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30/06/2009
(2) Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur lIRIS :
Le Mexique traverse une crise du tissu social

(2) Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur lIRIS :
Le Mexique traverse une crise du tissu social


Les Mexicains sinterrogent sur leur avenir

(MFI) Spcialiste de lAmrique latine, Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur lInstitut de relations internationales et stratgiques (IRIS). Selon lui, le Mexique traverse une crise la fois politique, conomique et socitale.


MFI : Entre grippe porcine, difficults conomiques et criminalit, le Mexique traverse-t-il une priode de doute ?

Jean-Jacques Kourliandsky : Le Mexique traverse actuellement une trs grave crise. Laccumulation de problmes, qui pris individuellement, sont dj difficiles grer, entrane le pays dans une spirale redoutable.
La crise conomique frappe plus svrement le Mexique que les autres pays dAmrique latine du fait de sa dpendance lgard des Etats-Unis. Il est bien connu que lorsque lconomie amricaine senrhume, celle du Mexique attrape une forte fivre. Cest en effet le seul pays de la rgion qui ptit un double titre des difficults de son grand voisin : les PME mexicaines sous-traitantes de firmes amricaines voient leurs carnets de commandes seffondrer, et les migrs envoient moins dargent au pays.
De son ct, la grippe H1N1 a terriblement entach limage du Mexique ltranger. En outre, le secteur du tourisme est sinistr. Or cest la troisime source de devises pour Mexico. Quant la criminalit, le problme est ancien, mais depuis deux ans tous les records sont battus du fait de la monte en puissance des cartels de la drogue. La criminalit organise a fait plus de 6 000 morts en 2008. Cest un chiffre hallucinant, et on comprend que les Mexicains aient un sentiment dinquitude et de mal-tre.


MFI : La classe politique a-t-elle perdu toute crdibilit aux yeux des Mexicains ?

JJK : La crdibilit de la classe politique na jamais t trs leve au Mexique. Mais ces crises concomitantes, et le sentiment que les lus sont incapables de les rsoudre, ajoutent la perte de confiance des Mexicains envers leurs dirigeants.
La transition dmocratique, lors de llection prsidentielle, en 2000, avait pourtant suscit un immense espoir. Aprs soixante-et-onze ans de rgne ininterrompu, le Parti rvolutionnaire institutionnel avait d cder la place une nouvelle formation ; le Mexique devenait une dmocratie comme une autre . Mais cet espoir a t du. Ceux qui ont t ports au pouvoir nont pas su rpondre aux attentes de la population. Ajoutez cela le fait que la trs courte victoire de Felipe Calderon lors de llection prsidentielle de 2006, moins de 0,6 % dcart avec son adversaire de gauche, a affaibli la lgitimit du gouvernement central.
Le rsultat paradoxal est que la crise actuelle entrane une certaine nostalgie pour les annes du PRI. La criminalit ntait pas aussi leve ; les ajustements sociaux dus louverture conomique ne faisaient pas sentir leurs effets. Certes, le PRI avait cr un systme clientliste o la corruption rgnait en matre. Mais comme dans tout systme clientliste, chacun arrivait grappiller une part du gteau.
Les sondages pour les lections du 5 juillet attribuent dailleurs la victoire au PRI. Le Parti daction nationale est au pouvoir et narrive pas rsoudre les problmes. La gauche, incarne par le Parti de la rvolution dmocratique, est divise ; elle na pas de projets et sembourbe dans une guerre des chefs. Elle napparat donc pas comme une alternative crdible. La stratgie du moindre mal pourrait donc profiter au PRI.


MFI : Les fortes ingalits sociales, dans un pays pourtant assez riche, ne sont-elles pas la cause de tous les maux ?

JJK : Pas obligatoirement. Cette situation nest pas propre au Mexique, mais commune lensemble de lAmrique latine. Regardez le Brsil ou la Bolivie. La diffrence est quau Brsil, la situation samliore, alors que le Mexique traverse aujourdhui une crise du tissu social. Les gens sinterrogent sur lavenir, sur le chemin suivre. Ils se demandent par exemple ce quil faut faire de la rente ptrolire. Dun ct, le monopole de lEtat est accept car il garantit lindpendance nergtique du pays. Mais en mme temps, faute dinvestissements, aucun nouveau gisement nest dcouvert et les rserves spuisent.
De mme, le recours larme pour lutter contre les narcotrafiquants, dcid par Felipe Calderon, est admis, vue la corruption de la police tous les tages. Cest un peu une stratgie de la dernire chance. Mais une arme nationale est-elle faite pour mener des oprations de scurit publique ? Cela pose des questions juridiques, de respect des droits de lhomme, defficacit. Le risque aussi est que larme soit elle-mme un jour corrompue par les cartels de la drogue. Ce qui constituerait une menace pour la dmocratie.
Pensez enfin au mouvement zapatiste. Il y a dix ans, il tait peut-tre utopiste, mais il reprsentait aussi un certain espoir, la preuve que la socit avait des rves. Aujourdhui, malgr la crise conomique et sociale, le zapatisme sans avoir disparu ne fait plus parler de lui. Il sest noy dans cet affaissement collectif de la socit mexicaine, dans la perte de ses rves et de ses espoirs.

Propos recueillis par Jean Piel




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