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29/09/2009
Q.I. (2) Marie-Claire Bergre : Mao ne reconnatrait pas la Chine aujourd'hui

(MFI) Professeur de civilisation chinoise l'Institut des langues orientales de Paris, l'Inalco, Marie-Claire Bergre est l'auteur de Capitalismes et capitalistes en Chine du XIXe au XXIe sicle (d. Perrin). Selon elle, si Mao reste trs respect dans le pays, ses ides n'ont absolument plus cours alors qu'on clbre, ce 1er octobre, le 60eanniversaire de la proclamation de la Rpublique populaire. Marie-Claire Bergre estime aussi que c'est le succs conomique de la Chine - dont Mao n'est en rien responsable - qui suscite aujourd'hui la fascination pour l'Empire du milieu. Quant aux liberts, elles progressent, mais lentement.

MFI : Soixante ans aprs la proclamation de la Rpublique populaire, quel regard les Chinois portent-ils sur cette priode ?

Marie-Claire Bergre : Mao reste sans conteste une icne en Chine. Il a d'ailleurs une vie posthume surprenante. Sa popularit est leve dans l'Empire du milieu comme l'tranger, surtout si on la compare avec celle d'autres dictateurs. Or, la cration de la Rpublique populaire a certes permis des progrs sociaux, des volutions positives dans le pays, mais au prix de terribles souffrances pour la population. Le maosme signifie aussi des dizaines de millions de morts en Chine. Cette image positive de Mao doit se comprendre dans le cadre du nationalisme toujours trs fort dans cette partie du monde. C'est en effet lui qui a favoris le retour de la Chine sur la scne internationale, qui a initi des rformes intrieures, qui a affirm les ambitions de puissance du pays. Mao a permis la Chine de rompre avec un pass d'humiliation, en mettant un terme aux concessions que les pays trangers graient sur le territoire. Mao a rendu leur fiert aux Chinois en faisant de Pkin un acteur incontournable des relations internationales. Le succs conomique de la Chine contribue aussi entretenir une image positive du maosme. Le paradoxe est que cette Chine qui fascine date de l'ouverture conomique dcide par Deng Xiaoping en 1978. Le succs commercial et industriel du pays n'est en rien d la doctrine dfendue par Mao.

MFI : Le mot communisme a-t-il encore un sens en Chine ?

M-C. B : Plus du tout. L'idologie est oublie et les Chinois ne se dfinissent pas comme citoyens d'un pays communiste. Ils ont par contre le sentiment d'appartenir une grande puissance conomique et politique. Mme les membres du Parti ne s'intressent pas la dfense du communisme. On rejoint le Parti car cela apporte des avantages matriels, facilite des investissements, permet d'inscrire ses enfants dans les meilleures universits. Pas par idologie. Au demeurant, tout ce qui faisait le caractre communiste du pays a t abandonn ou est en voie de l'tre. Ainsi, en ville, les coles sont souvent prives ; le systme de sant est payant ; la scurit sociale et les retraites taient lies aux entreprises d'Etat, or celles-ci ferment ou rvisent leur statut. L'effet gnration est important. Les plus gs se souviennent de l'idal galitaire maoste, ils considrent une vie modeste comme normale. Ce n'est pas le cas des jeunes gnrations. Les dirigeants aussi sont attachs au discours communiste car c'est leur pouvoir qui est en jeu. Le prestige de Mao garantit le fonctionnement du Parti. Mao reste la rfrence, mme si elle est thorique. Les nouveaux dirigeants n'ont pas le charisme du fondateur de la Rpublique populaire. Ils s'abritent donc l'ombre du Grand Timonier pour asseoir leur lgitimit.

MFI : La Chine n'est donc pas aujourd'hui ce que Mao aurait souhait qu'elle devienne ?

