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07/07/2009
Questions internationales (2)
Est-ce la fin du double-jeu pakistanais avec les tudiants en thologie ?


(MFI) Islamabad est rgulirement accus de maintenir des relations troites avec les talibans, via ses services secrets, tout en participant la lutte contre le terrorisme aux cts des Etats-Unis. Une ambivalence lie ses ambitions rgionales et des impratifs de politique intrieure. Nanmoins, lassaut lanc le 26 avril 2009 contre les talibans dans la valle de Swat tmoignerait, selon certains spcialistes, dune nouvelle stratgie des autorits pakistanaises, dtermines dsormais radiquer les extrmistes islamistes.


Le Pakistan est notre partenaire dans la guerre contre la terreur et a captur plusieurs dirigeants dAl-Qaeda. Mais il est aussi une source majeure du terrorisme international. Ce constat de John Negroponte, lancien directeur des services de renseignements amricains, rsume bien les doutes quant la politique dIslamabad lgard des talibans. Le pays est souvent accus de jouer double jeu : se dire proche des pays occidentaux dans la lutte contre le terrorisme, mais soutenir discrtement les rseaux fondamentalistes.

Un pays sous linfluence des partis religieux

Les prsidents qui se sont succd au pouvoir ces vingt dernires annes Islamabad ont tous dfendu un islam modr, une ouverture sur le monde, une conomie librale. Les Etats-Unis sont un alli traditionnel du Pakistan. Mais ces mmes dirigeants nignorent ni le fort sentiment anti-amricain de leurs concitoyens ni les intrts du pays au plan rgional. Do leur difficile jeu dquilibristes. Ainsi, le prcdent prsident, le gnral Pervez Musharraf, na jamais fait mystre de son mpris pour les intgristes islamistes. Sous son autorit, plusieurs organisateurs des attentats du 11-Septembre ont t arrts. Paralllement, pour des impratifs de politique intrieure, son gouvernement comptait des ministres issus du Muttahida Majlis-e Amal (MMA), une alliance de six partis religieux fondamentalistes dont le leader, Fazlur Rahman, dclarait : Nous soutenons le jihad partout dans le monde. Nous abreuvons lesprit des jeunes musulmans de haine pour les Amricains.
En septembre 2008, un ditorial du Post, un quotidien de Karachi, dnonait : On assiste une talibanisation du Pakistan. Pas un jour ne se passe sans que le fanatisme ne se fasse ressentir, que ce soit la lapidation dune femme non voile ou un imam qui dcrte la vaccination anti-islamique. En cdant aux exigences des fondamentalistes qui ont pris la nation en otage de leurs lubies, le gouvernement devient complice de leurs actes. Il est vrai qu plusieurs reprises, les gouvernements sous la pression de partis religieux ont fait marche arrire sur des projets de lois, notamment celui modernisant lenseignement dans les coles coraniques ou contrlant la construction des mosques.


