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MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

26/05/2009
Faut-il rnover la dmocratie ? (2)
Retrouver le principe dune dmocratie accomplie par le peuple et pour le peuple


(MFI) Usure dun mot, ou usure dun systme ? Lorsque des penseurs radicaux, certains considrs comme proches de lextrme gauche, sinterrogent sur la notion de dmocratie, on peut sattendre de vigoureuses remises en cause (1).

La dmarche, mme la plus critique, peut tre stimulante, sil sagit den revenir aux fondamentaux. Cest ainsi le philosophe Alain Badiou qui propose de destituer lemblme dmocratique et de commencer par mettre de ct le mot, soulignant au passage que la dmocratie qui semble aller de soi lest pour ces gens de lemblme, gens de lOccident , qui maintient les autres distance : Pour les autres, venus des zones affames ou meurtrires, on parle dabord papiers, frontires, camps de rtention, surveillance policire
Alain Badiou dcrit alors une dmocratie occidentale ayant son territoire bien dlimit, et qui est concevoir aujourdhui comme le faisait hier Platon comme ce systme qui donne libre cours aux plaisirs et la jouissance goste des individus, proposant un idal symbolique ses citoyens : lternelle jeunesse Socit du pur plaisir, o lorganisation (protectrice de la proprit prive) est complice de cet tat de choses. Seule solution : revenir au communisme authentique en programmant le dprissement de lEtat et de ses lois !
Position singulire, que dautres ne partagent pas. La plupart considrent toutefois quil faut retrouver ce principe dune dmocratie accomplie par le peuple et pour le peuple . Mais avec dimportantes nuances. Daniel Bensad slve ainsi contre toute vision mystique de la dmocratie et cite notamment Walter Lippmann, qui signalait ironiquement : il nexiste pas lombre dune raison de penser, comme le font les dmocrates mystiques, que la somme des ignorances individuelles puisse produire une force continue capable de diriger les affaires publiques . Il faut donc de la reprsentation, il faut donc des partis politiques, encore que tout le monde saccorde sur les limites des mcanismes actuels qui crent une dmocratie oligarchique, telle que ne cesse de la dnoncer le philosophe Jacques Rancire, une figure de proue de ce courant de pense (2).


Repenser ce que dmocratie veut dire

Pour ce dernier, il y a ncessit de repenser ce que dmocratie veut dire, et de se demander si dmocratie veut dire suffrage universel ; ds lors considre-t-il que le systme reprsentatif est pris en otage par des intrts particuliers. Jacques Rancire axe en particulier ses critiques contre une dmocratie o le pouvoir tend tre confisqu par les experts , par les professionnels de la politique et toute une oligarchie qui se sert du systme reprsentatif pour se reproduire dune lection lautre. Mais il nentend pas rcuser pour autant lidal dmocratique : Je veux bien quil y ait une certaine usure du mot l o il a t invent, en Occident, mais si on pense tout ce qui se passe (ailleurs dans le monde), le mot a encore un sens. Et suggre dexplorer les voies possibles dune organisation politique qui soit dabord laffirmation dun pouvoir de tous, dconnect des exigences de la machine, et qui ait son autonomie par rapport au type de politique prescrite par la machine (3). Tout ceci par une forme de rvolution permanente qui est de lessence mme de la dmocratie, laquelle doit pour survivre, aller toujours plus loin, transgresser en permanence les formes institues, mettre lgalit lpreuve de la libert (et contester) pied pied les atteintes de la proprit prive et les empitements de lEtat contre lespace public et les biens communs (Daniel Bensad).

(1) Dmocratie, dans quel tat ?, collectif, ditions La Fabrique, 2009, 13 euros
(2) Livres de Jacques Rancire : La msentente (Galile, 1995), La haine de la dmocratie (La Fabrique, 2005), Le Spectateur mancip (La Fabrique, 2008).
(3) Entretien radiodiffus : France Culture, Les chemins de la connaissance, 4 mai 2009


Pierre Rosanvallon : largir le champ de la dmocratie

(MFI) Penseur trs sollicit dans les dbats actuels, Pierre Rosanvallon entend largir le champ de la dmocratie, bien au-del du seul exercice lectoral et du principe du suffrage majoritaire. Les extraits ci-dessous rsument sa rflexion (1).

