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29/09/2009 | |||
Q.I. (3)
Franoise Lemoine : La Chine est aujourd'hui plus ingalitaire que l'Inde | |||
(MFI) Spcialiste des pays mergents et conomiste auprs du Centre d'tudes prospectives et d'informations internationales (Cepii), Franoise Lemoine souligne que, si le niveau de vie des Chinois s'est amlior ces dernires annes, les ingalits se sont aussi creuses. Pkin a fait le choix d'un systme libral o l'Etat reste fortement prsent. Les principes conomiques dfendus par Mao n'ont plus cours aujourd'hui, mais si la Chine connat une croissance vertigineuse c'est grce la gnralisation de l'ducation et des soins l'poque maoste. Or ces soins et cette scolarisation pour tous sont aujourd'hui menacs. | |||
MFI : Le succs conomique de la Chine aujourd'hui ne prouve-t-il pas l'chec des principes sur lesquels a t fonde la Rpublique populaire il y a soixante ans ? Franoise Lemoine : Il ne faut pas oublier que le 1er octobre 1949 clbre ce que les communistes chinois appellent la Libration (et non la Rvolution), c'est--dire la runification complte du pays aprs un sicle de prsence trangre (les Traits ingaux et la cession de Hongkong au XIXe sicle, l'occupation de la Mandchourie par le Japon en 1933), de guerres civiles (entre seigneurs de la guerre de 1916 1927, puis entre communistes et nationalistes de 1945 1949) et de conflits contre le Japon (de 1937 1945). Ce qui fonde le rgime en 1949 est autant - et mme sans doute davantage - le nationalisme que la rvolution socialiste. Au cours des trois premires dcennies, la catastrophe du Grand Bond en avant (1957-1958), puis les violences de la Rvolution culturelle (1966-1969) qui menrent la Chine au bord du chaos ont discrdit le pouvoir communiste. Mais depuis 1978, le rgime a fait du dveloppement conomique sa priorit et ses succs lui ont redonn une lgitimit. La rpression des manifestations pro-dmocratiques de Tian-An-Men, en juin 1989, avait nouveau rompu le contrat implicite entre la socit et le pouvoir. Ce dernier a ragi en acclrant la libralisation et l'ouverture conomiques, ce qui a valu la Chine une croissance sans prcdent et une formidable monte en puissance sur la scne internationale. Les principes des dbuts de la Rpublique populaire ont bien t abandonns : les conditions de vie des Chinois se sont amliores, mais les ingalits se sont considrablement creuses. La Chine est aujourd'hui plus ingalitaire que l'Inde. La lgitimation idologique a disparu. Mais le nationalisme reste l'un des plus forts ciments du rgime. MFI : Soixante ans aprs, que reste-t-il de communiste dans l'conomie chinoise ? F. L. : De la socit galitaire et austre des annes maostes, il ne reste pas grand-chose de visible. Pourtant, entre 1949 et 1979, en dpit d'effroyables gchis, la Chine communiste a jet les bases de son industrialisation et d'une socit moderne. A la fin des annes 70, la majorit des jeunes sont scolariss, les soins de base sont gnraliss. La Chine avait cette poque une nette avance sur l'Inde et la majorit des pays du Tiers-monde dans ces domaines. Sans ces progrs, qui sont le legs des trente premires annes du rgime communiste, le dcollage conomique qui commence au dbut des annes 1980 n'aurait pas t possible. Or ces acquis sociaux sont actuellement menacs car les efforts en faveur des services sociaux - et notamment les dpenses publiques pour la sant et l'ducation - sont loin d'avoir suivi le rythme de la croissance conomique. Ces insuffisances sont la source des profonds dsquilibres conomiques actuels et de tensions sociales. Ces retards sont en outre trs prjudiciables l'avenir du pays MFI : Cette conomie socialiste de march est-elle un systme libral qui ne dit pas son nom, ou bien existe-t-il une spcificit du capitalisme chinois ? F. L. : La Chine actuelle applique beaucoup des ingrdients d'une conomie de march, mais l'Etat et le politique ont toujours un rle dcisif dans le systme. Le secteur priv s'est adjug une place importante dans l'conomie puisqu'il reprsente plus des deux tiers du PIB. Mais l'Etat contrle toutes les grandes entreprises et le systme bancaire. D'une manire gnrale, le droit de proprit est mal dfini, les frontires sont floues entre le public et le priv, et les entreprises prives ne peuvent prosprer sans le soutien des autorits politiques. En fait, la Chine connat plusieurs capitalismes : un capitalisme local vivace et reposant sur une myriade d'entrepreneurs privs et une vive concurrence entre eux ; et un capitalisme officiel, puissant et technocratique. Certains analystes considrent qu'il y a une forme d'interpntration rciproque entre ces diffrents capitalismes. D'autres estiment que le capitalisme d'Etat a eu tendance, ces dernires annes, touffer le capitalisme entrepreneurial et se dvelopper son dtriment. L'importance du rle de l'Etat est une caractristique des pays qui ont connu une industrialisation tardive, l'instar du Japon pendant l're Meiji et encore dans les annes 60, ou plus rcemment en Core du Sud, Taiwan et Singapour. En Chine, la nature de l'intervention de l'Etat dans l'conomie diffre aussi de celle qui existe dans les pays libraux. Les institutions et les normes qui relvent de la comptence d'un Etat moderne y sont sous-dveloppes. Les institutions (banques, systme juridique, administration fiscale.) ont un rle central dans le fonctionnement d'une conomie de march moderne, mais elles sont encore en construction en Chine. Un systme vraiment libral exige un Etat de droit, et celui-ci suppose l'indpendance d'un pouvoir judiciaire, y compris l'gard du pouvoir politique et donc du Parti. La rforme de l'conomie chinoise a engendr un systme qui s'apparente au capitalisme, mais sans Etat de droit, sans dmocratie et, comme l'a crit ma consour Marie-Claire Bergre, sans capitalistes au sens d'une classe d'entrepreneurs autonomes par rapport au pouvoir politique. MFI : Le systme conomique chinois, tel qu'il existe aujourd'hui, est-il viable long terme, ou est-il condamn voluer s'il veut rester performant ? F. L. : Le systme conomique chinois devra voluer. Ces dernires annes, les moteurs de la croissance ont t les exportations et les investissements. La consommation des mnages est un maillon faible. Une fraction croissante de la production industrielle est destine aux marchs trangers. Or un pays de la taille de la Chine ne peut fonder durablement son dveloppement sur le dynamisme des marchs extrieurs ; il doit trouver les ressorts de son dynamisme sur son march intrieur. L'effondrement de la demande mondiale depuis l'automne 2008 a fait chuter la croissance chinoise, et la crise mondiale souligne ainsi la vulnrabilit du modle de croissance chinois et l'urgence qu'il y a rquilibrer l'conomie. Le systme conomique lui-mme doit voluer afin de permettre ce rquilibrage et favoriser la consommation des mnages. Ceux-ci doivent consommer davantage et moins pargner. Il faut pour cela dvelopper la protection sociale, les dpenses de services publics et librer ainsi du pouvoir d'achat. Ces changements peuvent-ils avoir lieu dans l'tat actuel du systme politique ? Avec la prosprit a merg en Chine une socit de plus en plus diffrencie ; les groupes sociaux ont des intrts htrognes voire divergents. Le Parti arbitre entre les intrts en jeu et il faut bien constater que, ces dernires annes, l'issue de ces arbitrages a t continuellement dans le sens d'une aggravation des ingalits et des dsquilibres. | |||
Propos recueillis par Jean Piel | |||
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