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07/07/2009 | |||
Questions internationales : Dans la valle de Swat, trois millions de civils contraints lexil (1) Pakistan : La lutte contre les talibans provoque un exode intrieur massif | |||
(MFI) Depuis trois mois, le gouvernement pakistanais intensifie sa lutte contre les talibans, en particulier dans la valle de Swat o les tudiants en thologie faisaient rgner la terreur. Des combats qui ont contraint trois millions de personnes lexil, dplaces dans des campements de fortune aux conditions extrmement prcaires. Islamabad a du mal grer ce mouvement de population le plus vaste depuis la cration du pays en 1947 , mais semble dtermin poursuivre sur la mme voie. | |||
Dans quelles conditions vivent les rfugis qui ont fui la valle de Swat ? Tentes frappes du sigle de lOnu alignes au cordeau, toilettes chimiques, arrives deau et mme une cole : le camp de Jalala est un modle du genre. Presque plus confortable que les villages do viennent les rfugis , ironise Sarwat Ali, un habitant de Mardan, la ville voisine. Le problme est que Jalala constitue une exception rserve quelques milliers de chanceux. Sinon, limmense majorit des dplacs qui ont fui le diktat implacable des talibans, puis les combats sans merci qui ont oppos les tudiants en thologie larme pakistanaise depuis avril 2009, vit dans des conditions trs prcaires : 300 000 se sont installs dans des camps de fortune grs par les autorits locales et 2,5 millions l o ils ont pu : coles dsaffectes, bergeries labandon, voire tentes plantes dans des terrains vagues ou le long des routes. De Peshawar, la grande ville proche de la frontire afghane, Islamabad, la capitale, ces rfugis de lintrieur sont partout. On estime donc prs de trois millions le nombre de ceux qui ont fui la valle de Swat, autrefois paradis des touristes et des alpinistes en qute de sommets himalayens et aujourdhui poudrire contrle tour tour mais toujours avec la mme violence par les talibans puis par larme pakistanaise. Le Pays des purs le surnom du Pakistan se trouve ainsi confront la plus grave crise de dplacs depuis sa cration, et sa sparation davec lInde en 1947. Malgr la terreur que faisaient rgner les talibans, jtais rest dans mon quartier. Mais lorsque larme a attaqu pour reprendre le contrle du terrain, je me suis enfui avec juste une valise la main , tmoigne, dans Le Monde, Mohammed Akram, un maon de quarante-deux ans. Nous avons abandonn tous nos biens, et sommes monts dans des taxis collectifs sans savoir o nous allions , confirme, dans LExpress, un jeune pre de famille. Rahimullah Yousoufzai, le correspondant de The News Peshawar, se montre trs critique envers les autorits : Le gouvernement na pas anticip lampleur des dplacements que provoquerait la reprise des combats dans le Swat, le 26 avril dernier. Il nglige totalement son devoir daide aux rfugis. Mme diagnostic du ct des Ong. Le Comit international de la Croix-Rouge voque une situation extrmement proccupante , regrettant les difficults venir en aide aux rfugis. Dans The New York Times, Brad Adams, directeur pour lAsie de Human Rights Watch, nhsite pas pour sa part parler de catastrophe humanitaire . Et de prciser : Quils naient pas pu fuir la valle de Swat ou quils soient installs dans des abris de fortune, des millions de gens se retrouvent pigs sans eau, sans nourriture, sans sanitaire, sans mdicaments. Nous ne pouvons pas intervenir dans la zone des combats, et lextrieur les rfugis sont trop disperss pour permettre une action efficace. En outre, les autorits locales nous mettent des btons dans les roues. Elles naiment pas les tmoins de ce qui constitue aujourdhui un vritable chaos humanitaire. Toutefois, le gouvernement pakistanais nentend pas tre seul au banc des accuss. Il a rclam 543 millions de dollars pour faire face cette crise. Pour linstant, la communaut internationale lui en a octroys moins du quart. Le plus grand dplacement forc de populations de ces dernires dcennies en Asie du Sud nmeut gure en dehors des frontires. Comment expliquer prcisment cet exode intrieur ? Situe dans le nord-ouest du Pakistan, dans la province de Malakand, la valle de Swat du nom de la rivire qui la traverse est la premire rgion pakistanaise contrle par les talibans locaux, lexception des zones tribales pachtounes situes le long de la frontire afghane. Une sorte de laboratoire des talibans pakistanais, incarns par un mouvement fondamentaliste trs violent : le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Cest