Une socit dmocratique est une socit qui repose sur elle-mme, constitue par les citoyens, organise par leur volont commune. Que veut dire ce terme volont commune , volont gnrale : cest lide que chacun ait son mot, sa participation cette constitution de la socit ; mais on sait que pour dcider, on ne peut pas se contenter de cet idal dunanimit, et que la majorit est le seul principe raliste de dcision.

La rgle de la majorit a t invente autrefois, non pour lgitimiter des dcisions collectives, mais dans de petits groupes o il y avait indtermination sur la dcision prendre (couvent de moines, groupe de grands lecteurs) : il fallait bien trancher, et on avait ce principe simple selon lequel le plus grand nombre fait la dcision. La dmocratie vit du principe majoritaire, car il faut prendre des dcisions ; mais la dmocratie est un rgime de la lgitimit sociale : il faut un principe de justification et un principe de dcision.

Dans lhistoire, trs souvent ce qui a form des dmocraties cest lide de reprsentation et cest le principe parlementaire, qui repose sur la majorit simple. Or il doit exister dans toute socit deux registres de lgitimation : un registre de lgitimation de la dcision qui doit admettre le conflit, la division ; et un registre de fixation des rgles gnrales qui doit recueillir une forme de consensus de tous, mais ce ne sont pas les mmes institutions. Quest-ce qui organise cette rgle du jeu, cest une constitution ; et ce qui organise le fait de trancher entre les opinions, ce sont les lections. Il y a des institutions pour trancher les conflits et les reconnatre comme structurants ; et des institutions des rgles du jeu : mais il faut faire vivre les deux en mme temps. Une tendance historique des dmocraties cest davoir donn la prfrence la logique partisane sur la logique des rgles du jeu ; et il y a bien des dmocrates qui voudraient que les constitutions obissent aux mmes rgles majoritaires que simplement le pouvoir lgislatif.


Les oublis de la reprsentation

(Quelle est lapproche) si lon veut rinventer la dmocratie : il faut sparer nettement les deux registres. Mais cette sparation repose sur quelque chose dencore plus fondamental, cest la reconnaissance du conflit et la ncessit du consensus. Quil y ait des partis en conflits, quil faille trancher entre des intrts diffrents, cest normal ; il y a une critique de la politique partisane qui me semble nulle et non avenue : il est bon quil y ait un ct partisan, il est bon quil faille trancher Nous vivons dans des socits divises : il faut trancher entre le riche et le pauvre, sur les impts, sur quantit de questions. L, la logique partisane est fondamentale ; mais ct il faut sauver un espace pour des rgles du jeu, pour des formes dintrt commun, sinon on irait chaque fois dans une logique de sparatisme.

Je ne suis pas ami du scrutin majoritaire comme mode dexpression unique de la dmocratie. Il faut enrichir, dvelopper la dmocratie, dj en amliorant les procdures lectorales et reprsentatives, trouver des faons dinclure dans le systme reprsentatif ce quon appelle les oublis de la reprsentation ; trouver les formes de prises de parole sociales qui rendent prsents dans la socit les problmes des populations, parce que la reprsentation cest bien a : donner une voix ceux qui nen ont pas ; la reprsentation ce nest pas seulement la dlgation, ce nest pas simplement le mandat.

La dmocratie parlementaire est intermittente (on a rendez-vous tous les 4 ou 5 ans) ; entre ces rendez-vous il y a une demande sociale, il y a du mouvement social, de la vie syndicale, de la vie juridique, de lopinion ; le problme de la dmocratie cest de faire vivre toutes ces formes dorganisation de manifestation de la voix sociale ; pendant trs longtemps on a eu les reprsentants sociaux, on a eu la force syndicale qui est une force de prise de parole, de reprsentation, dexpression ; aujourdhui nous sommes dans une situation o ce 2e pilier de la reprsentation sociale sest affaiss ; et on a un parpillement : la dmocratie intermittente dun ct ; et la dmocratie diffuse de lopinion ; entre cette dissmination et cette polarisation il faut trouver des formes de parole intermdiaires.

T. P.

(1) In France Culture, Les chemins de la connaissance, mission du 8 mai 2008


Thierry Perret

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