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16/06/2009
Questions internationales (1)
Les musulmans aux Etats-Unis : entre intgration et islamophobie


(MFI) Les musulmans - entre six et huit millions aux Etats-Unis -, sont en majorit issus dune immigration rcente. Les tudes tendent prouver quils sont bien intgrs et ont le plus souvent adopt lAmerican way of life. Mais les attentats du 11-Septembre et la Guerre en Irak ont aussi favoris une forte islamophobie dans la patrie de lOncle Sam. Voulu par Barack Obama, le rchauffement des relations entre Washington et les pays musulmans pourrait contribuer amliorer leur situation.



Quelle est limportance de la communaut musulmane aux Etats-Unis ?

Si lon compte le nombre dAmricains musulmans, on voit que les Etats-Unis sont lun des plus grands pays musulmans de la plante. Cest ce qua dclar Barack Obama, le 2 juin 2009, juste avant sa visite en Arabie saoudite et en Egypte. Une apprciation qui parat pour le moins excessive. Selon le Pew Research Center, un institut danalyse politique, les Etats-Unis compteraient entre six et huit millions de musulmans - soit environ 2 % de la population ( comparer aux 81 % de chrtiens). Ils sont installs principalement en Californie, au Texas, au Michigan, autour de Detroit, et sur la ct Est, de Philadelphie Boston.
LIslam est donc minoritaire dans la patrie de lOncle Sam mais cette religion est nanmoins en forte progression (+ 109 % depuis 1990). Ce phnomne a une double explication : Si les premiers musulmans sont arrivs aux Etats-Unis du Liban et de Syrie en 1870, limplantation de cette communaut correspond une immigration rcente, vers la fin des annes 1980. Par ailleurs, on assiste des conversions croissantes lIslam dAfro-Amricains et dHispaniques , selon Luis Lugo, directeur du dpartement Religion au Pew Research Center, cit par Le Monde.
Les musulmans ns aux Etats-Unis ne reprsentent quun tiers de leur communaut dont la majorit est issue de limmigration moyen-orientale, africaine et asiatique. Rien quen 2007, 96 000 personnes originaires de pays musulmans ont obtenu un permis de rsidence aux Etats-Unis : le chiffre le plus lev depuis vingt ans. La nouveaut, cest quon compte aujourdhui davantage de musulmans que de juifs aux Etats-Unis. Les musulmans nont pris conscience de leur poids lectoral que trs rcemment. Ils commencent sorganiser en groupes de pression mme sils ne constituent pas encore un lobby puissant , souligne Luis Lugo. Plusieurs associations importantes dfendent leurs droits, notamment la Muslim American Society et le Council on American-Islamic Relations (CAIR), dont les reprsentants interpellent rgulirement les hommes politiques Washington. Pour la premire fois, un musulman a t lu au Congrs lors des lections parlementaires de novembre 2006. Il sagit de lavocat Keith Ellison, un Afro-Amricain de quarante-six ans, originaire du Minnesota et converti lislam lge de dix-neuf ans.

Les musulmans sont-ils bien intgrs la socit amricaine ?

Heureux dtre musulman et Amricain. Cest limage qui ressort dune enqute mene en juin 2007 par le Pew Research Center : 62 % des personnes interroges disent mener une vie plus confortable et plus sre aux Etats-Unis que dans leur pays dorigine ; 66 % estiment que la pratique de lislam est compatible avec une socit moderne ; 41 % sont propritaires de leur maison et disposent dun revenu annuel suprieur 50 000 dollars et 24 % sont des travailleurs indpendants. La majorit dit entretenir de bonnes relations avec son voisinage et ne ressentir aucune hostilit particulire.
A la diffrence de la France, la question du foulard ne se pose gure dans la patrie de lOncle Sam : il y est rgulirement port par 43 % des musulmanes amricaines ; jamais port par 48 %. Toutes les entreprises qui ont licenci des employes parce quelles portaient le voile ont perdu leur procs. Mme McDonalds symbole plantaire de lAmerican way of life propose des menus hallal dans les quartiers o rside une importante communaut musulmane. Depuis 2004, les musulmans amricains disposent de leur chane de tlvision, Bridges TV, fonde Buffalo dans lEtat de New York. A en croire Andrew Kohut, prsident du Pew Research Center : Les musulmans amricains vivent comme la plupart des Amricains. Cest principalement une population de la classe moyenne, qui a intgr lide quen travaillant dur on peut faire son chemin dans la socit. Ils sont trs Amricains dans leur faon de vivre, de concevoir les choses, dans leur ducation, leurs revenus, leurs proccupations.
Irakien dorigine, arriv aux Etats-Unis en 1965, Alaa Khidare, propritaire dune chane de restaurants, estime dans Le Monde : Il y a quarante ans, notre proccupation tait davoir des mosques. Aujourdhui, cette question ne se pose plus ; on trouve des mosques dans toutes les villes et nous sommes parfaitement libres de vivre notre religion. Notre prochain dfi sera dtre moins anonymes, dtre reconnus en tant que communaut avec son Histoire, son mode de vie, son poids politique, comme le sont les Afro-Amricains, les Juifs ou les Hispaniques .
La bonne intgration des musulmans aux Etats-Unis sexplique parce que, contrairement aux musulmans en Europe, leur niveau de vie est comparable celui de la moyenne nationale. Les disparits conomiques sont plus fortes en Europe o les musulmans sont souvent dclasss conomiquement et socialement , dfend Pascal Boniface, directeur de lInstitut de relations internationales et stratgiques (IRIS). Une analyse partage par Nazih Hassan, un informaticien libanais install New York, dont les parents vivent en France : Aux Etats-Unis, lintgration est avant tout une question conomique, alors quen Europe cest une notion culturelle. Cest beaucoup plus compliqu .

