Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

14/07/2009
Questions internationales :(2) Isabelle Sourbs-Verger : Laventure spatiale est un facteur de fiert, mais aussi de modernit

(MFI) Isabelle Sourbs-Verger est gographe et chercheuse au CNRS. Elle a publi plusieurs livres sur les enjeux de la conqute spatiale, dont Lespace, nouveaux territoires (d. Belin). De son point de vue, si le domaine spatial a une dimension politique et gostratgique, cest aussi un formidable moteur pour le dveloppement conomique dun pays.

MFI : La conqute spatiale est-elle lapanage dun petit club de pays riches ?

Isabelle Sourbs-Verger : Dun nombre restreint de pays, certainement, une dizaine tout au plus, mais pas exclusivement de pays riches et occidentaux. Ainsi, parmi les puissances spatiales, on compte lInde et lIran. Il faut bien comprendre que lide de conqute spatiale a beaucoup chang. On tait auparavant dans un contexte de guerre froide et de dcouverte totale en matire spatiale. Chaque innovation reprsentait un progrs norme. Aujourdhui, la guerre froide est termine et les avances technologiques sont fondamentales. Sur un plan scientifique, on sait beaucoup de choses sur lespace ; parler de conqute est excessif.
Pour un pays en dveloppement, tre prsent dans le domaine spatial est avant tout une preuve de matrise des technologies, de modernit, de richesse en termes de matire grise, de dynamisme aussi. Cest donc positif. Au-del de laspect technique, et mme si le domaine spatial sest banalis, la symbolique reste forte. Appartenir au club des puissances spatiales est une source de fiert nationale et un moyen de valoriser le pays ltranger, de rappeler ses partenaires mais aussi ses adversaires quil dispose dun savoir-faire et quon ne peut donc pas le ngliger.
Certains Etats nont pas les moyens de fabriquer un satellite et encore moins de le placer en orbite. Nanmoins, ils possdent un satellite, dobservation mto par exemple, acquis et lanc ltranger. Le seul fait de possder un tel satellite est une source de fiert immense pour un pays en dveloppement. Le jour de son lancement, la presse est enthousiaste, on voit parfois des dfils dans les rues. Les dirigeants affirment que leur pays a rejoint le club des puissances spatiales. Cest largement abusif, mais cela prouve nanmoins que le pays en question dispose dingnieurs et de moyens techniques capables de grer le satellite et les informations quil envoie. Cest dj trs important. Dans cette catgorie, on peut citer par exemple lAlgrie ou lEgypte.


MFI : Quelles conditions un pays doit-il satisfaire pour se lancer dans laventure spatiale ?

I. S.-V. : Le premier impratif est la volont politique. Le gouvernement doit tre dtermin investir du temps et de largent dans un projet qui est ncessairement long terme. On ne fait pas des coups dans le domaine spatial, mais on mne une politique sur la dure. Cela suppose un pays stable politiquement et un gouvernement dcid dvelopper son potentiel technologique, indpendamment de ses ambitions politiques et militaires. L encore, la part symbolique est forte. En lanant un programme spatial, les autorits adressent leurs concitoyens un message de grandeur, de force, de modernit. Cest un facteur dunit nationale. Cest donc trs politique, en particulier dans un pays en dveloppement.
De semblables ambitions dans le domaine spatial ne sont pas reues de la mme faon par la communaut internationale. LInde ou la Core du Sud, pays dmocratiques, inquitent peu lorsquelles envoient elles-mmes un satellite dans lespace. Alors que lIran va immdiatement tre souponn darrire-pense militaire. Cest peut-tre vrai, mais le programme spatial amricain rpond aussi des ambitions militaires, et le programme iranien vise galement, outre sa dimension stratgique, dvelopper une industrie et un savoir-faire.
Une fois la dcision politique prise, lautre condition pour se lancer dans un programme spatial est le choix de partenaires. On ne travaille plus seul dans ce domaine. Ainsi, fin juillet, la Core du Sud va, pour la premire fois, lancer un satellite depuis son territoire ; ce sera un vnement majeur pour le pays. Mais pour concevoir son lanceur, Soul a nou un partenariat avec la Russie. Cette condition rvle dailleurs un paradoxe. La comptence spatiale impose une coopration internationale, mais elle est en mme temps un facteur de fiert nationaliste et sintgre dans des ambitions strictement nationales.
La troisime condition imprative est une tradition scientifique et des comptences techniques. Un programme spatial suppose des budgets levs en recherche et dveloppement. Il suppose aussi des infrastructures industrielles, notamment pour fabriquer les matriaux. Il suppose enfin des scientifiques de haut niveau. Encore une fois, dvelopper un programme spatial tmoigne du savoir-faire dun pays. Inonder le march mondial de jouets et de t-shirts est une chose ; fabriquer des fuses en est une autre. Le message que vous envoyez au monde nest pas du tout le mme. Certes, des pays ont prouv leur comptence dans les biotechnologies ou la gntique. Mais lindustrie spatiale revt une dimension autre.



