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30/06/2009
Questions internationales : Lgislatives et municipales mexicaines du 5 juillet 2009
(1) Mexique : Le vainqueur des lections pourrait bien tre l'abstention


(MFI) Le 5 juillet, les Mexicains liront leurs dputs, leurs maires et leurs gouverneurs. Mais lpidmie de grippe H1N1, la crise conomique et la criminalit record ont fragilis la dmocratie dans ce pays o les lecteurs ne font plus gure confiance leur classe politique. Le taux dabstention pourrait donc tre lev.

Lpidmie de grippe H1N1 a-t-elle un impact sur la campagne lectorale ?

Lpidmie est lun des thmes majeurs de la campagne lectorale. Les avenues de Mexico dsertes, les habitants portant un masque sur le visage, les hpitaux ne faisant plus face lafflux de patients Chacun se souvient de ces images du Mexique do est partie lpidmie de grippe porcine, et o le gouvernement mexicain a dcrt, le 23 avril 2009, lurgence sanitaire. Trois semaines plus tard, le pays retrouvait son activit habituelle.
La plus grande mtropole du monde, Mexico 26 millions dhabitants , redevenait la capitale tourdissante de bruits et de foule quelle a toujours t. Les coles ont rouvert. Les Mexicains ont renou avec leurs deux rendez-vous du week-end, le football et la messe. Nanmoins, lpidmie de grippe H1N1 a laiss des traces que les candidats aux lections lgislatives sefforcent dexploiter.
Nous avons ragi vite et prouv notre capacit circonscrire dans les meilleurs dlais une maladie pourtant contagieuse. Nos hpitaux ont pris en charge tous les patients. Nos mdecins ont prouv leur comptence et leur dvouement , se flicite le Parti daction nationale (PAN), la formation de droite au pouvoir. Le Mexique a t montr du doigt dans le monde entier. Pourquoi est-ce dans notre pays que lpidmie a t la plus virulente ? Cette maladie a mis en vidence lingalit dans laccs aux soins et les lacunes de notre rseau sanitaire , rtorque le Parti de la rvolution dmocratique (PRD), son adversaire de gauche.
En effet, non seulement lpidmie de grippe porcine est partie du Mexique, mais cest aussi l quelle a t la plus forte : plus de 100 morts et prs de 3 000 personnes infectes. Certains biologistes mettent en cause un virus plus rsistant au Mexique que dans les pays vers lesquels il a migr. Pris au srieux par la communaut scientifique internationale, largument reste valider. Pour dautres, lexplication est avant tout sociale. Notre bigoterie nous a fait perdre du temps et de lefficacit. Le jour o lurgence sanitaire a t dcrte, des fidles sont sortis de la cathdrale de Mexico en portant la statue du Christ. On navait pas vu cela depuis lpidmie de peste il y a des dcennies. Des conservateurs ont vu dans cette grippe un signe du courroux divin, deux ans aprs la loi sur lavortement. Lorsque certains font croire aux plus pauvres quau lieu de se soigner, il convient de prier et daccuser un soi-disant relchement des murs, ils favorisent la diffusion de la maladie , accuse Antonio Fuertes, le prsident dune Ong daide aux plus dmunis, cit par El Universal.
Le Mexique nest plus un pays en dveloppement, mais il conserve certains gards les traits dun pays du tiers monde. Class par lOCDE au 12e rang des conomies mondiales, il noccupe que la 51e place pour lIndice de dveloppement humain (entre Cuba et la Bulgarie) et la 54e pour le PIB par habitant (entre la Libye et le Gabon).
Mexico, Cancun ou Veracruz abritent dexcellentes cliniques o les plus riches se font soigner vite et bien. Mais dans les petites villes et les villages, o rsident 60 % de la population mexicaine, laccs aux soins est plus alatoire. Quant aux tribus indiennes, elles ne se soignent souvent quavec des plantes et des incantations. Elles ne reoivent aucune information quand une telle pidmie survient. Ce nest pas une mdecine deux, mais trois vitesses , dnonce Juan-Miguel Ulgade, candidat du PRD dans la province du Chiapas, cit par le quotidien espagnol El Pais.
Lpidmie a aussi mis en vidence le manque deau. Alors que la maladie exige de se laver souvent les mains, 26 000 coles du pays nont pas leau courante, et plus de 10 000 localits sont prives dgouts. Lpidmie a galement eu de graves consquences conomiques.


Prcisment. Dans quel contexte conomique se droulent ces lections ?

