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11/08/2009
Questions internationales (1)
Le bourbier afghan


(MFI) Les lections prsidentielle et provinciales du 20 aot en Afghanistan se prparent dans un climat dextrme violence. Les talibans multiplient les attaques contre les forces de la coalition et contrlent des districts entiers. Le gouvernement de Kaboul narrive pas asseoir son autorit sur le pays. Et la population est prise en tau entre la gurilla islamiste et les troupes de lOtan rgulirement accuses de bavures. Aucune solution nest en vue pour rtablir la paix.

Quelle est la situation scuritaire en Afghanistan ?

Attentat contre un commissariat de police Hrat, attaques rptition contre les forces de la coalition, tentative dassassinat du prsident Hamid Karza, kamikazes qui dclenchent leurs ceintures dexplosifs en pleine rue LAfghanistan est confront un niveau de violence sans prcdent depuis la chute des talibans en novembre 2001. Arms de lance-roquettes, de fusils-mitrailleurs et dexplosifs distance, aids par leur parfaite connaissance du terrain, les tudiants en thologie qui comptent environ 20 000 combattants tiennent tte aux 90 000 soldats puissamment quips de la force internationale de scurit (Isaf, International Security Assistance Force ; en franais Fias, Force internationale d'assistance et de scurit) sous commandement de lOtan. Le nombre dattaques a augment de 73 % depuis janvier 2009.
Selon la mission dassistance des Nations unies lAfghanistan (Unama), 2 118 civils ont t tus dans le pays en 2008, soit 40 % de plus que lanne prcdente. Pour les six premiers mois de 2009, la hausse est dj de 24 %. Prs de 60 % des victimes ont t tues par la gurilla islamiste lors dattentats ou de tirs de roquettes contre une ville. Les autres ont fait les frais de bavures des forces coalises, notamment de bombardements amricains mal cibls. Des bavures qui provoquent la colre de la population et qui, plus que jamais, font passer lIsaf, non pour une force de scurit, mais pour une arme doccupation.
LUnama sinquite aussi du sort des travailleurs humanitaires. En 2008, 38 ont t assassins et 147 enlevs. Du coup, les Ong rduisent leurs interventions, alors que les besoins sont immenses dans un pays dchir par trente ans de guerre. Du ct de lIsaf, 226 soldats ont t tus depuis janvier 2009 dont 75, rien quen juillet. La guerre en Afghanistan est plus meurtrire que le conflit irakien depuis dj deux ans.
Comme le rappelle, dans Le Monde, Mariam Abou-Zahab, chercheuse au Centre dtudes et de recherches internationales (CERI) : La puissance dune arme ne peut pas grand chose face des groupes qui nobissent en rien des logiques dEtat ni des logiques de forces nationales. Les troupes de lOtan ne sont pas faites pour combattre des insurgs sans uniformes, qui se cachent au milieu des civils. Et dajouter : Lhistoire de lAfghanistan montre quaucune arme trangre nest venue bout des Afghans. Dans ce pays, sen remettre des troupes trangres pour vaincre une insurrection est vou lchec.
De plus en plus, les experts militaires voquent le bourbier afghan et osent la comparaison avec la guerre du Vietnam. Dans le bureau du ministre de lIntrieur, Kaboul, une carte murale rsume la situation. Sur les 364 districts que compte lAfghanistan, 12 sont contrls par les talibans et 158 sont le thtre de combats entre lIsaf et la gurilla islamiste. La moiti de lAfghanistan est donc en guerre. Pas facile dans ces conditions dorganiser une lection prsidentielle.

Comment expliquer cette recrudescence de la violence ?