MFI : A quoi sert, pour un pays dont la moiti de la population vit sous le seuil de pauvret, de consacrer des fortunes un programme spatial ?

I. S.-V. : Comme on la vu, les ambitions nationales, militaires, de puissance rgionale existent. Mais il ne faut pas rduire laventure spatiale des ides qui ont parfois une connotation ngative. Ainsi, dans le cas de lInde ou de la Chine, cela correspond un besoin rel. Dans des pays aussi grands, les satellites permettent dtablir des rseaux tlphoniques bien plus facilement que par voie terrestre ; ils apportent une aide aux agriculteurs en matire de prvision mto, danalyse des sols ; ils favorisent le tl-enseignement dans les districts isols, au point que lISRO, lagence spatiale indienne, a conu ses propres programmes ducatifs. Vue la superficie de ces pays, un satellite cote moins cher et est plus vite oprationnel que des infrastructures terrestres.
Si un programme spatial a un cot, il est aussi source de revenus. Ainsi, lInde et la Chine ont lanc plusieurs reprises des satellites pour le compte dautres pays. Cest un march qui se chiffre en milliards de dollars. Il ne faut pas ngliger non plus leffet dentranement qua un programme spatial sur toute lconomie. Cela encourage la recherche qui pourra tre utile dautres filires ; cela impose la mise au point de logiciels que lon pourra commercialiser ; cela augmente le niveau dexigence dans lindustrie. Cest donc une source de motivation, un moteur pour dautres secteurs industriels et tertiaires, qui tire toute lconomie vers le haut. Le domaine spatial nest pas uniquement une niche litiste.
Enfin, on ne peut pas ngliger ce facteur psychologique et politique quest la fiert quapporte toute une nation le fait dtre membre du club spatial. Un pays peut tre pauvre, en proie des difficults, isol sur la scne internationale comme lest lIran, mais au moins il affiche des ambitions, une force, une modernit. Cela compte aussi pour les habitants.


MFI : Le nombre de pays en dveloppement investis dans laventure spatiale reste limit

I. S.-V. : Cest vrai. Cela suppose avoir dj franchi les premires tapes du dveloppement conomique, ou alors dfendre des positions gostratgiques, comme la Core du Nord. Sinon, les pays concerns sont la Chine, lInde, lIran, la Core, le Brsil dans une moindre mesure. Le Kazakhstan et le Vietnam affichent aussi des ambitions. LIrak en avait une poque. LUkraine est un cas part puisque cest une ancienne rpublique sovitique.
LAfrique est certainement le grand absent de cette comptition. La plupart des pays ne remplissent pas les conditions que jvoquais prcdemment : une stabilit politique, une volont gouvernementale long terme, la possibilit dinvestir des sommes importantes dans la recherche et le dveloppement industriel, une main duvre qualifie.
Mais lAmrique latine, dont les pays sont gnralement plus riches que les Etats africains, est peu prsente aussi dans le domaine spatial. Un temps, le Brsil esprait dvelopper une filire lanceur et satellite. Mais dans les annes 60 et 70, lopposition des Etats-Unis la priv de coopration internationale et la oblig travailler seul, donc beaucoup plus lentement. En 2003, lexplosion au dcollage de son premier lanceur a mis un coup de frein son programme spatial. Aujourdhui, celui-ci nest pas enterr, mais clairement ce nest plus une priorit pour les autorits brsiliennes. Pourtant, la taille du pays, les enjeux environnementaux en Amazonie, limportance du secteur agricole, font que Brasilia aurait le mme intrt que lInde ou la Chine fabriquer des satellites. Il existe un projet spatial commun lensemble des Etats latino-amricains, linstar de lAgence spatiale europenne. Mais on nen est quaux prmices. Il faudra attendre encore plusieurs dcennies avant que lAmrique du Sud ne simpose comme un acteur majeur en matire spatiale.

Propos recueillis par Jean Piel




retour