Fortement dpendant du tourisme, le Mexique a beaucoup souffert de lpidmie de grippe porcine. Le Yucatan, province chrie des vacanciers, a enregistr 70 % dannulations depuis le mois davril. La maladie va coter 2,3 milliards de dollars au pays, menacer 450 000 emplois et faire chuter le PIB dau moins 0,5 % , a rcemment dclar le ministre des Finances, Augustin Carstens.
En 2003, lpidmie de SRAS avait cot un point de PIB Tawan, Hong-Kong et Singapour. Mais la vigueur de lconomie mondiale avait permis ces pays de rebondir. La situation est diffrente aujourdhui. La grippe H1N1 ne fait quaggraver ltat dune conomie mexicaine dj mal en point cause de la crise financire internationale et du ralentissement de lactivit aux Etats-Unis.
Lconomie mexicaine est au bord du gouffre. Ces deux derniers mois, elle a perdu 25 % de ses rserves en devises. Certes, son budget est quilibr, mais ce nest quune question de semaines avant que son systme financier connaisse une crise majeure en ricochet de la situation internationale. Il faudrait crer 800 000 emplois pour absorber larrive des jeunes sur le march du travail. Or, des dizaines de milliers de postes sont supprims, notamment dans les PME qui travaillent pour lindustrie automobile amricaine. Le Mexique subit de plein fouet sa dpendance lgard des Etats-Unis , salarme lconomiste Carlos Marti, cit par Le Monde.
Il est bien connu que lorsque lconomie amricaine senrhume, celle du Mexique attrape une forte fivre , ajoute Jean-Jacques Kourliandsky, spcialiste de lAmrique latine et chercheur lIRIS (voir interview ci-aprs). De son ct, Augustin Carstens se veut rassurant : Cest vrai, nous sommes en rcession. Le PIB du Mexique devrait reculer de 4 % en 2009. Mais les finances publiques sont saines, linflation matrise et, depuis 2007, les investissements europens dpassent ceux des Etats-Unis. Les mois venir seront difficiles, mais nous sommes bien arms pour sortir vite de cette crise financire mondiale, dautant que nous nen sommes pas responsables.
Le Parti rvolutionnaire institutionnel (PRI) la formation de centre droit qui a dirig le Mexique sans interruption de 1929 2000 est accus davoir toujours dcourag la libre-entreprise et favoris la corruption. Ainsi, le secteur de lnergie reste contrl par lEtat. La production de ptrole a dclin de 10 % en 2008 alors que les cours mondiaux battaient des records.
Juan-Miguel Ulgade, le candidat du PRD dans le Chiapas, ressent linquitude des lecteurs : En ville, les habitants souffrent des hausses hebdomadaires du prix de lessence. En milieu rural, la chute des remesas, largent quenvoient les immigrs aux Etats-Unis, atteint des proportions inquitantes. Ils devraient diminuer de deux milliards deuros en 2009. Dj, la baisse du pouvoir dachat est palpable dans les campagnes. Les conomistes de Mexico nous disent que la pauvret diminue dans le pays depuis vingt ans. La ralit est que le Mexique est lune des rares nations faire partie des 15 premires conomies mondiales, mais dont 42 % des habitants vivent dans la misre.


La puissance des narcotrafiquants est-elle un thme de cette campagne lectorale ?

Cest un thme majeur, au vu de la hausse record de la criminalit. En 2008, la guerre entre gangs pour le contrle du trafic de drogue, mais aussi entre gangs et policiers, a fait 6 200 morts. Le 16 juin 2008, la Marine mexicaine a intercept un sous-marin qui faisait route vers les Etats-Unis avec six tonnes de cocane son bord ; cest dire les moyens des trafiquants. Fin mai 2009, dans le centre dAcapulco, un affrontement entre policiers et dealers lourdement arms a dur plus de cinq heures, faisant douze victimes. Pas un jour ne se passe sans quon retrouve, dans les grandes villes mais aussi les petites bourgades, les corps mutils de trafiquants de drogue. Parfois, les victimes sont trangres au crime organis, mais sont assassines par les narco pour dissuader les autres gens de parler. Lextrme violence est une particularit des narcotrafiquants mexicains, notamment des Zetas, ces anciens militaires, parfois dserteurs, rompus aux techniques de combat et souvent drogus.
Selon Jos Carreno, journaliste El Universal et auteur de plusieurs livres sur la question : Longtemps, les Mexicains nont t que les intermdiaires des cartels colombiens. Le pays servait de transit entre lAmrique du Sud et les Etats-Unis. Le scnario a chang. Laffaiblissement des cartels colombiens a fait du Mexique un lieu de production et la plaque tournante du trafic. Selon la DEA, lagence antidrogue amricaine, les gangs mexicains contrlent 90 % de la cocane et de la marijuana qui entrent aux Etats-Unis. La violence des gangs vise liminer les rivaux, mais aussi terroriser les citoyens et les lus locaux, donner limpression que le pays nest plus gouvern.
Paralllement, le kidnapping est devenu une vritable industrie. On en a compt 564 en 2006, 789 en 2008. Le sentiment dimpunit des criminels est fort car moins de 1 % des crimes font lobjet dun jugement au Mexique. La corruption de la police en est lune des causes. Ainsi, un gang de kidnappeurs, dmantel Mexico, ntait compos que de policiers. En aot 2008, la police judiciaire de la capitale a mme d tre dissoute pour une nouvelle force dinvestigation tant ses membres taient lis au crime organis.


