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22/09/2009
Q.I. (2) E. Humbert-Dorfmller : L'Allemagne est durablement entre dans l're des coalitions

(MFI) Spcialiste de l'Allemagne, l'conomiste Elisabeth Humbert-Dorfmller ne doute gure du succs de la CDU aux lections lgislatives du 27 septembre 2009. Mais selon elle, les chrtiens-dmocrates ne pourront pas gouverner seuls. L'Allemagne sera encore dirige par une coalition. Reste savoir avec qui la CDU conclura une alliance.

MFI : Comment expliquer l'avance dans les sondages de la CDU, malgr la crise conomique ?

Elisabeth Humbert-Dorfmller : Trois facteurs au moins expliquent cette popularit des chrtiens-dmocrates. D'abord, la personnalit de la chancelire Angela Merkel, vue comme une personne comptente, ouverte au dialogue, favorable au consensus. Sa popularit dpasse celle de son parti. Ensuite, ces quatre dernires annes de coalition gouvernementale ont davantage bnfici la CDU qu'aux sociaux-dmocrates du SPD. La CDU a recentr son discours conservateur, elle a fait des concessions la social-dmocratie, largi l'ventail de ses thmes de dbat, ce qui a permis un nombre plus important d'Allemands de se retrouver en elle. A contrario, le SPD a du mal se positionner entre un discours centriste et un discours plus offensif gauche. En outre, il n'est que le partenaire junior de cette coalition ; il apparat donc la trane de la CDU en termes de prise de dcision. Il aurait pu capitaliser sur cette position en se plaignant que ses avis n'taient pas assez couts, mais il n'a pas su le faire. Il est vrai aussi que, depuis le dpart de Gerhard Schrder, il ne dispose plus de leader charismatique. Enfin, la crise conomique bnficie la CDU qui, l'instar de l'UMP en France, en profite pour avoir un discours plus gauche, dfendre des intrts plus gnraux, faire du social. Le pragmatisme l'emporte sur l'idologie conservatrice

MFI : L'Allemagne sera-t-elle encore dirige par une coalition aprs ces lections lgislatives, ou la CDU peut-elle remporter la majorit absolue au Bundestag ?

E. H.-D. : L'Allemagne est durablement entre dans l're des coalitions. Dans les annes 1980, trois partis dominaient la scne politique : la CDU, le SPD et, dans une moindre mesure, les libraux du FDP. Puis, les Verts se sont imposs dans le jeu au-cours des annes 1990 ; ils sont dsormais incontournables et attirent chaque lection entre 10 et 15 % des suffrages. Enfin, Die Linke, le parti d'extrme-gauche, rencontre un succs croissant ces dernires annes. Il dpasse rgulirement la barre des 10 % et a enregistr un net succs lors des rcentes lections rgionales. Avec cinq formations d'importance, il est dsormais illusoire qu'une seule d'entre elles remporte la majorit absolue au Bundestag. L'Allemagne est condamne aux coalitions. Laquelle mergera des lections lgislatives du 27 septembre ? C'est l'inconnue, mais on peut imaginer plusieurs scnarios. L'actuelle coalition entre la CDU et le SPD peut tre reconduite ; officiellement, aucun des deux partenaires ne le souhaite, mais cela s'imposera peut-tre. Une coalition plus naturelle regrouperait la CDU et le FDP, mais il n'est pas certain que les deux partis dpassent la barre des 50 %. On peut galement envisager des coalitions trois partenaires, mme si cela ne s'est encore jamais vu en Allemagne. La CDU se dit prte gouverner avec le FDP et les Verts. Une telle alliance entre des formations conservatrices et librales et un mouvement plus situ gauche surprendrait. Mais encore une fois, la CDU a recentr son discours, et Angela Merkel a t ministre de l'Environnement ; elle ne fait donc pas figure d'pouvantail pour les Verts. De son ct, le SPD se dit galement prt former une coalition avec les libraux et les cologistes. Mais peu d'lecteurs y croient, les ides des sociaux-dmocrates tant trs loignes de celles des ultralibraux du FDP.

MFI : On entend moins parler des Verts dans cette campagne lectorale. Conservent-ils une place importante dans la vie politique allemande ?

E. H.-D. : Tout fait. Ils sont aujourd'hui dans l'opposition et jouent un rle de critiques virulents. Mais ils restent incontournables dans la vie politique du pays. Ils remportent chaque scrutin entre 10 % et 15 % des suffrages. Leur lectorat vient essentiellement de la classe moyenne urbaine, ayant un niveau de revenu et de formation correct, videmment trs sensibles aux problmatiques cologistes. Mais leur lectorat dpasse ce qu'on appelle en France les bobos ; en Allemagne, la conscience environnementale est plus forte et se retrouve aussi dans les couches populaires. Au-del de leur poids lectoral, les Verts psent dans tous les dbats, aussi bien de socit que de politique trangre ou en conomie. C'est un parti moins contestataire qu'il ne ft dans les annes 1980. Son ancien leader, Joschka Fischer, qui a t ministre des Affaires trangres de 1998 2005, a approuv le dploiement de soldats allemands au Kosovo et en Afghanistan. Cela aurait t difficilement imaginable de la part des Verts il y a vingt ans. C'est donc un mouvement qui, d'une certaine faon, s'est embourgeois.

MFI : La contestation est davantage incarne aujourd'hui par Die Linke. Comment expliquer son succs croissant ?

E. H.-D. : Plusieurs raisons expliquent l'attrait croissant pour Die Linke. Ce parti prend ses racines en Allemagne de l'Est ; une rgion o la foi dans le libralisme, l'Union europenne, la proximit avec les Etats-Unis. s'est rode avec les annes qui ont suivi la runification, et aujourd'hui avec la crise conomique. Le succs de Die Linke dans les Lnder de l'ex-RDA n'est donc pas surprenant. A l'Ouest, le parti d'extrme-gauche (qui ne s'appelait pas Die Linke au dbut, NDA) s'est dvelopp grce au travail d'Oskar Lafontaine, l'ancien leader du SPD, trs charismatique, qui a russi l'implanter. Die Linke se prsente comme un vrai parti de gauche, contestataire, d'autant plus facilement que tous les autres partis se positionnent plus au centre. La crise conomique actuelle - et la peur croissante des Allemands de subir un dclassement social - renforce son poids lectoral. Lorsqu'il rclame la fin des parachutes dors, la suppression des bonus pour les traders, l'instauration d'un salaire minimum, le retrait des troupes allemandes d'Afghanistan. Die Linke rencontre un cho dans la population. Les lecteurs ne le voient plus comme l'incarnation de la menace communiste ; il a trouv sa place sur la scne politique. En ce sens, les citoyens allemands sont moins frileux que les partis politiques qui prsentent toujours Die Linke comme le danger rouge . Mme le SPD a dclar qu'il ne conclurait pas d'accord avec lui au plan national, mais ne l'exclut pas au plan rgional. Au demeurant, Berlin est dirig par une coalition SPD - Die Linke, et cela fonctionne bien. Son maire, Klaus Wowereit, a le vent en poupe et pourrait s'imposer comme l'homme du renouveau pour les sociaux-dmocrates. Au lieu de diaboliser la gauche radicale, le SPD devrait voluer et accepter l'ide d'une coalition ancre gauche. Sans alliance avec Die Linke, les sociaux-dmocrates retrouveront difficilement le chemin du pouvoir.

Propos recueillis par Jean Piel

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