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14/07/2009
Questions internationales : il y a quarante ans, le premier pas dun homme sur la Lune
(1) Conqute spatiale : les pays en dveloppement aussi


(MFI) Ce 21 juillet marquera le 40 anniversaire du premier pas dun homme sur la Lune. Loccasion de retracer lhistoire dune aventure spatiale que les pays en dveloppement Inde et Chine en tte ont aussi contribu crire. La conqute de lespace est un moyen pour un pays dentretenir la fibre nationaliste et dafficher une image de dynamisme et de modernit sur la scne internationale. Cest aussi un moyen de favoriser le dveloppement conomique, et non pas uniquement dasseoir des ambitions militaires comme on le craint souvent. Le club des puissances spatiales reste limit une dizaine de membres , mais il tend sagrandir.

La participation de pays en dveloppement la conqute de lespace est-elle rcente ?

Cest un petit pas pour lhomme, mais un bond de gant pour lhumanit. Cette phrase de lastronaute amricain Neil Armstrong, premier homme marcher sur la Lune le 21 juillet 1969, est reste clbre. Huit ans auparavant, le Russe Youri Gagarine avait t le premier effectuer un vol habit en orbite. En pleine guerre froide, lespace est alors lun des terrains daffrontement entre les Etats-Unis et lURSS. Chacun des deux pays entend prouver au monde sa supriorit et celle du systme quil incarne.
La lutte entre les deux super-puissances nempche pas que, dans les annes soixante dj, plusieurs pays en dveloppement sintressent laventure spatiale. Cest le cas de lInde qui, ds 1963, envoie une fuse sonde dans lespace. Sous la houlette de lIndian Space Research Organisation (ISRO), le pays se lance dans la conception de satellites, sappuyant sur une tradition scientifique et des ingnieurs de premier plan. En 1975, le premier satellite 100% indien Aryabhata, du nom du grand astronome indien n en 476 est plac sur orbite. Une trentaine dautres suivront. Soucieuse dindpendance, lInde met au point paralllement son propre lanceur dont le premier modle sera oprationnel en 1980.
Si les Etats-Unis et lURSS saffrontent pour la conqute de lespace, lInde, elle, a pour adversaire la Chine. LEmpire du milieu aura toujours quelques annes davance sur son rival indien. Pkin conoit sa premire fuse sonde en 1960, assemble son premier satellite en 1966 et surtout rejoint le club trs ferm des pays lanceurs dengins en avril 1970 grce la fuse Feng Bao (la tempte, en mandarin).
Dans le mme temps, loin de lAsie, le Brsil cre en 1960 sa Commission nationale sur les activits spatiales, alors contrle par larme. Si le gant sud-amricain est le seul pays de la rgion dvelopper un programme de satellites et de lanceurs, ses travaux ne seront jamais la hauteur de ses esprances.
Dernier pays en dveloppement se lancer trs tt dans laventure spatiale : lIran. Ds 1959, Thran rejoint le Comit des Nations unies pour lutilisation pacifique de lespace. Le pays est alors dirig par le Chah et, en 1972, les Etats-Unis lancent pour lui le satellite Landsat-1, destin lobservation terrestre et mto. Certes, lengin na pas t conu en Iran, mais les informations quil envoie sont analyses la station de Mahdasht, preuve du savoir-faire des ingnieurs iraniens. La rvolution islamique de 1979 ralentira ce programme spatial. Mais il prendra un nouvel essor partir de 1998.



O en sont aujourdhui les programmes spatiaux des pays en dveloppement ?

