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14/04/2009 | |||
Les enjeux de la faim dans le monde (2)Franois Collart-Dutilleul : Le droit doit sortir de lombre | |||
(MFI) Professeur de droit lUniversit de Nantes (France) et membre du Conseil national de lalimentation, Franois Collart-Dutilleul prsente, en avant-premire, son projet de recherche Lascaux sur le nouveau droit agroalimentaire europen et international. La terre est-elle une marchandise comme une autre ? La gnralisation des titres de proprit est-elle une solution ? Quels seront les effets du dmantlement de la PAC europenne ? Telles sont quelques-unes des pistes de rflexion de ce projet de recherche, qui sinscrit dans le programme Ides*, et sachvera en 2014. | |||
MFI : Quest-ce que le projet Lascaux ? F. C.-D. : Cest, en substance, un projet de recherche sur le rapport entre le droit et lalimentation la lumire des enjeux de scurit alimentaire, de dveloppement durable et de commerce international. Au-del dune meilleure connaissance du droit agroalimentaire, le projet Lascaux vise identifier des modles juridiques propres rpondre ces enjeux : prserver la ressource foncire pour la production daliments, veiller la production, au commerce et la consommation daliments suffisants et sains pour tous MFI : Il y a une inflation douvrages dconomistes, dagronomes, de gographes, de journalistes sur les questions de la faim. Mais o sont les juristes ? F. C.-D. : Le droit doit effectivement sortir de lombre. Lconomiste Karl Polanyi a dmontr comment le march autorgulateur (lconomie librale) sest construit en faisant de la force de travail, de la monnaie et de la terre des marchandises ordinaires. Or, la terre nest pas une marchandise comme les autres car elle est en quantit limite : elle ne peut tre tendue au-del de ce qui est, quand dans le mme temps la population mondiale saccrot. Il est impossible de concevoir un systme gnralis de proprit prive de la terre. Il faut ncessairement adapter le systme de proprit ce bien particulier. Ce raisonnement vaut aussi pour les matires premires agricoles, qui sont actuellement traites comme des marchandises ordinaires alors que prs dun milliard de gens meurt de faim. Laliment ne peut tre une marchandise ordinaire tout simplement parce quil est vital. Concevoir une personne sans lui offrir la possibilit de salimenter de manire autonome, cest fouler aux pieds le concept mme de personne humaine. Le droit doit sortir de lombre pour dire comment la terre doit tre rgule, de la mme manire quon a rgul, par le droit, la force de travail, et de la mme manire quon se mord les doigts de ne pas lavoir fait pour les titres financiers ! Comment rguler la terre ? Je ne peux vous rpondre ce stade du projet Lascaux, mais cest bien sur ce terrain que nous allons rflchir. MFI : Selon lconomiste Hernando de Soto, les pauvres restent pauvres faute de titres de proprit. Il appelle une rvolution juridique qui permettrait aux plus dmunis de transformer ce quils possdent en capital officiellement reconnu ? Quen pensez-vous ? F. C.-D. : Hernando de Soto a totalement raison sur le diagnostic. Quiconque dispose dun titre de proprit sur ce quil possde entre dans lconomie officielle et accde la capitalisation, au crdit, etc. Mais si le diagnostic est juste, le traitement propos est plus discutable : pour de Soto, il faut tendre aux pays du Sud la titrisation de la proprit prive en vigueur dans les pays dvelopps. Or que risque-t-il de se passer ? Laccaparement des terres des pays pauvres par des pays trangers. Madagascar en est une bonne illustration. Il existait dans ce pays un droit coutumier sappuyant sur une forme de proprit non titre. La colonisation franaise a tent dy acclimater le droit civil, mais sans succs. Le droit civil est rest formel tandis que le droit coutumier a continu son office. Cette situation a perdur jusquen 2005-2006, quand lEtat malgache a impos une rforme de la proprit foncire reposant sur la titrisation. Peu de temps aprs, les mdias nous apprennent que la Core du Sud, pour assurer sa scurit alimentaire, souhaite acheter 1,3 millions dhectares de terres arables malgaches. Cela aurait t impossible sans titres. Sur linstant, la titrisation de la proprit est bnfique parce que la population malgache qui vend sa terre la Core senrichit en argent encore faudrait-il savoir qui senrichit. Mais quand bien mme les communauts coutumires senrichiraient, une fois largent dpens, il ne restera rien. Plus de terre, et plus dargent de la terre. A terme, la titrisation pourrait mme contribuer crer une crise alimentaire. Lhistoire et lactualit montrent qu peine lencre de la loi sche, ce sont les pays riches qui rcuprent la proprit des pays pauvres. Ce phnomne vaut pour toutes les proprits, y compris intellectuelles. Il faut donc sinterroger sur le concept mme de proprit et pas seulement sur labsence de titres. Cest lun des objets principaux du projet Lascaux. MFI : Le dmantlement de la PAC est prvu lhorizon 2013. Si la suppression des subsides lexportation semble indispensable au dveloppement du Sud, ne constitue-t-elle pas un risque pour lautosuffisance alimentaire europenne ? F. C.-D. : Le dmantlement de la PAC constitue un rideau de fume pour cacher les problmes. Les subventions agricoles sont le moyen que lEurope utilise, notamment, pour protger les paysans europens. Ces subventions sinterposent entre ceux-ci et les marchs spculatifs, afin de garantir la prennit du revenu de leur travail. Supprimer les subventions, cest donc demander aux paysans de se protger eux-mmes et il nest pas du tout certain quils soient en mesure de le faire De leur ct, les paysans du Sud nont aucun moyen de dfense contre les marchs spculatifs des matires premires agricoles. La question devrait donc dabord tre : comment leur assurer une protection minimale ? De quelle rgulation juridique ont-ils besoin sur ces marchs spculatifs pour pouvoir vivre de leur travail ? Ce nest pas en dmantelant la protection des uns quon assurera celle des autres. Il reste que les subventions agricoles ont un effet de distorsion de concurrence, au moins sur certains marchs agricoles. Il faut donc galement rflchir aux moyens juridiques de lviter. Travailler ldification dun tel droit est lun des objets du projet Lascaux. Propos recueillis par Olivier Rabaey * mis en place par le Conseil europen de la recherche et financ par la Commission europenne. | |||
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