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11/08/2009
Questions internationales (2)
La nouvelle stratgie allie en Afghanistan


(MFI) Renforcement des moyens militaires, aide au dveloppement, autonomie accrue des autorits afghanes : telle est la politique que les pays de la force multinationale veulent mettre en place en Afghanistan linitiative des Etats-Unis. Barack Obama parle dune stratgie densemble . Les ides sont les mmes que celles prnes aprs la chute des talibans en 2001 - qui nont jamais t mises en uvre. Reste savoir sil sera possible de les appliquer aujourdhui alors mme que les talibans ont reconstitu leurs forces.

Nous ne sommes pas en train de gagner en Afghanistan. Cet aveu de Barack Obama, dans une interview au New York Times, prouve lextrme difficult de la situation sur le terrain. Le locataire de la Maison Blanche, qui a toujours exprim son opposition la guerre en Irak, estimant quelle dtourne les Etats-Unis de leur vritable objectif, veut lutter contre le terrorisme l o il sorganise, savoir en Afghanistan et dans les zones tribales du Pakistan. Maintenant lu, Obama entend faire de la guerre en Afghanistan une des ses priorits. A la diffrence de son prdcesseur, il ne croit pas une solution uniquement militaire, comme il la expliqu la chane canadienne CBC : Contre linsurrection des talibans, il faut adopter une stratgie densemble alliant renforcement des moyens militaires, diplomatie et aide au dveloppement.

Une victoire militaire est-elle illusoire ?

Renforcement des moyens militaires : les Etats-Unis ont dploy 17 000 hommes supplmentaires, portant leur contingent 45 000 soldats et 12 000 autres pourraient tre envoys dans les prochaines semaines. Washington souhaite que ses allis de lOtan fassent de mme, mais Londres, Paris et Berlin sont rticents. Non seulement les pays europens ne disposent gure de rserves, mais ils font face une opinion publique hostile un conflit dont lissue leur semble improbable. Les universitaires, quant eux, sont partags.
Spcialiste des questions stratgiques la Brookings Institution (Washington), Michael OHanlon estime que le conflit en Afghanistan senvenime, mais [que] lOtan peut gagner. Il faudrait envoyer quatre brigades supplmentaires, soit 20 000 hommes. Ce qui porterait le contingent total environ 120 000 soldats. De tels renforts viteraient les bombardements aveugles qui prcipitent chaque jour un peu plus les villageois du ct des talibans .
Le politologue Gilbert Darronsoro est sceptique et dclare LExpress : Il est trop tard pour une victoire en Afghanistan, nous navons plus de ressources. Depuis 2001, personne na russi diviser les talibans. Il est illusoire de penser y arriver alors que nous sommes en position de faiblesse. Mieux vaut grer un retrait raisonn plutt que de se retrouver dans la situation de larme amricaine quittant prcipitamment le Vietnam en 1975.
Chercheuse au Centre dtudes et de recherches internationales (CERI), Mariam Abou-Zahab dfend, dans Le Monde, une position mdiane : Une victoire militaire est illusoire. Mais quitter brutalement lAfghanistan nest pas envisageable car le pays retomberait dans le chaos et la guerre civile. Il faut rintgrer les Pachtouns dans le jeu politique et ngocier tout en maintenant une pression militaire.


Vers un dialogue avec les talibans modrs ?

Ngocier avec les talibans : cette ide impensable il y a seulement un an, fait dsormais son chemin. Le prsident Hamid Karza est le premier lavoir dfendue, proposant aux talibans de dposer les armes en change dune amnistie. La gurilla islamiste a jusqu prsent refus, posant comme pralable toute discussion le dpart des troupes trangres. Des pourparlers ont namoins eu lieu grce une mdiation de lArabie saoudite, et quelques accords locaux ont t conclus. Svrement critiqu par Washington pour cette initiative, Hamid Karza commence convaincre ses partenaires. Les Etats-Unis lenvisagent avec une extrme prudence : Barack Obama a dclar du bout des lvres Cela vaut le coup dtre essay . Le secrtaire la Dfense, Robert Gates, a t plus affirmatif : Nous devons viter le pige des victoires tactiques qui deviennent des dfaites stratgiques en causant des victimes civiles. Les chefs tribaux afghans sont terme la seule solution pour faire reculer les talibans les plus radicaux.
Le ministre franais des Affaires trangres, Bernard Kouchner, sest fait lavocat de cette stratgie dans une interview au Figaro : Bien entendu quil faut ngocier avec les talibans. En tout cas, avec ceux qui sont prts dposer les armes et dialoguer. Mais cest aux autorits afghanes de le faire, pas aux pays occidentaux. Lide est de distinguer les partisans dAl-Qaeda du jihad plantaire (avec qui toute discussion est impossible) des chefs de tribus pachtounes, musulmans conservateurs favorables une stricte application de la charia lintrieur de lAfghanistan mais opposs au terrorisme international. Ces derniers pourraient rejoindre le gouvernement dHamid Karza. Reste savoir si ces talibans modrs existent vraiment, surtout dans un pays o les renversements dalliances sont frquents et o lappartenance au clan et la religion prime sur toute autre considration.


Quid du credo de la reconstruction ?