Cheveux en brosse et carrure dathlte, Zhai Zhigang est un hros en Chine. Ce colonel de larme de lAir est en effet le premier takonaute avoir effectu une sortie dans lespace. Ctait le 27 septembre 2008, et Pkin a ainsi confirm son statut de grande puissance spatiale. Cette image dun homme agitant dans le cosmos le drapeau chinois rouge aux toiles jaunes illustre les ambitions de lEmpire du milieu. Depuis son premier lancement russi en 1970, Pkin na eu de cesse damliorer ses fuses qui, toutes, sappellent Longue Marche. La dernire en date, longue de 62 mtres, peut placer des satellites de 8 tonnes sur une orbite 500 km. Paralllement, les ingnieurs chinois ont conu des satellites de plus en plus performants, ainsi que des capsules spatiales qui toutes sappellent Shenzou, vaisseau divin en mandarin dont le modle Shenzou 5 a emmen trois hommes dans lespace ds 2003. Pour le rgime communiste, la prochaine tape est lexploration de la Lune par des robots et la cration dune station orbitale, concurrente de la station spatiale internationale ISS. Baptis Change, du nom de la desse de la Lune dans la mythologie chinoise, ce programme tmoigne du regain dintrt pour lexploration des plantes. Notre pays matrise les technologies les plus avances dans ce domaine et nous poursuivons encore nos recherches , dclarait Sun Laiyan, le directeur de lAgence spatiale chinoise. Impressionnant quand on sait que, dans les annes 1950, Mao se lamentait : Comment pourrions-nous tre considrs comme une grande puissance ? Nous ne sommes mme pas capables denvoyer une pomme de terre dans lespace.
De lautre ct de lHimalaya, lInde poursuit avec succs son aventure spatiale. Le 22 octobre 2008, elle a lanc son premier vaisseau (inhabit) vers la Lune depuis la base de Sriharikota, dans le sud du pays. Chandrayan-1 tournera deux ans autour de la Lune afin deffectuer des tudes chimiques, topographiques et minrales de lastre lunaire. Delhi a annonc vouloir effectuer une soixantaine de vols vers Mars et la Lune dici 2013. Le premier vol habit pourrait avoir lieu en 2020. Laboutissement dun programme qui a vu le pays synonyme pour beaucoup de misre, de fakir, denfants au travail et de castes concevoir ses propres satellites, ses propres fuses et mme placer en orbite avec ses lanceurs des satellites trangers, simposant ainsi comme un concurrent des Etats-Unis, de la Russie et de lEurope.


Quen est-il des autres pays en dveloppement ?

LInde et la Chine sont aujourdhui des puissances conomiques en devenir. Elles ont nanmoins inaugur leur programme spatial une poque o elles taient pauvres.
Dautres nations participent laventure. Le Vietnam, le Kazakhstan, les Philippines, lAlgrie, lEgypte, la Thalande, lAfrique du Sud, la Turquie possdent leur propre satellite, le plus souvent de tlcommunication ou de prvision mto. Des satellites que ces pays nont pas conus eux-mmes et encore moins placs sur orbite. Mais en croire Ken Murray, du magazine amricain Space News : Possder un satellite est le premier pas vers la conqute de lespace. Certains pays sen contentent ; dautres comme le Vietnam, le Kazakhstan ou la Turquie affichent leur volont de fabriquer leur propre engin. Possder un satellite signifie avoir une station terrestre de rception des donnes, donc des infrastructures et des ingnieurs comptents. Cela tmoigne aussi dune volont politique dtre prsent dans ce secteur. Ltape suivante la fabrication indpendante dun satellite est difficile car elle exige des technologies de pointe, des ingnieurs de haut niveau et des budgets levs. Mais elle est possible, surtout notre poque o la coopration internationale est la rgle en matire spatiale.
Le Brsil est plus avanc dans lindustrie spatiale. Depuis les annes 90, le gant sud-amricain investit en moyenne 62 millions de dollars par an dans ce secteur et fabrique ses propres satellites. Il a galement conu un lanceur, le VLS-2. Mais lors de son premier essai, en aot 2003, celui-ci a explos au dcollage, tuant 21 personnes sur la base dAlcantara. Le prsident Lula a immdiatement dclar que le programme spatial brsilien se poursuivra ; nous sommes dtermins nous doter dune technologie spatiale . En effet, le 23 octobre 2004, la fuse VSB-30, fabrique et lance au Brsil, a russi son vol sub-orbital. Les observateurs estiment nanmoins que, sans avoir t abandonne, la conqute de lespace ne figure plus parmi les priorits de Brasilia.
Outre lInde et la Chine, lautre pays en dveloppement en pointe en matire spatiale est lIran. Le 4 fvrier 2009, le lancement dun satellite iranien par une fuse iranienne a fait de Thran le dixime pays au monde (et le premier pays musulman) capable de lancer ses propres vaisseaux. Si les capitales occidentales, Washington en tte, se sont inquites de possibles consquences militaires, ce lancement russi ne doit pas masquer le fait que lIran a ainsi prouv un savoir-faire technique certain dans un secteur de pointe. Inaugur dans les annes 60, le programme spatial iranien avait connu un coup de frein aprs la rvolution islamique de 1979 avant de redmarer en 1998 suite un accord de coopration avec Moscou et Pkin. Les spcialistes sont impressionns par la rapidit avec laquelle un pays en proie de srieuses difficults conomiques et isol sur la scne internationale a russi mettre au point ce lanceur baptis Safir.