Certains facteurs sont conjoncturels. Les attaques sont toujours plus nombreuses au printemps et en t, lorsque la fonte des neiges et les tempratures clmentes facilitent les dplacements des insurgs sur les troites sentes de montagnes. Au-del des facteurs conjoncturels, la recrudescence de la violence tmoigne de la puissance retrouve des tudiants en thologie.
Les talibans ont appel au boycott des lections du 20 aot. Prendre part ces lections signifie approuver linvasion amricaine. En tant quAfghans et musulmans, les Afghans doivent refuser de voter et rejoindre les rangs du jihad pour librer le pays des envahisseurs trangers , avertit un communiqu de lEmirat islamique dAfghanistan . Les talibans entendent multiplier leurs actions pour dtourner les lecteurs des urnes et ainsi affaiblir la lgitimit du scrutin, cela alors que des doutes existent dj sur la transparence des futures lections. Il sera impossible, pour des questions de scurit, dorganiser le scrutin dans une dizaine de districts , reconnat Christopher Alexander, le porte-parole de lOnu Kaboul, cit par le New York Times.
Aprs les attentats du 11 septembre 2001 et lintervention amricaine en Afghanistan, les talibans avaient pris la fuite. Sans argent, sans logistique, sans arsenal, plusieurs de leurs chefs tus ou emprisonns, ils avaient rejoint leurs villages et retrouv la vie civile. Mais avec laide dAl-Qaeda, la milice islamiste a reconstitu ses forces et recouvr ses bastions dans lest et le sud du pays. Derrire les talibans, il y a Al-Qaeda, et l est le danger. Il ne sagit pas simplement dun problme interne lAfghanistan, mais dune menace grave pour la stabilit rgionale et la lutte contre le terrorisme lchelle plantaire , plaide Anthony Cordesman, spcialiste des questions militaires auprs du Centre dtudes stratgiques et internationales, Washington.
La gurilla islamiste na aucune difficult recruter des combattants, souvent des jeunes issus de madrasas fondamentalistes ou des villageois dsuvrs qui ont toujours connu leur pays en guerre. Les liens avec les chefs tribaux pachtouns pour qui la religion et le clan priment sur toute autre considration sont essentiels. Quun chef de tribu se rallie aux talibans, et tous ses hommes le suivent. A en croire Ahmed Rashid, lun des meilleurs connaisseurs du mouvement : La stratgie talibane est de contrler autant de territoires que possible, dasseoir son influence sur la population, au besoin par la force, et de crer une telle crise au sein de lOtan par une guerre dusure quun ou deux pays annoncent leur retrait de la coalition. Une stratgie qui pourrait se rvler payante puisque la participation lIsaf fait dbat dans plusieurs pays europens.
Les tudiants en thologie ont aussi refait leurs forces grce au sanctuaire dont ils bnficient dans les zones tribales pachtounes du Pakistan ; avec la neutralit bienveillante, voire la complicit active de lISI, les services secrets pakistanais. Les Etats-Unis ont averti Islamabad quils avaient des preuves de sa participation lattentat contre lambassade dInde Kaboul et plusieurs autres actions des talibans. Ces zones tribales chappent lautorit des dirigeants pakistanais ; les mouvements islamistes de toute obdience (afghans, cachemiris, baloutches) y sont en terrain conquis. Comme lcrit dans Le Monde Serge Michailof, professeur lInstitut dtudes politiques de Paris : On sait, depuis le Vietnam que, mme en gagnant toutes les batailles, on ne peut vaincre une gurilla qui dispose de financements, de combattants et de zones de repli inexpugnables. Or les talibans recrutent facilement, contrlent une partie des 4 milliards de dollars annuels issus du trafic de drogue, et ont transform les zones tribales pakistanaises en mirat islamique. Limpasse militaire est vidente.

Les pays occidentaux, Etats-Unis en tte, nont-ils pas une responsabilit dans ce retour de la violence ?

Cest ce que pensent nombre dobservateurs. En cause, les bavures frquentes des troupes de lIsaf, notamment les bombardements mal cibls de lUS Air Force. Ainsi, un raid amricain contre le village dAzizabad a tu 90 civils en juin dernier, dont une majorit de femmes et denfants. Ces frappes ariennes accentuent lide dun combat ingal, voire dun chtiment, contre une population occupe. Chaque bombardement dun mariage confondu avec une manifestation, dune maison identifie tort comme celle dun chef de la gurilla, amne des dizaines de recrues chez les talibans , estime le responsable dune Ong franaise, cit par Le Monde.
Autre critique : le manque dinvestissements dans la reconstruction de lAfghanistan. Une commission parlementaire britannique la dailleurs rcemment dnonc : Leffort international a donn beaucoup moins de rsultats que prvu cause de labsence de vision cohrente base sur les ralits de lhistoire, de la culture et de la politique du pays. Juste aprs la chute du rgime taliban en novembre 2001, tout le monde pourtant ne parlait que de reconstruction. Il sagissait pour tablir une paix durable de rebtir un Etat qui, depuis 1979, avait subi une lutte arme face linvasion sovitique, puis des combats fratricides pour le pouvoir aprs le dpart des chars russes, et enfin la terreur du rgime taliban.
Au plan militaire, les choses taient claires : lopration amricaine Enduring freedom tait charge de la lutte contre le terrorisme, lIsaf devait scuriser le pays afin que les Provincial Reconstruction Team (PRT) puissent restaurer les coles, les hpitaux, les routes Les budgets annoncs donnaient le tournis : 100 millions de dollars par jour promis lors de la confrence de Berlin en 2002, encore 20 milliards lors de la confrence des donateurs runie Paris en juin 2008. Le problme est que lcrasante majorit de ces 100 millions promis tait destine lentretien des troupes ; seuls 7 millions allaient laide humanitaire. En outre, les Etats-Unis ont rapidement exig une fusion des missions de lIsaf et dEnduring freedom. La France et lAllemagne ont rsist, sentant le danger de la manuvre, avant de sincliner. Aujourdhui, les troupes de la coalition, passes sous le commandement de lOtan, sont exclusivement engages dans la lutte contre les talibans.
Pour Jean-Franois Daguzan, matre de recherche la Fondation pour la recherche stratgique : Le drame de lAfghanistan, cest lIrak. Loffensive contre Bagdad a fait disparatre Kaboul des crans radar amricains. Washington a cru que tout tait rgl, les talibans vaincus, le prsident Hamid Karza aux commandes. Du coup, on na pas mis le paquet comme on aurait d. Ni pour laide conomique et la reconstruction, ni sur le plan militaire. Or il fallait tout faire pendant ces premires annes pour que les Afghans se sentent soutenus et protgs. Le retour des talibans sexplique dabord par les insuffisances de la reconstruction et le manque de scurit.
Une opinion partage par le politologue Bertrand Badie : La violence na pu se dvelopper que parce quelle a trouv un terreau favorable qui est celui de la pauvret, du sentiment dexclusion, dhumiliation, dune majorit dAfghans. Les troupes de lOtan ont face elles non seulement les talibans, mais aussi des acteurs sociaux (chefs locaux, militants associatifs) enracins dans le tissu afghan. La situation rappelle pour partie les guerres coloniales, un type de conflit qui ne donne jamais le dernier mot aux puissants.