Le fait religieux est-il un lment important pour les musulmans amricains ?

Lorsque le Pew Research Center demande aux intresss sils se voient dabord comme des musulmans ou comme des Amricains, ils sont 47 % rpondre musulmans . Mais les catholiques sont 42 % rpondre de mme et les vanglistes 62 %. La pratique religieuse est importante pour les musulmans amricains puisque 61 % dentre eux disent prier chaque jour et 40 % frquentent la mosque une fois par semaine. L encore, ils ne diffrent pas des autres courants religieux : les chiffres sont comparables ceux exprims par les chrtiens. Les musulmans accentuent le caractre religieux de la socit amricaine. Nous sommes dj dans un pays dont plus de 80 % des habitants se disent croyants, un pourcentage bien plus lev quen Europe. La nouveaut est que les musulmans diversifient ce caractre religieux de la socit amricaine , explique Luis Lugo, directeur du dpartement Religion au Pew Research Center.
Une diffrence notable entre musulmans et chrtiens est que les musulmans de moins de trente ans vont plus souvent la mosque que leurs ans, ce qui est le contraire chez les chrtiens. Pour les analystes, le fait que lislam ait t en butte de vives critiques aprs les attentats du 11-Septembre a incit les jeunes apprendre davantage sur leur foi et chercher mieux comprendre leur identit. De mme, si 75 % des musulmans amricains condamnent lintgrisme, 15 % des jeunes musulmans estiment que les attentats-suicides sont parfois justifis et 8 % quils le sont toujours. Pour Farid Senzai, chercheur lInstitute for Social Policy and Understanding (Michigan) : Ces chiffres indiquent que certains jeunes musulmans peuvent se radicaliser sous linfluence de leurs pairs, dInternet ou de lactualit internationale. Cela ne signifie pas quils envisagent de commettre un attentat, mais quils ont le sentiment que dans une situation doccupation, face une prsence militaire trop forte et asymtrique, le recours la violence est parfois justifi.
Interview par lhebdomadaire Newsweek, Amaney Jamal, professeur de Sciences politiques luniversit de Princeton, affirme : Nous avons faire une population bien intgre socialement et conomiquement, mais qui majoritairement dsapprouve la politique trangre amricaine et dont certains membres disent comprendre les attentats en Irak et en Palestine. Cest l tout le paradoxe dune communaut qui a russi son intgration et son amricanitude alors quelle est souvent considre par les Amricains moyens comme une menace, voire comme un ennemi intrieur.


Les musulmans amricains souffrent-ils de discriminations depuis les attentats du 11-Septembre et la Guerre en Irak ?