A quels besoins correspondent de tels programmes spatiaux pour un pays en dveloppement ?

Nous ne trouvons pas de crdits pour aider les plus dmunis, la moiti des villages de ce pays nont pas llectricit et 300 millions de personnes vivent avec moins dun dollar par jour. Mais le gouvernement investit 80 millions de dollars dans son programme de navette spatiale vers la Lune , dnonce dans le magazine India Today, Suresh Nanda, lun des animateurs de lassociation Butterfly, qui vient en aide aux enfants des rues de Delhi. Une rcrimination qui nest cependant pas frquente dans le sous-continent. Ainsi, aucun gouvernement indien, depuis plus de quarante ans, na diminu les crdits allous la recherche spatiale. Car ce secteur est aussi une source de fiert nationale et contribue au dveloppement conomique. Comme lexplique Gopal Roaj, auteur de Histoire du programme spatial indien : On peut sinterroger sur lutilit de voir des sommes normes investies dans un engin lunaire. La logique de la conqute spatiale est daller toujours plus loin. LInde matrise la fabrication des lanceurs et des satellites, ltape suivante est lexploration dautres plantes. Mais le programme spatial indien a dabord eu des vises utilitaires.
Un constat valable aussi pour la Chine. Dans des pays aussi vastes, un satellite permet dtablir des rseaux de tlphonie plus facilement et moins cher que par voie terrestre. Il permet dinformer les agriculteurs des prvisions mto, des cours des fruits et lgumes. Il permet danticiper des catastrophes naturelles, mais aussi dorganiser du tl-enseignement dans les bourgs isols. En Inde comme en Chine, de nombreux villages crent des coopratives pour acheter un ordinateur qui recevra, via un satellite, des informations utiles tant pour les paysans que pour leurs enfants tudiants.
Si un programme spatial a un cot, il est aussi source de revenus , rappelle la gographe Isabelle Sourbs-Verger, chercheuse au CNRS (voir entretien ci-aprs). Selon le cabinet Euroconsult, le secteur spatial devrait gnrer 145 milliards de dollars de chiffre daffaires entre 2007 et 2017, contre 116 milliards entre 1997 et 2007. Le seul march du lancement des satellites est estim 3 milliards par an. Un march dans lequel lInde affiche des ambitions croissantes, dautant que ses prix sont 35% infrieurs ceux de la concurrence amricaine et europenne. En 2008, elle a lanc huit satellites pour le compte dautres pays, parmi lesquels la Core du Sud et la Thalande. En 2007, un satellite italien a t lanc depuis la base de Shriharikota. Facture : 11 millions de dollars. Cest un moment historique pour la communaut spatiale et pour lconomie mondiale. Un pays du Sud place sur orbite le satellite dun pays du Nord. Le symbole est particulirement fort de lvolution des changes internationaux , stait alors enthousiasm Madhavan Nair, le prsident de lISRO, lagence spatiale indienne.
La Chine qui investit au moins deux milliards par an dans la recherche spatiale entend aussi tre prsente sur ce march. Elle propose des packs fabrication et lancement dun satellite. Parmi ses derniers clients, le Venezuela, le Nigeria et le Brsil. On assiste dailleurs une coopration Sud-Sud croissante puisque Pkin est lorigine de lOrganisation de coopration spatiale Asie-Pacifique laquelle participent le Bangladesh, lIndonsie, lIran, la Mongolie, le Pakistan, le Prou, la Thalande et la Turquie. En matire spatiale, des pays du Sud simposeront de plus en plus comme des concurrents, non des adversaires, des Etats-Unis et de lEurope , confirme Ken Murray, du magazine Space News.
La dimension conomique de la conqute spatiale ne se limite pas au march des lanceurs. La recherche dans ce domaine est utile de nombreux autres secteurs, de linformatique la sidrurgie en passant par la chimie ou llectronique. Cela relve le niveau dexigence et tire toute lconomie vers le haut. Pour un pays, tre prsent dans lindustrie spatiale est un moyen dafficher sa matrise des hautes technologies, la comptence de ses ingnieurs, ses ambitions conomiques, son dynamisme.


