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26/05/2009 | |||
Alors que le président français vient de se rendre à Abou Dhabi Human Rights Watch sort un rapport critique : La face cachée du bonheur | |||
(MFI) Nicolas Sarkozy s’est rendu, les 25 et 26 mai 2009, aux Emirats arabes unis, alors que le projet « Louvre » doit être lancé, d’ici la fin de l’année 2009, sur l’île de Saadiyat, à Abou Dhabi. La visite du président français a été précédée par un rapport d’Human Rights Watch dénonçant l’exploitation des travailleurs migrants sur cette île. L’ONG réclame un engagement politique susceptible d’améliorer les conditions de ces travailleurs. Largement contesté par les autorités émiraties, le rapport fait état d’une situation alarmante. | |||
Gros complexes hôteliers, golfs géants, centre commerciaux, musées et autre équipements culturels : les autorités d’Abou Dhabi espèrent faire de l’île de Saadiyat (« l’île du bonheur », en arabe), le centre culturel du Moyen-Orient. Les constructions en cours permettront à l’île d’accueillir les touristes les plus fortunés du monde, et peut-être de voler la vedette à Dubaï, l’actuelle mégalopole pour riches voyageurs de la région. A Saadiyat, la construction des infrastructures, lancée en 2005, nécessite un nombre considérable d’ouvriers. Les entreprises recourent donc à des travailleurs venus de l’étranger, pour la plupart du sous-continent indien (Bangladesh, Inde, Pakistan). Human Rights Watch (HRW) a enquêté pour connaître les conditions de travail de ces étrangers. Le rapport énumère les atteintes aux droits de l’homme sur ces chantiers titanesques. Travailler dix à douze heures par jour par une température de 45° Pour venir dans l’émirat, les travailleurs étrangers doivent payer des taxes à des «agences» afin d’obtenir un visa de travail. La somme requise étant de 3 000 dollars, les hommes sont obligés de vendre leurs biens (bijoux, animaux), d’hypothéquer leurs champs et maisons en s’endettant fortement. Arrivés sur place, les salaires promis (environ 300 dollars) ne seront jamais versés. Après quelques mois, les travailleurs reçoivent une paye, mais celle-ci n’excède pas 8 dollars par jour. Ce qui pose des problèmes considérables pour rembourser les dettes contractées dans le pays d’origine. D’autre part, les conditions de vie des travailleurs sont décrites comme épouvantables dans le rapport HRW : 45 degrés et 80 % d’humidité six mois de l’année, 10 à 12 heures de travail par jour, pas de couverture maladie, pourtant promise à l’origine. Les travailleurs ne disposent d’aucun recours pour faire valoir leurs droits. Grèves et syndicats sont interdits, et l’unique jour de repos des travailleurs, le vendredi, est jour de fermeture des prud’hommes. Enfin, HRW dénonce la confiscation quasi-systématique des passeports des ouvriers, qui sont ainsi dans l’incapacité totale de rentrer dans leurs pays. Un engagement politique est nécessaire Dans un communiqué, la Compagnie d’Abou Dhabi pour la promotion du tourisme et des investissements (TDIC), l’établissement public chargé du développement de Saadiyat, a qualifié le rapport de HRW de « trompeur », rappelant que les Emirats ont signé 6 des 8 conventions de l’Organisation internationale du travail. La TDCI rejette notamment les accusations de confiscation de passeport, pratique totalement interdite par la loi des Emirats. Quel rôle peut jouer la France dans ce contexte ? Le projet Louvre d’Abou Dhabi est la clé d’une possible intervention. Pour Bill van Esveld, chercheur à la division Afrique-Moyen Orient de HRW, « le Louvre français a une obligation morale d’agir, et peut ouvrir la voie à une amélioration des conditions pour ces travailleurs ». En prêtant son nom au projet contre un financement conséquent de l’émirat d’Abou Dhabi, le Louvre peut exercer des pressions et faire en sorte que les principes de base du droit du travail soient appliqués sur cette construction. En espérant que les projets futurs adopteront les mêmes codes de travail pour les migrants. La première exigence de HRW est de faire en sorte que s’instaurent des instances de médiations entre ouvriers et directions des entreprises. L’ONG compte notamment sur l’intervention de l’agence France-Muséums (chargée du Louvre Abou Dhabi). Mais un tel engagement ne peut se faire sans une implication des pouvoirs politiques français. « Il manque un engagement politique que Nicolas Sarkozy peut apporter », résume Jean-Marie Fardeau, directeur de bureau français de HRW. Faire pression sur les entreprises qui gèrent ces constructions, au moment où celle qui aura en charge le projet Louvre doit être choisie : telle est l’idée de HRW. Mais il faut aussi s’interroger sur un autre aspect de ce problème. Les travailleurs viennent à Abou Dhabi, quittent tout ce qu’ils ont, s’endettent pour émigrer à des milliers de kilomètres dans l’espoir d’obtenir le salaire décent qu’ils ne pourront jamais recevoir chez eux. Les conditions de travail dans le sud de l’Asie devraient peut-être faire l’objet d’un rapport… L’île de l’espoir : l’exploitation des travailleurs migrants sur l’ile de Saadiyat, à Abou Dhabi, rapport d’HRW, mai 2009 En savoir davantage : http://www.hrw.org/fr/news/2009/05/19/emirats-arabes-unis-les-travailleurs-qui-construisent-l-ile-du-bonheur-sont-r-guli-r Consulter le rapport (en anglais) : http://www.hrw.org/node/83111 | |||
Camille Dubruelh | |||
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