en 2006 que les tudiants en thologie prennent pied dans la valle de Swat. A lpoque, un jeune imam, le mollah Fazlullah, lance des appels au jihad depuis son cole coranique de Mingora, le chef-lieu du district. Lhomme est un pitre orateur, peu charismatique, mais dans cette rgion rurale conservatrice, il sait sappuyer sur les traditions et dnonce la prsence amricaine en Afghanistan. Il critique aussi les abus des propritaires terriens contre les petits paysans et la corruption de lEtat. Son discours rencontre un cho croissant. Pour se faire entendre, il cre une radio clandestine, do son surnom de Mollah Radio. Epaul par des groupes extrmistes actifs au Cachemire et par les milices du TTP, le mouvement du mollah Fazlullah sempare du pouvoir dans la valle. Cela dautant plus facilement quen face, larme rgulire ne ragit gure. Ce fut alors le dbut dune vritable campagne de terreur. Les talibans nous ont interdit dcouter de la musique, les enfants navaient plus le droit de jouer avec leurs cerfs-volants. Les hommes qui ne portaient pas la barbe taient frapps. Ceux qui rsistaient ont t pendus ou dcapits. Lors des combats contre larme, les femmes et les enfants servaient de boucliers humains. Plus de 200 coles de filles ont t incendies , tmoigne, dans Le Monde, Mohammed Akram, un maon de Mingora. Nous allons appliquer la stricte loi islamique dans la valle de Swat, puis dans tout le Pakistan , confirmait alors Baitullah Mehsud, le chef du TTP. Face cette situation, les autorits pakistanaises ont tergivers, lanant quelques offensives, puis concluant un accord avec les talibans, avant de lancer un assaut denvergure le 26 avril dernier. Depuis, les combats se poursuivent, trs violents. Les talibans ont aussi perptr plusieurs attentats dans dautres rgions, notamment Lahore et Peshawar, en rplique cette offensive militaire dans le Swat. Une offensive militaire qui a entran en quelques jours lexode de 700 000 habitants. Avec les talibans, ctait lenfer. Mais larme est tout aussi violente. Elle a incendi de nombreuses maisons, pill des villages, excut des hommes quelle souponnait tort dappartenir au TTP. Les talibans au moins ne sattaquaient pas aux pauvres , sinsurge, dans Libration, un fermier dun hameau isol. Assiste-t-on un changement de stratgie des autorits pakistanaises face aux talibans ? Tout semble lindiquer. Dans un premier temps, lorsque les talibans simposent dans la valle de Swat, le gouvernement ne sait pas comment ragir. La situation politique, il est vrai, est instable Islamabad. Le gnral Pervez Musharraf, alors chef de lEtat, est de plus en plus critiqu. Benazir Bhutto fait un retour triomphal au pays avant dtre victime dun attentat en dcembre 2007, probablement organis par Baitullah Mehsud, le chef du TTP. Les lections lgislatives de fvrier 2008 voient la victoire de lopposition, et Pervez Musharraf est contraint la dmission en aot de la mme anne. Paralllement, les Etats-Unis, trs influents au Pakistan, nont pas encore lu Barack Obama, et George Bush sintresse surtout la situation en Irak. A trois reprises, larme pakistanaise lancera des offensives contre les talibans (en 2007 et en 2008), mais sans grande conviction. Va alors simposer lide quil vaut mieux ngocier avec les tudiants en thologie . Cela dautant que lattentat contre lhtel Marriot dIslamabad qui a fait plus de 50 morts en septembre 2008 marque les esprits, la capitale pakistanaise tant rpute sre jusque-l. Le 16 fvrier 2009, les autorits pakistanaises concluent donc un accord avec les talibans de la valle de Swat au terme duquel ces derniers sengagent cesser leurs attentats et leurs attaques, en change de quoi ils peuvent appliquer la charia dans toute la rgion du Malakand. Le gouvernement a offert une province aux talibans en esprant quils ne chercheraient pas tendre leur influence ailleurs. Ctait abandonner les habitants de Swat pour garantir la stabilit du reste du pays. Cet accord a donn limpression que les talibans taient les plus forts, que le gouvernement ntait pas capable de contrler lensemble du territoire et devait composer avec eux , explique Zaffar Abbas, journaliste au Herald, un hebdomadaire de Karachi. Les capitales occidentales sont indignes. Washington dnonce une capitulation . Mais rapidement, les talibans violent cet accord. Ils prennent le contrle par la force des districts de Buner et Lower Dir, et y font rgner la terreur comme dans la valle de Swat. Concrtement, cela signifiait que les talibans ntaient plus qu 100 kilomtres