Le rle ambigu des services secrets

Au cur du problme se trouve lInterservices Intelligence (ISI), les services secrets pakistanais, qui constituent un Etat dans lEtat dans un pays o larme a t au pouvoir la moiti de ses soixante ans dexistence. LISI a souvent instrumentalis les mouvements fondamentalistes : au Cachemire, o Islamabad arme et finance la gurilla qui lutte au nom de lislam contre lInde. En Afghanistan, aussi, o lISI a soutenu et mme cr, disent certains , ds 1996, les talibans dans lespoir davoir en Kaboul un voisin dvou. Mais comme le souligne Amir Rana, directrice du Pakistan Institute for Peace Studies : Il est difficile de ne faire de lislamisme quun produit dexportation, surtout dans un pays o lislam est religion dEtat, les ingalits sociales criantes, lconomie en mauvaise sant, les lus souponns de corruption.
Aprs les attentats du 11-Septembre et la chute du rgime taliban Kaboul, lISI affirmait avoir rompu toute relation avec les tudiants en thologie . Une affirmation qui a toujours laiss dubitatif les observateurs. Les zones tribales pachtounes, ct pakistanais, ont toujours servi de sanctuaires aux talibans et aux membres dAl-Qaeda. Le mollah Omar y rside probablement, de mme quOussama Ben Laden. Dans les grandes villes comme Quetta ou Peshawar, les talibans ne se cachent pas. Les coles coraniques enseignent un islam sectaire et guerrier ; les mouvements fondamentalistes recrutent des jeunes combattants. Tout cela au vu et su des autorits , explique, dans The Washington Post, Kurshid Ahmad, professeur de Relations internationales luniversit dIslamabad.
Ces derniers mois, les services de renseignements amricains se sont inquits de la reprise de contacts troits entre lISI et les talibans, au moment o ces derniers se renforcent en Afghanistan. La CIA souponne mme lISI davoir particip lattentat contre lambassade dInde Kaboul, le 7 juillet 2008. Des accusations dmenties par Islamabad. Mais lancien chef dtat-major pakistanais, Assad Durani, sinterroge dans le quotidien Dawn : Qui contrle lISI ? Larme pakistanaise est discipline, mais le gouvernement civil a-t-il un rel pouvoir sur ses services secrets ?


La prise de conscience des dirigeants pakistanais

Depuis le 26 avril, loffensive mene par larme contre les talibans dans la valle de Swat prouve pour certains quIslamabad est dsormais dcid combattre les intgristes islamistes. Fini le double jeu. Cest du moins lanalyse dAhmed Rashid, considr comme le meilleur spcialiste du mouvement taliban. Comme il le confie LExpress : Longtemps, les officiers pakistanais ont estim que mener des oprations dans les zones tribales pachtounes et les fiefs talibans ne servait qu rpondre au dsir des Amricains. Do une faible motivation. Aujourdhui, ils ont compris que mener de telles oprations vise avant tout protger le Pakistan. Les dirigeants pakistanais, civils et militaires, sont enfin conscients de la menace que reprsentent les tudiants en thologie. Dans un pays de 160 millions dhabitants qui possde larme atomique, on ne peut pas les laisser diriger par la terreur des districts situs 100 kilomtres de la capitale. Et Ahmed Rashid dajouter : Pour la premire fois, il y a un consensus entre tous les partis politiques en faveur de cette offensive dans la valle de Swat. Tous veulent que larme nettoie le terrain, pas seulement dans la valle de Swat, mais aussi dans les zones tribales pachtounes, le long de la frontire afghane. Lopinion publique pakistanaise aussi a volu ; elle est lasse des exactions des talibans. Elle dteste peut-tre les Etats-Unis, mais elle dteste encore plus les islamistes.

Bons et mauvais talibans

Mais cet optimisme nest pas partag par tout le monde. A en croire Kurshid Ahmad : Les responsables politiques et militaires continuent de parler des talibans modrs. Comme si les deux termes taient compatibles. Ils continuent distinguer les bons talibans ceux qui mnent des attaques en Afghanistan contre les troupes de lOtan ou au Cachemire contre larme indienne des mauvais talibans qui commettent des attentats sur le sol pakistanais et sen prennent notre arme. On peut discuter avec les premiers, pas avec les seconds. Cette distinction est illusoire car ce sont les mmes. Tant que les dirigeants pakistanais tiendront ce discours, les talibans prospreront dans le pays.
De son ct, Amir Rana estime que lInde demeure la principale menace aux yeux des responsables pakistanais. Ils nont aucune raison de se priver de jihadistes pour se battre au Cachemire . Lavenir dira laquelle de ces deux analyses est la plus juste. Un avenir peut-tre trs proche. En effet, selon le prsident pakistanais, Asif Ali Zardari : Il faut dfinir une stratgie durgence face aux talibans. Le monde est en train de perdre la guerre contre les mouvements islamistes.


Jean Piel




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