Quen est-il des erreurs des autorits afghanes elles-mmes ?

Si lEurope et les Etats-Unis nont pas suffisamment investi en Afghanistan, les talibans ont tout fait aussi pour saper le travail de lIsaf, attaquant les Ong en charge de la reconstruction, incendiant les dispensaires, menaant de mort les familles qui envoyaient leurs filles lcole Flattant le sentiment nationaliste et religieux de la population, ils font passer lIsaf pour une arme doccupation, prsente en Afghanistan au nom de la lutte du monde occidental et chrtien contre lislam. Cela dautant plus facilement que des bavures sont commises et que les Afghans ne voient pas venir la reconstruction promise. Tout a t fait pour aider les talibans se parer dune fonction de rsistance nationale , soupire Bertrand Badie.
Pour Mariam Abou-Zahab : Lerreur a t de marginaliser les Pachtouns sous prtexte que cest lethnie des talibans. Or ils reprsentent prs de la moiti de la population afghane. Le dialogue aurait d tre engag avec eux ds 2001 pour les rintgrer dans le jeu politique. Au plan politique, prcisment, le gouvernement dHamid Karza, install par les Etats-Unis, na cess de dcevoir. Ag de cinquante-deux ans, lintress semblait avoir toutes les cartes en main : Pachtoun, issu dune grande famille afghane, proche de lancien roi Zaher Shah, diplm des meilleurs universits mais stant aussi battu contre les Sovitiques Jamais pourtant il nest arriv imposer son autorit dans le pays. LEtat afghan apparat dsesprment faible.
Certes, Hamid Karza a t rlu la tte de lEtat en octobre 2004, mais il est vu comme lhomme de Washington. Parfois librale, parfois rtrograde comme lorsquil approuve la loi qui lgalise le viol conjugal, sa politique droute. Son entourage est notoirement corrompu ; plusieurs de ses proches sont souponns dtre lis au trafic de drogue (90 % de lhrone vendue dans le monde vient dAfghanistan) et de dtourner laide internationale. Pour rtablir la paix, Hamid Karza estime aujourdhui quil ny a pas dautres solutions que de dialoguer avec les talibans. Une ide qui fait son chemin dans les capitales occidentales (voir article ci-aprs).
Si lactuel prsident est dcri, il fait nanmoins figure de favori pour llection du 20 aot, et il a reu le soutien de la Maison Blanche. Comme le rsume Abdullah Khan, un tudiant de Kaboul interview par le New York Times : En 2001, nous avons applaudi la dfaite des talibans et accueilli bras ouverts les troupes de lIsaf. Aujourdhui, cest la dsillusion. Le gouvernement est incomptent et corrompu, les soldats occidentaux multiplient les bavures, on attend toujours la reconstruction, laide internationale est dtourne ou concentre sur quelques provinces, et les talibans retrouvent leur influence. Il ne fait pas bon tre afghan aujourdhui .

Jean Piel

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