : Vous avez men en 2008 une mission auprs de lOrganisation mondiale du commerce. Quelles sont les principales recommandations formules aux membres de lOMC ? O. d. S. : Pour que le commerce agisse en faveur du dveloppement et contribue la ralisation du droit une alimentation adquate, il faut le rguler en autorisant les pays en dveloppement protger leurs producteurs agricoles de la concurrence avec les paysans des pays industrialiss. Les pays en dveloppement souffrent la fois des restrictions laccs aux marchs des pays industrialiss et des soutiens internes et des subsides lexportation que ces pays pratiquent. Le cycle de Doha vise rduire ou liminer ces distorsions aux changes. Mais en dpit de la suppression de ces mesures, un paysan dun pays riche produit beaucoup plus quun paysan dun pays pauvre. En 2006, la productivit du travail agricole dans les pays moins avancs (PMA) reprsentait 1 % de celle des pays dvelopps. Le rle du commerce doit tre dtermin en lien avec les droits de lhomme et les objectifs de dveloppement. Le cadre rglementaire multilatral pour le commerce ne peut plus imposer aux Etats des obligations contraires leurs engagements en matire de droits de lhomme. La libralisation accrue du commerce international des produits agricoles peut avoir un ensemble dimpacts potentiellement ngatifs sur le droit lalimentation. Elle incite les Etats dvelopper des cultures dexportation au dtriment des cultures vivrires, les rendant vulnrables la volatilit accrue des prix sur les marchs internationaux ; elle accentue aussi la dualisation du secteur agricole et renforce le rle des socits transnationales de lagro-alimentaire, sans ncessairement de contrepoids suffisants. MFI : La Banque mondiale, aprs avoir nglig les investissements dans le secteur agricole, souhaite prsent faire du renforcement des capacits agricoles le cur de la lutte contre la pauvret. Que pensez-vous de ce revirement ? O. d. S. : Cette volution est essentielle. La Banque mondiale a fait son autocritique, ainsi que les pays en dveloppement, surtout dAfrique sub-saharienne. Ces derniers se sont engags accrotre la part de leurs budgets publics au profit de lagriculture hauteur de 10 % (contre 4 5 % aujourdhui). Toutefois, le dveloppement est irrductible la production agricole. Sans capacits de transformation des matires premires, lEtat reste pris dans un pige subissant une dtrioration des termes de lchange et accroissant sa dpendance vis--vis de ltranger. Tout dpend encore de la nature des investissements. La faim ne reculera pas si les petits producteurs les plus vulnrables qui reprsentent prs de la moiti des 980 millions de personnes souffrant de la faim ne sont pas privilgis. MFI : Les droits de proprit intellectuelle qui permettent des acteurs conomiques privs de fixer les prix des intrants, des pesticides et des semences dont les petits agriculteurs dpendent pour leur production ne sont-ils pas un obstacle toute effectivit du droit lalimentation ? O. d. S. : La question des droits de proprit intellectuelle dans le domaine agricole concerne principalement les semences et suscite une double inquitude. Premirement, la reconnaissance de droits de proprit intellectuelle, au travers de lAccord sur les aspects de droits de proprit intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) conclu dans le cadre de lOMC, ou par le biais des accords de libre change incluant des garanties plus tendues (ADPIC-plus), peut inciter au dveloppement de varits vgtales plus performantes. Mais ce dveloppement porte essentiellement sur des varits cultives par les agriculteurs des pays riches. A lexception du mas et du riz, les varits largement cultives dans les pays en dveloppement (sorgho, millet, patate douce, manioc, ou ignames par exemple) restent des cultures orphelines. La recherche publique doit tre revitalise et surmonter ce dficit. Deuximement, une trs forte concentration conomique existe dans ce secteur comme dans celui des intrants (engrais et pesticides). Une dizaine dentreprises dominent 67 % du march des semences commerciales. Les trois plus importantes (Monsanto, DuPont et Syngenta) reprsentent 47 % du march, Monsanto elle seule 23 %. Ceci cre un risque vident dabus de pouvoir conomique, face auquel le droit de la concurrence semble peu arm. | |||
Propos recueillis par Olivier Rabaey | |||
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