M-C. B : Certainement pas. C'est mme l'antithse de ce que souhaitait Mao. Ce dernier rvait d'un homme nouveau, de collectivisation dans tous les domaines, d'un lan du peuple face l'gosme individuel. Or aujourd'hui en Chine, c'est le rgne du chacun pour soi. L'individualisme l'emporte sur le sens du collectif. Les gens veulent tre riches, plus riches que leur voisin, quitte craser leurs collgues ou leurs concurrents. L'esprit de comptition, l'appt du gain, dominent. Avant aussi la socit tait ingalitaire. Mais les plus aiss taient discrets, par morale ou par pudeur. Aujourd'hui, ceux qui le peuvent talent leur richesse, la consommation est largement ostentatoire. L'utopie galitaire de Mao est morte. Le Grand Timonier ne reconnatrait pas son pays aujourd'hui. Mais il serait fier de sa puissance retrouve. Il faut souligner que la libralisation de l'conomie, partir de 1978, n'est pas due au hasard. Deng Xiaoping a encourag ce qu'on appelle l'conomie socialiste de march car le systme mis en place par Mao ne fonctionnait pas. Les entreprises d'Etat produisaient peu et mal, les rcoltes taient insuffisantes, les institutions collectives mal gres. Il ne faudrait pas croire pour autant que la Chine soit aujourd'hui synonyme de capitalisme pur et dur. C'est vrai pour quelques entrepreneurs. Sinon, la production industrielle reste largement contrle par des entreprises sous la coupe du Parti communiste. On pourrait parler de capitalisme d'Etat. Il s'agit le plus souvent de l'Etat local : beaucoup d'investissements, de crations d'entreprises, de projets immobiliers se dcident l'chelon local. D'o une terrible corruption.

MFI : On assiste un nombre croissant de manifestations en Chine, organises par des paysans spolis, des travailleurs migrants, des parents qui ne peuvent pas scolariser leurs enfants, des malades du sida. Cela signifie-t-il que le rgime est contest de l'intrieur ?

M-C. B : Cela signifie que les Chinois ont davantage conscience de leurs droits, de leurs intrts et qu'ils osent les dfendre, au besoin en manifestant. Ces mouvements de protestation obissent souvent un subtil jeu trois. Des paysans expulss ou des ouvriers exploits manifestent contre des responsables locaux du Parti communiste qu'ils estiment responsables de leurs problmes. Ils rclament l'arbitrage du pouvoir central ou des autorits rgionales. Souvent, ceux-ci font droit leur demande pour viter que le mouvement ne s'tende, et on en reste l. Les manifestants ne remettent pas en cause le rgime, ils ne contestent pas le systme, ils dfendent des intrts particuliers. C'est pourquoi ces mouvements revendicatifs, mme s'ils sont nombreux, ne coagulent pas en un vaste mouvement de contestation. Il ne s'agit pas de dfendre les droits de l'homme ou des principes gnraux, mais de protger ses intrts personnels. Ces manifestations restent le plus souvent une chelle corporatiste et rgionale. Que les gens aient conscience de leurs droits et osent manifester constitue videmment un progrs. Cela aurait t inimaginable sous Mao. Les critiques sont plus vives, plus nombreuses ; les citoyens, plus exigeants ; des intellectuels, des juristes interviennent pour faire voluer le systme juridique et faire appliquer les lois existantes. Tout cela est synonyme de plus de libert. Personne n'imagine nanmoins que la dmocratie est pour demain. Au demeurant, les Chinois ne la rclament pas. Ils apprcient l'amlioration de leur niveau de vie, ils exigent le respect de leurs droits et de leurs intrts, et c'est tout. Quant au pouvoir, il a volu d'un mode totalitaire un mode autoritaire.

MFI : On assiste des troubles au Tibet, au Xinjiang. L'unit de la Chine est-elle menace ?

M-C. B : Non, l'unit du pays n'est pas menace. Il existe certes des troubles dans certaines rgions de minorits ethniques, qui se trouvent aux confins du pays. Mao a toujours affirm que les minorits - comme les Tibtains ou les Ouighours - disposaient des mmes droits que les Hans, qui reprsentent 80 % de la population chinoise, d'o la cration des rgions autonomes. En ralit, ces gouvernements autonomes taient truffs de cadres du Parti venus de Pkin. L'autonomie a toujours t illusoire. Le problme est que ces minorits vivent dans des rgions stratgiques, riches en hydrocarbures ou frontalires de pays voisins. Le gouvernement central entend donc les contrler troitement. Tant que leurs revendications ne menacent pas l'autorit de Pkin, tout est ngociable. Mais la moindre incartade, des troupes sont dployes immdiatement et la rpression est svre. Pkin ne lchera jamais du lest quant son autorit sur l'ensemble du territoire. Cela d'autant plus que la majorit de la population l'approuve. Les Chinois Hans n'ont gure de considration pour les minorits ethniques. Mme les activistes du mouvement dmocratique de la place Tian-an-Men en 1989 avaient t surpris, lorsqu'ils sont arrivs en Europe ou aux Etats-Unis aprs avoir t expulss, qu'on leur parle tant du Dala-lama. En rien ils n'approuvaient les aspirations des Tibtains davantage de liberts. Ils n'envisageaient la dmocratie que pour les Hans.

Propos recueillis par Jean Piel

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