Peut-on pour autant ngliger la dimension politique de la conqute spatiale ?

Pour tout gouvernement, a fortiori dans un pays en dveloppement, tre prsent dans laventure spatiale est un moyen dentretenir la fiert nationale et lunit du pays. Cest un moyen dadresser un message de dynamisme et de modernit ses habitants, mais aussi au reste du monde, quels que soient les indicateurs conomiques du pays. Quand certains disent que les Indiens les plus pauvres prfreraient que lon construise des hpitaux plutt que denvoyer des fuses dans lespace, ils nont pas entirement tort. Mais les Indiens les plus pauvres sont fiers aussi dappartenir un pays qui compte parmi les puissances spatiales , soutient Gopal Roaj, auteur de Histoire du programme spatial indien.
La dimension stratgique nest pas absente non plus. Au mme titre que le programme spatial sovitique naurait pas exist sans celui des Etats-Unis, le programme chinois naurait peut-tre pas exist sans celui de lInde, liranien sans celui dIsral, le sud-coren sans celui de la Core du Nord. Comme lcrit dans LExpress Bruno Tertrais, chercheur la Fondation pour la recherche stratgique : Le lancement, le 4 fvrier 2009, de la fuse iranienne est intervenu le jour du 30 anniversaire de la rvolution islamique, ce qui indique que Thran replace lactivit spatiale au cur de sa stratgie politique et en fait un lment de fiert nationale. Ce succs pourrait avoir un impact sur les quilibres gostratgiques du Moyen-Orient o seul Isral possde galement des moyens daccs indpendants lespace . La dimension militaire de lespace inquite lorsque fuses et satellites sont matriss par des pays considrs comme peu srs politiquement. Cest le cas de lIran aujourdhui. Gopal Roaj le reconnat : En matire de hautes technologies, le foss est mince entre applications civiles et militaires. La fuse PSLV, qui sert de lanceur pour le programme spatial indien, contient tous les composants ncessaires la ralisation dun missile balistique intercontinental. Mais le pays le plus avanc en termes de militarisation de lespace, ce sont les Etats-Unis. Et si le trs conservateur prsident iranien, Mahmoud Ahmadinejad, sest vant du lancement de la fuse Safir, le programme spatial de Thran a dabord eu et continue davoir des objectifs civils (mto, tlcommunication) utiles lensemble du pays. A en croire Isabelle Sourbs-Verger, lexception en la matire est la Core du Nord qui ne semble avoir que des ambitions militaires. Mais, prcisment, son programme spatial nest pas trs dvelopp .

Jean Piel




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