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29/09/2009
Q.I. (4) Francis Perrin : Pour les autorits chinoises, la stabilit justifie la rpression

(MFI) Membre du bureau excutif d'Amnesty International, Francis Perrin tait le porte-parole de l'organisation pendant les Jeux olympiques de Pkin. Il estime que la situation des droits humains reste trs inquitante en Chine. Selon lui, la rpression ne se fait plus au nom de drives idologiques, mais pour garantir la paix sociale et la stabilit du pays. La poursuite du dveloppement conomique exigera cependant davantage de liberts politiques.

MFI : Comment qualifieriez-vous la situation des droits de l'homme aujourd'hui en Chine ?

Francis Perrin : Il ne faut pas se voiler la face. La situation des droits humains est trs proccupante en Chine, et nous ne voyons aucun signe tangible d'amlioration. Certes, la Cour suprme examine dsormais toutes les condamnations mort prononces par des juridictions de premire instance. A en croire les autorits chinoises, cette mesure a entran une baisse du nombre d'excutions, mais les chiffres sont difficiles vrifier. La certitude est que l'Empire du milieu reste de loin le pays au monde o le nombre de condamnations mort est le plus lev. Aucun progrs n'est enregistr en matire de libert religieuse, de libert d'association, de libert d'opinion. Les droits fondamentaux ne sont pas respects en Chine. C'est particulirement grave dans un pays de cette puissance, membre permanent du Conseil de scurit de l'Onu, dont la voix compte sur les grands dossiers de la plante. Les militants des droits de l'homme - qui n'agissent pas pour dfendre leur intrt personnel, mais une cause juste - sont surveills, harcels, condamns la premire occasion. Mme des victimes lorsqu'elles rclament justice peuvent tre arrtes, emprisonnes, perscutes. Ainsi, les victimes du tremblement de terre qui a frapp le Sichuan au printemps 2008 ont t durement rprimes quand elles ont critiqu les autorits et manifest pour savoir la vrit sur les conditions de construction des coles o avaient pri leurs enfants. Les droits civils et politiques ne sont pas respects, les droits sociaux non plus. Il n'existe pas de syndicats indpendants, les ouvriers sont souvent exploits, le sort des travailleurs migrants - qui quittent les campagnes pour les villes - est particulirement inquitant ; ils n'ont aucun droit, peuvent tre renvoys du jour au lendemain, ont l'interdiction de faire venir leur famille avec eux.

MFI : Nanmoins, les grves, les manifestations sont de plus en plus frquentes. Cela ne tmoigne pas d'une plus grande libert d'expression ?

F. P. : Il est vrai que les gens ont davantage conscience de leurs droits, qu'ils osent rclamer justice, malgr les risques que cela reprsente. Il s'agit souvent de mouvements spontans de la socit civile ; les habitants d'un quartier, les paysans d'un district. qui n'acceptent plus de se laisser faire lorsqu'ils s'estiment lss, qui entendent dfendre leurs intrts. De tels mouvements sont porteurs d'espoir long terme. Aujourd'hui, ils ne sont pas organiss et ne dfendent que des intrts particuliers, mais ils auraient t impossibles il y a vingt ans, et seront certainement mieux structurs dans vingt ans. Les autorits ne peuvent pas ignorer la multiplication des revendications. Ces manifestations spontanes les inquitent car conserver la paix sociale est l'une de leurs priorits. Nanmoins, il est encore bien trop tt pour crier victoire. Lorsque le pouvoir le dcide, la rpression est immdiate et muscle. Des milliers de personnes sont emprisonnes - mme pour de courtes priodes - simplement pour avoir rclam justice.

MFI : Les atteintes aux droits de l'homme aujourd'hui sont-elles du mme type qu' l'poque maoste ?

F. P. : Les mthodes rpressives sont les mmes aujourd'hui que dans les annes 1950 ou 1960. La diffrence est l'ampleur ; on ne voit plus aujourd'hui de rpressions de masse comme l'poque de la Rvolution culturelle. Les arrestations sont cibles ; elles concernent un individu ou un groupe prcis, pour des faits prcis, mme si elles restent inacceptables lorsqu'il s'agit d'atteintes aux liberts fondamentales. Ainsi, des chrtiens peuvent tre harcels pour avoir clbr une messe. C'est un groupe prcis pour un fait prcis, mais c'est une atteinte inadmissible la libert religieuse. L'arbitraire cre un sentiment d'inscurit: pour un mme fait, une personne sera surveille ou interroge dans une rgion mais pas dans une autre, un mois mais pas le suivant. La diffrence d'avec le pass, c'est que les drives idologiques ne sont plus la raison principale des atteintes aux droits humains. Les autorits ne brandissent plus en permanence le drapeau du communisme international. Personne n'est arrt pour avoir dclar, lors d'un dner priv entre amis, que le Petit livre rouge tait mal crit. Ce qui importe aux autorits chinoises, c'est la paix sociale et la stabilit du pays. Si une personne ou un mouvement menace cette stabilit, alors la rpression se met en route. Les revendications des Tibtains ou des Ouighours sont mates car Pkin les considrent comme une menace l'unit nationale, une voie vers le sparatisme de certaines provinces. En matire sociale et politique, le gouvernement cherche dminer les conflits. C'est pourquoi il satisfait rgulirement les demandes de manifestants en butte avec des autorits locales. L'essentiel est de prserver la stabilit sociale, dans un pays qui connait dj d'importants bouleversements. Mais si un mouvement prend de l'ampleur ou s'il conteste le systme mme, alors il est rprim. C'est pourquoi, en juin 1989, les manifestants de la place Tian-an-Man se sont retrouvs avec des chars face eux. C'est pourquoi Internet est si surveill. C'est pourquoi aucun syndicat ou parti politique n'est tolr.

MFI : Si la Chine veut poursuivre son dveloppement conomique, sera-t-elle oblige terme d'accorder plus de liberts politiques ?

F. P. : Je le pense. L'tre humain ne se dcoupe pas en tranches. On ne peut pas exiger de lui qu'il soit cratif, autonome, entreprenant, dou d'initiatives au travail, et qu'il abandonne ces mmes qualits dans sa vie prive. L'conomie, ce n'est pas que du capital et des matires premires. Ce sont aussi des hommes et des femmes qui ont besoin d'un quilibre personnel pour pouvoir tre performants dans leur travail. La faon dont ils sont reconnus, respects, couts guide cet quilibre personnel. L'ingnieur, l'informaticien, qui on demande d'tre imaginatif, suffisamment libre intellectuellement pour concevoir des produits qui se vendront dans le monde entier, finira par revendiquer cette mme libert comme citoyen. C'est pourquoi, pour poursuivre son dveloppement conomique, la Chine devra finir par assouplir son systme politique. En outre, les Chinois ne se contenteront pas ternellement d'une amlioration de leur niveau de vie. Une fois leurs besoins matriels satisfaits, ils rclameront de meilleures qualits de travail - donc plus de liberts sociales - et davantage de liberts publiques. Le phnomne se constate dans tous les pays, une fois atteint un certain niveau de dveloppement. Les dirigeants chinois en sont conscients. Ils n'vacuent plus la question des droits de l'homme d'un revers de la main. Ils reconnaissent le concept et son universalit, mais l'interprte toujours de faon restrictive. Le discours volue progressivement, mme si la pratique reste rpressive.

Propos recueillis par Jean Piel

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