Jordanien dorigine, Mahmoud Alafyanouny vivait Houston depuis dix ans et tait mari une Amricaine lorsquen fvrier 2004, les services de limmigration sont venus larrter en vertu du Patriot Act, la loi anti-terroriste adopte aprs les attentats du 11-Septembre. Lui qui navait jamais eu le moindre problme, ni avec ses voisins ni avec la Justice, et qui tait sur le point dobtenir sa carte de rsident, sest vu reprocher davoir collect des fonds pour lOrganisation de libration de la Palestine (OLP) lorsquil tait tudiant, Amman, en 1983. Aprs deux ans de prison, il a t expuls vers la Jordanie.
Des cas comme celui-ci, nous en connaissons des milliers. Un rien vous vaut dtre tax de sympathie pour le terrorisme. Il se cre un sentiment doppression chez les musulmans au point que les gens nosent plus discuter de lIrak ou du Liban au tlphone, quils nosent plus verser laumne traditionnelle, la zakat, au moment du ramadan. Il y a certes une part dirrationnel dans cette crainte, mais cest aussi rvlateur dun climat , sinsurge Corey Saylor, lun des responsables de CAIR. Cette association trs politique estime quun nombre disproportionn de musulmans se trouve parmi les 160 000 trangers expulss en 2008. Elle rappelle quentre 2005 et 2008, les plaintes pour discrimination et haine raciale ont augment de 32 % aux Etats-Unis. Rvlateur de cette inquitude : 54 % des musulmans amricains trouvent leur vie plus difficile depuis les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone.
Auteur de Muslim life in America after 9/11, la sociologue Geneive Abdo, cite par Le Monde, estime qu il faut dmonter le mythe de la bonne intgration des musulmans amricains. Lenqute du Pew Research Center a un intrt certain, mais elle nglige la dimension qualitative, savoir lanxit dans laquelle vivent de nombreux musulmans, leur choix dtre discret dans leur pratique religieuse, leur rticence saffirmer musulman. On peut avoir un bon niveau de vie, tre propritaire de sa maison, prier tous les jours, mais se sentir diffrent des autres, presquobserv. Il faut admettre quil existe une forte islamophobie aux Etats-Unis . Et dajouter : Ce sentiment croissant dalination fait que les jeunes se replient sur leur communaut. Ils privilgient leur identit musulmane plutt que leur identit amricaine. Ceux qui leur reprochent de ne pas tre de bons Amricains dcouragent en ralit leur intgration .
Les agressions dont des musulmans ont t victimes aprs le 11-Septembre sont aujourdhui rares. Mais, selon Corey Saylor : Cest latmosphre de la socit qui est inquitante. On nous rapporte rgulirement des cas de Coran entours de jambon et jets dans les toilettes duniversits. Ou de personnes habilles en djellaba qui ne peuvent pas embarquer sur des vols intrieurs la demande des autres passagers. Ce ne sont pas toujours des incidents graves ; cela relve souvent de la btise, mais cest trs dsagrable . De son ct, le comit des Nations unies contre la discrimination raciale sest dclar, en mars 2008, profondment proccup par laugmentation du ciblage racial par les services de scurit amricains lencontre des Arabes, des musulmans et des personnes originaires dAsie du Sud .
Les musulmans amricains esprent que llection de Barack Obama favorisera lamlioration des relations entre les Etats-Unis et les pays musulmans, et indirectement leur propre situation aux Etats-Unis (voir larticle ci-aprs). Car les responsables politiques encouragent parfois cette islamophobie. Ainsi, lors des lections parlementaires de novembre 2006, Mary Ann Hogan, candidate rpublicaine en Floride, avait reproch son adversaire dmocrate davoir accord une subvention la communaut musulmane de Miami pour la fte de fin du ramadan. Nos soldats se font tuer en Irak et vous distribuez de largent public des musulmans , stait-elle emporte lors dun meeting. Nous navons rien voir avec les musulmans dIrak. Nous sommes vos voisins , lui avait rpondu Adel Eldin, un imam de Miami. De mme, lors de la campagne pour la Maison-Blanche, ses adversaires avaient fait courir la rumeur que Barack Obama tait musulman. Et ce dernier avait jug ncessaire de dmentir et de safficher ostensiblement dans un temple protestant.
On retrouve-l le paradoxe cher Amaney Jamal : une communaut musulmane bien intgre conomiquement, libre de pratiquer sa religion, mais vue comme une menace par lAmricain moyen. Pour le professeur de Sciences politiques de luniversit de Princeton : Il ne faut pas exagrer les incidents dont sont victimes des musulmans. Mais il ne faut pas non plus minorer lislamophobie. Les Etats-Unis sont une terre dimmigration, et les musulmans appartiennent aux dernires vagues darrivants, dans un contexte politique trs particulier. Leur intgration est inluctable, mais elle exigera encore du temps. Lamlioration des relations de Washington avec les pays musulmans y contribuera, de mme que le renforcement de leur poids lectoral .


Jean Piel

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