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23/06/2009
Questions internationales(2) Renaud Dorlhiac, du ministre franais de la Dfense : LAlbanie reste un Etat en construction



(MFI) Spcialiste des Balkans, Renaud Dorlhiac est charg de mission la dlgation aux Affaires stratgiques, au ministre franais de la Dfense. Selon lui, lAlbanie a ralis des progrs importants tant au plan intrieur que sur la scne internationale, et il convient de ne pas diaboliser le pays. Nanmoins, la corruption y reste gnralise, la dmocratie incertaine. LAlbanie nest pas encore totalement un Etat de droit, mme si elle joue un rle-cl dans la stabilisation des Balkans.

MFI : Peut-on esprer que ces lections lgislatives soient honntes et transparentes comme le promet le gouvernement ?

Renaud Dorlhiac : On peut lesprer, mais on peut aussi en douter. On peut lesprer car le gouvernement de Sali Berisha a tout intrt ce que le scrutin se droule dans les meilleures conditions. Il sait quil est attendu au tournant par lUnion europenne et par les bailleurs de fonds internationaux. Il entend prserver limage dune Albanie, bonne lve sur la scne internationale, facteur de stabilit rgionale, qui lui a permis de rejoindre lOtan en avril dernier et de prsenter sa candidature lUnion europenne. La faon dont se drouleront les lections sera cruciale pour le rapprochement avec lUE.
Mais on peut aussi avoir des doutes sur la transparence du scrutin, pour plusieurs raisons. Dabord, le rsultat sera certainement trs serr entre les deux principaux partis, le Parti dmocratique et le Parti socialiste ; cest un facteur de fraude. Ensuite, le nouveau code lectoral a t adopt tardivement. Certes, il est cens favoriser la stabilit politique en renforant le systme bipolaire et en liminant les petits partis qui entretenaient les chantages politiciens. Mais cela empche aussi lmergence dune troisime force. On reste donc dans un face face entre deux formations qui ont de lourds contentieux entre elles. Enfin, la distribution des cartes lectorales et des passeports biomtriques a pris du retard et a t loccasion de polmiques sur les critres dattribution, notamment sur le prix de ces documents. Il nest donc pas certain que le contrle des lecteurs soit optimal, do un autre facteur de fraude.


MFI : LAlbanie a limage dun pays mafieux, o la criminalit organise est omniprsente. Cest un fantasme ou une ralit ?

R.D. : La criminalit organise est puissante. Elle est aussi trs visible du fait des rseaux dimmigration. Mais il ne faut pas non plus noircir le tableau lexcs. La situation nest pas pire que dans le reste des Balkans ; lAlbanie nest pas un lot de criminalit. On est dans une rgion o les trafics en tout genre sont nombreux.
Cela dit, lun des succs du gouvernement de Sali Berisha est sa politique trangre. Il a cherch lutter contre limmigration clandestine. Des oprations de police ont t menes en commun avec dautres pays de la rgion. Il existe donc une prise de conscience de la ncessit dagir. Les autorits albanaises ont russi changer limage du pays ltranger. Il apparat comme le bon lve des Balkans, un facteur de stabilit rgionale, notamment vis--vis du Kosovo. Des soldats albanais ont particip aux oprations de lOtan en Bosnie. Ce nest pas un hasard si Tirana a intgr lOtan en avril dernier et si lAccord de stabilisation et dassociation conclu avec lUE est entr en vigueur le mme mois. Cest une reconnaissance par les 27 des progrs accomplis par lAlbanie.
Nanmoins, on ne peut pas exiger des autorits albanaises quelles endiguent seules la criminalit dans les Balkans. Elles ne sont pas toutes puissantes, et les racines du mal sont profondes. LAlbanie reste un Etat en construction, qui part de trs loin. Ce nest pas encore compltement un Etat de droit, mais ce nest pas non plus le pire des Balkans.


MFI : Des progrs comparables ont-ils t enregistrs sur le plan intrieur, en termes de dveloppement conomique ou de moralisation de la vie publique ?

R.D. : L encore, limportant est la prise de conscience. Les autorits veulent avancer. Un grand axe routier devrait tre bientt inaugur entre le Kosovo et le nord de lAlbanie. Cela reprsentera videmment une bouffe doxygne pour les Kosovars, mais cest aussi positif pour lAlbanie. Les routes, les tlcommunications samliorent progressivement. Le gouvernement cherche attirer les investisseurs, notamment par une fiscalit avantageuse. Tirana envisage la construction dune centrale nuclaire vocation rgionale, qui bnficierait aussi aux pays voisins. Certes, beaucoup de projets sont encore sur le papier, mais au moins rien nest fig. La vie quotidienne des Albanais samliore lentement. Leur situation est sans conteste plus facile en ville qu la campagne.
Concernant la moralisation de la vie politique, elle est plus incertaine. La corruption reste un problme majeur, mme si cest le cas partout dans les Balkans. Lun des grands problmes du pays rside dans la mauvaise qualit du dialogue entre les deux principaux partis qui sont toujours dans la confrontation. Le Parti dmocratique et le Parti socialiste ne dfendent pas des programmes trs diffrents. Lenjeu dune lection, cest la victoire qui permet ensuite de distribuer des emplois aux militants, de contrler les marchs publics, dinfluencer la justice, de bnficier de plus grandes sources de corruption On peut donc difficilement parler de moralisation de la vie publique. Lun des grands dfis est aussi de normaliser la socit, de la rconcilier avec elle-mme aprs quarante ans de dictature communiste. Or, on en est encore loin. Les diffrentes tentatives de se confronter au pass nont pas eu pour but la rconciliation nationale, mais den faire payer le prix certaines personnes.


MFI : Peut-on envisager une adhsion prochaine de lAlbanie lUnion europenne ?

R.D. : Certainement pas. Mais les choses sont claires de part et dautre. LUnion europenne ne se mfie plus de lAlbanie. LAccord de stabilisation et dassociation, entr en vigueur en avril 2009, fait de Tirana un membre associ de lUE ; sa candidature est officielle. Cela doit tre compris comme un encouragement un pays qui a ralis des progrs notoires ces dernires annes. Mais il nest pas question dadhsion court terme. Par contre, les relations stablissent sur une base dynamique. LUnion europenne a fix une feuille de route Tirana, elle a list les domaines o des changements sont attendus, elle lui accorde des aides conomiques et financires importantes.
De leur ct, les dirigeants albanais savent que leur pays ne va pas rejoindre les 27 dans les prochaines annes. Aucun calendrier na mme encore t fix. Mais ils visent plutt des projets immdiats et concrets, une coopration rgionale, des avances sur des points prcis, notamment en matire conomique ou nergtique. Ces dernires annes, lAlbanie a certainement ralis bien plus de progrs en politique trangre que sur sa scne intrieure.

Propos recueillis par Jean Piel




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