La stratgie densemble chre Barack Obama insiste aussi sur laide au dveloppement. Lide nest pas nouvelle ; elle tait au cur de la mission de la force multinationale aprs la chute du rgime des talibans en novembre 2001. Malgr des budgets impressionnants, peu de progrs ont t enregistrs. La majorit de laide annonce lAfghanistan a en ralit t consacre lentretien des troupes trangres sur place. Une part non ngligeable a disparu dans les circuits de la corruption. Et les talibans ont tout fait pour saper les efforts des Ong, tuant certains de leurs membres, incendiant les dispensaires nouvellement construits, menaant de mort les familles qui envoyaient leurs filles lcole. Enfin, trs vite les Etats-Unis se sont dsintresss du sujet, accordant la priorit la seule lutte contre le terrorisme.
La bonne nouvelle est que les moyens sont toujours l : lors de la dernire confrence des donateurs runie Paris en juin 2008, 20 milliards de dollars ont t mis sur la table. LOnu a t dsigne pour mieux coordonner cette aide au dveloppement, jusque-l concentre sur quelques rgions alors que dautres sont totalement ngliges. La nouvelle stratgie densemble de Washington prvoit de court-circuiter le gouvernement de Kaboul, terrible source de corruption, et de dfinir directement avec les chefs locaux leurs besoins et les moyens de les satisfaire. Travailler au niveau local, en relation troite avec la population, est le seul moyen de voir les projets aboutir et les habitants les dfendre contre les exactions des talibans , estime Christopher Alexander, porte-parole de lOnu Kaboul.
Cette aide au dveloppement passe aussi par la formation des jeunes, notamment des mtiers techniques leur permettant de participer la reconstruction du pays. Lide est galement de les dtourner de la culture du pavot : lAfghanistan produit 90 % de lhrone vendue dans le monde. Selon lOnu, le trafic rapporte environ 4 milliards de dollars par an, favorise la corruption et finance les talibans. Comme le souligne Mariam Abou-Zahab dans Le Monde : Il faut redonner de lespoir aux Afghans en leur donnant ce dont ils ont le plus besoin avant la dmocratie : la scurit du travail et de la nourriture pour leurs enfants.


Comment btir une nouvelle arme afghane ?

Afin dtablir une paix durable en Afghanistan, lEurope et les Etats-Unis entendent confier davantage de responsabilit aux autorits kaboulies. Cela passe par le renforcement de la police et de larme nationales. La violence pourrait dcrotre si la scurit est assure par les Afghans eux-mmes - les troupes de lIsaf (International Security Assistance Force ; en franais Fias, Force internationale d'assistance et de scurit) jouant alors la carte de la discrtion en ne patrouillant pas, mais en assurant la formation des soldats afghans.
Les Etats-Unis ont appliqu avec succs cette politique en Irak. Mais comme le rappelle Michael OHanlon : Les deux pays ne sont pas comparables. LIrak possdait une arme puissante et bien structure ; il a t facile de la rebtir aprs quatre ans de guerre seulement. LAfghanistan par contre est surarm mais na pas de tradition militaire, et le pays est en guerre depuis 1979. Bref, si lide est bonne, personne ne voit comment la mettre en pratique, dautant que la police et larme afghanes sont notoirement corrompues et enregistrent prs de 30 % de dsertion chaque mois.
Toujours au chapitre politique, les Etats-Unis, lasss de linefficacit du prsident afghan, aimeraient lui adjoindre un Premier ministre dtenant la ralit du pouvoir. Un projet qui suppose une rvision constitutionnelle et auquel Hamid Karza est sans surprise oppos.

La paix est-elle encore possible ?

Cette stratgie densemble dfinie par les Etats-Unis marque une rupture par rapport la politique de George Bush. Elle est bien accueillie par les spcialistes de lAfghanistan, qui insistent pour que la pacification du pays soit envisage un chelon rgional ; rien ne sera possible sans impliquer lIran et surtout le Pakistan. On peut cependant sinterroger sur la mise en uvre de cette stratgie densemble. Les ides sont globalement les mmes que celles annonces aprs la chute du rgime taliban en novembre 2001. On voit le rsultat aujourdhui.
Les Etats-Unis navaient pas compris lpoque limportance des enjeux. Ils pensaient les rseaux talibans dmantels pour toujours, et ils ont accord la priorit lIrak. Aujourdhui, la donne est diffrente. Barack Obama veut sinvestir en Afghanistan, et la machine amricaine atteint ses objectifs lorsquelle sen donne les moyens , veulent croire les optimistes. Pourquoi ce qui na pas fonctionn quand les Afghans accueillaient bras ouvert les troupes trangres et que les talibans taient en fuite, russirait alors que les tudiants en thologie ont reconstitu leurs forces avec laide dAl-Qaeda et que la population est exaspre des bavures des troupes de lOtan , rpondent les observateurs plus sceptiques.
Interview par Libration, Shahir Zahine, le directeur de Radio Killid, Kaboul, croit encore la paix : Les talibans ne peuvent pas gagner la guerre, ils nont rien offrir que la violence et la misre. Personne na oubli la terreur et la dsolation quont t leurs cinq annes au pouvoir. Ils peuvent envoyer trente kamikazes contre une caserne amricaine, mais dans les annes 90 ils attaquaient 5000. Ils ne mobilisent plus. Si les soldats afghans taient pays 500 euros par mois, les dsertions cesseraient. Il y aurait beaucoup de volontaires pour aller combattre les talibans, et les troupes trangres pourraient rester dans leurs bases .
Faheem Dashty, le directeur du Kabul Weekly, ajoute : Tout ne va pas si mal. Six millions denfants sont scolariss ; dans les villes, les marchs sont bien fournis. Le pays reste fragile, mais il est plus prospre quavant. Les gens le savent et ne veulent pas de retour lobscurantisme taliban. Certes, le gouvernement dHamid Karza commet des erreurs, la communaut internationale aussi. Mais cela ne rend pas les talibans populaires. Nanmoins, il faut agir. Le temps est compt avant que la situation ne devienne totalement incontrlable.


Jean Piel

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