dIslamabad. Une situation beaucoup trop dangereuse pour le gouvernement, qui sest en outre senti trahi , commente Zaffar Abbas. Dans le mme temps, Washington, la priorit nest plus lIrak, mais bien lAf-Pak , comme on appelle le dossier afgho-pakistanais la Maison-Blanche. Le 26 avril, larme pakistanaise lance une offensive sans prcdent contre les talibans. Afin de restaurer lhonneur de notre pays et afin de protger la population, nous avons demand aux forces armes dliminer les combattants islamistes et les terroristes , dclare dun ton martial le Premier ministre Youssouf Raza Gilani. Cette offensive militaire, qui se poursuit encore aujourdhui, a dj enregistr un certain succs. Les talibans ont d se retirer dans les montagnes. Les troupes ont repris le contrle de Mingora. Ct talibans, les pertes ne sont pas connues avec certitude, mais on parle dau moins 300 morts. La prise de Mingora prouve que larme est, cette fois-ci, srieuse dans ses combats contre les talibans. Ltat-major semble dcid ne pas sarrter l et poursuivre loffensive dans les districts voisins et mme dans les zones tribales pachtounes. Le temps de la reconqute a sonn. La difficult est que les talibans connaissent mieux les montagnes que les soldats de larme rgulire, et ils bnficient du soutien des chefs locaux. Cette arme a t entrane pour se battre contre lInde, pas pour mener des oprations antigurillas , analyse, dans LExpress, Amir Rana, la directrice du Pakistan Institute for Peace Studies. Une victoire militaire suffira-t-elle freiner linfluence des talibans au Pakistan ? Cest peu probable. Dans les provinces proches de la frontire afghane, au Waziristan en particulier, la socit est reste trs conservatrice et les islamistes sont en terrain conquis. Al-Qaeda recrute facilement des combattants dans ces plaines et ces montagnes arides, l o les chefs locaux ont tout pouvoir sur leur village. Nanmoins, aux lections lgislatives de fvrier 2008, les partis religieux ont perdu des siges. Mme Peshawar et Quetta, villes considres comme des fiefs fondamentalistes, les habitants ont exprim leur ras-le-bol du diktat des talibans et de leurs allis. La situation nest pas aussi homogne quon le dcrit souvent. Mme sils sont conservateurs et religieux, les chefs pachtounes napprouvent pas tous les mthodes brutales des talibans. Ils napprouvent pas leurs liens avec des combattants trangers. On peut tre musulman, ne pas aimer les Amricains, mais ne pas aimer non plus les talibans. En outre, le Pakistan ne se rsume pas aux zones tribales , souligne Amir Rana. Une analyse partage par Zaffar Abbas : Le Pakistan na rien voir avec lAfghanistan. La socit est plus moderne, plus ouverte sur le monde. Dans les grandes villes, mais aussi dans des bourgs modestes, il existe une classe moyenne qui ne souhaite pas voir le pays tomber aux mains des talibans. Si loffensive militaire dans la valle de Swat enregistre un certain succs, cest aussi parce que, pour la premire fois, elle est approuve par lensemble de la classe politique. Le Pakistan cesserait-il de jouer double-jeu lgard des talibans, comme on len a souvent accus ? Certains le pensent, dautres en doutent encore (voir article ci-aprs). Les autorits pakistanaises cherchent aussi lappui de chefs religieux conservateurs, respects dans leur rgion, mais hostiles aux talibans. Une politique difficile mettre en uvre ; plusieurs chefs religieux lont dj pay de leur vie. En outre, les renversements dalliance sont frquents dans la rgion, et peu nombreux sont ceux qui osent sopposer Baitullah Mehsud, le chef du TTP, prsent comme la racine du mal par Islamabad. Au demeurant, plus les soldats sloignent de la valle de Swat pour se rapprocher des zones pachtounes, comme le Waziristan, plus leurs oprations se heurtent une forte rsistance. La faon dont les rfugis de la valle de Swat seront pris en charge par les autorits sera aussi dterminante pour lavenir de la province. Sils se sentent aids, accueillis, soigns l o ils se trouvent aujourdhui, alors ils manifesteront leur opposition aux talibans de retour chez eux. Par contre, sils se sentent abandonns, rejets, alors les islamistes bnficieront dun regain de sympathie , avertit Amir Rana. Les organisations fondamentalistes lont bien compris. A ct dOng comme la Croix-Rouge ou Human Rights Watch, de nombreuses associations humanitaires proches des islamistes, linstar de Al-Rashid Trust, interviennent dans les camps de rfugis de la valle de Swat. Jean Piel | |||
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