Quelle est la raction des autorits face cette hausse de la criminalit ?

Elu en juillet 2006, le prsident Felipe Calderon a choisi la manire forte : 36 000 militaires ont t mobiliss contre le trafic de drogue, dont une majorit dans le triangle dor (provinces du Chihuahua, du Sinaloa et du Durango), toutes trois situes sur la route des Etats-Unis. En 2008, les rsultats taient au rendez-vous : 50 tonnes de cocane saisies, 450 pistes datterrissage clandestines dtruites, des milliers dhectares de pavot arrachs et 99 gros bonnets du trafic arrts. Et des pertes, pour les trafiquants, estimes sept milliards de dollars. Nous sommes en train de gagner la guerre contre les cartels. LEtat raffirme son autorit sur tout le territoire. Plus aucune rgion ne sera prisonnire des narcotrafiquants et du crime organis , dclare le ministre de lIntrieur Francisco Ramirez.
Une analyse que ne partage pas Andres Manuel Lopez Obrador (PRD), candidat malheureux la prsidentielle de 2006 : Oui, la rpression est ncessaire. Oui, les forces de lordre doivent avoir davantage de moyens. Mais la criminalit ne cesse daugmenter. Les cartels recrutent cause de la misre des campagnes, des ingalits criantes, de la dliquescence du tissu social. Tant que le chmage sera aussi lev, les salaires aussi faibles, les narcotrafiquants prospreront. Il faut sattaquer leurs intrts financiers, poursuivre les lus et les industriels qui entretiennent des relations avec eux, lutter contre la corruption. Lune des cls rside dans le dveloppement des campagnes et des petites villes. Mais rien de tout cela nest mis en uvre.
Quant au journaliste Jos Carreno, il renvoie dos dos les adversaires politiques : Personne ne gagne la guerre contre les trafiquants de drogue. Au mieux, on les affaiblit pour un temps, puis ils repartent de plus belle. Le mot trve nexiste pas dans leur vocabulaire.


Les narcotrafiquants ont-ils une influence sur la vie politique mexicaine ?

Candidat du PAN la mairie de San Pedro Garza, la banlieue chic de Monterrey, Mauricio Fernandez lavoue sans gne : Si le calme rgne ici, cest que nous avons conclu un pacte de non agression avec le crime organis. Le meilleur blindage dune ville, ce sont les narcotrafiquants. Nous les laissons faire leurs affaires. En change, ils ne menacent pas les habitants et ne commettent pas denlvements. Des propos choquants dans la bouche dun notable qui prtend diriger une ville, et en contradiction totale avec la politique du chef de lEtat, lui aussi membre du PAN.
Mais cela ne surprend pas Ismael Bojorquez, le directeur de lhebdomadaire Rio Doce, dans lEtat du Sinaloa : La grande criminalit pntre le tissu social. Cest une lpre qui ronge la socit mexicaine. Les narcotrafiquants taient auparavant des types chapeau qui descendaient de la sierra. Aujourdhui, ce sont des entrepreneurs col blanc, la tte de vritables armes. Leurs hommes de main sont des voyous, mais eux inscrivent leurs enfants dans les meilleurs coles et sont membres du Rotary.
A en croire Jos Carreno : Les narcotrafiquants nont pas encore gangrn lappareil dEtat, mais au niveau local ils tiennent tout le monde : les maires, les juges, les policiers Dans les villes, aucune force politique des Conservateurs aux Verts nchappe leur pression. Ils ont impos leur candidat la tte de plusieurs villes. Au Mexique, la mafia est comme leau qui infiltre tout, la classe politique, la police, larme, limmobilier, lEglise. Le sociologue Eduardo Buscaglia, expert en scurit auprs des Nations unies, voque, lui, une fodalisation du pouvoir. Le gouvernement mne de grands projets industriels, mais il a abandonn la politique sociale au niveau local. Les cartels se sont infiltrs dans la brche. Ils financent les campagnes lectorales, accordent des prts aux entreprises, aident les familles dans le malheur, construisent des dispensaires En change, ils exigent une obissance absolue.
Selon Carlos Monsivais : La mafia de la drogue reprsente le plus grave dfi que le Mexique, dmocratie encore fragile, ait eu affronter depuis un sicle. Et lcrivain dajouter : La dfaite du PRI llection prsidentielle de 2000, aprs soixante-et-onze ans de pouvoir sans partage, avait suscit un immense espoir. Mais en 2006, Felipe Calderon na t lu, face au PRD, quavec 0, 58 % davance. Il souffre donc dun dficit de lgitimit. Cela nempche pas aujourdhui la gauche de se dchirer et de navoir aucun projet prsenter. Lpidmie de grippe H1N1, la rcession conomique, la hausse de la criminalit, dcrdibilisent lensemble de la classe politique. Les Mexicains sont lasss et, le 5 juillet, le vainqueur des lgislatives pourrait bien tre labstention.

Jean Piel




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