Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

03/11/2009
Les Arabes et la Shoah, par Gilbert Achcar De la guerre isralo-arabe des rcits

(MFI) Pour l'historien d'origine libanaise Gilbert Achcar, qui enseigne la School of Oriental and African Studies de Londres, le conflit isralo-arabe ne se rduit pas aux champs de bataille du Moyen-Orient. Dans un ouvrage rudit, il explore cette guerre coups de rcits opposs et de ngation des rcits des autres. Elle tourne autour de deux traumatismes l'origine du conflit : la Shoah, la destruction des Juifs d'Europe, et la Nakba, le dracinement des Arabes de Palestine.

C'est l'ensemble des circonstances historiques qui a fait que la tragdie juive, atteignant son paroxysme dans la Shoah, a dbouch sur le drame palestinien, la Nakba : la catastrophe palestinienne procda de la catastrophe juive , affirme Gilbert Achcar. Proche des thses du Palestinien Edward Sad aujourd'hui disparu, l'auteur, qui fut un temps chercheur au Centre Marc-Bloch de Berlin, cerne mthodiquement son champ d'investigation pour mieux dpasser les caricatures qui sont hlas plthores sur le sujet. Jamais cependant il ne met sur le mme pied les deux vnements.

La Shoah tait incomparablement plus atroce et plus meurtrire que la Nakba, crit-il, mais cette considration ne pouvait toutefois, en aucune manire, attnuer la tragdie des Palestiniens, d'autant moins qu'ils n'prouvaient, en tant que peuple, aucun sentiment de culpabilit quant la destruction des Juifs d'Europe.

Le moment premier de la catastrophe

Sa recherche se limite volontairement aux regards que portent sur la Shoah les pays de l'Orient arabe les plus directement confronts aux consquences de la naissance de l'Etat d'Isral, produite par la tragdie et productrice du drame . Car pour l'auteur, ce temps de la Shoah est l'objet principal du contentieux historique dans la bataille des rcits .

Plus de la moiti de cet ouvrage volumineux (525 pages) est d'ailleurs consacre cette priode qu'il qualifie de contemporaine de la Shoah, les annes 1930 et 1940 . Celle-ci ne comprend donc pas seulement la phase d'extermination systmatique des Juifs par l'Allemagne hitlrienne en 1942, la solution finale. Elle inclut galement les perscutions perptres ds l'arrive au pouvoir d'Adolf Hitler, en 1933, moment premier de la catastrophe .

Passant au crible cette relation trs complexe entre la tragdie juive et le drame palestinien, il propose d'abord une analyse smantique des diffrents termes qui les qualifie. Shoah ou Holocauste, l'usage de l'un et l'autre fait toujours dbat. Quant la Nakba, qui signifie catastrophe douloureuse , le terme a t utilis ds 1948 dans la monde arabe pour dcrire la fondation de l'Etat d'Isral et ses consquences . Il rsume aussi le fait que la cration d'un Etat pour donner refuge aux Juifs d'Europe perscuts a cr du mme coup le problme des rfugis palestiniens .

Une topographie idologique du monde arabe

Pour l'historien, le mouvement sioniste fond par Theodor Herzl est incontestablement, au premier chef, une raction l'antismitisme - une des ractions possibles , un mouvement qui a t principalement acclr par les pogroms de Russie jusqu' la Premire Guerre mondiale . Paralllement, il rappelle que le dbut de la colonisation sioniste en Palestine est bien antrieur l'arrive d'Adolf Hitler au pouvoir, comme le furent les ractions arabes hostiles cette colonisation . Les paysans palestiniens n'taient pas mus par des ractions xnophobes, encore moins antismites ou antijuives : ils ragissaient plutt comme des gens expulss de leurs terres et privs de leur gagne-pain .

Pour l'historien, le mouvement sioniste fond par Theodor Herzl est incontestablement, au premier chef, une raction l'antismitisme - une des ractions possibles , un mouvement qui a t principalement acclr par les pogroms de Russie jusqu' la Premire Guerre mondiale . Paralllement, il rappelle que le dbut de la colonisation sioniste en Palestine est bien antrieur l'arrive d'Adolf Hitler au pouvoir, comme le furent les ractions arabes hostiles cette colonisation . Les paysans palestiniens n'taient pas mus par des ractions xnophobes, encore moins antismites ou antijuives : ils ragissaient plutt comme des gens expulss de leurs terres et privs de leur gagne-pain .

Outre l'examen des rceptions arabes de la Shoah, cet ouvrage offre une topographie idologique du monde arabe , estime son diteur. Entre la fin de la Premire Guerre mondiale et le dbut de la Seconde, les contours des principaux courants idologiques du monde arabe contemporain se sont forms, le rapport la Shoah tant un excellent rvlateur de la nature de ces courants . S'appuyant sur une vaste documentation, il examine au plus prs les ractions arabes l'antismitisme et au nazisme et souligne leur grande diversit.

Il rappelle plus largement au bon sens la diversit des Arabes, traverss par plusieurs courants idologiques , et donc a fortiori dans leurs rapports au nazisme et au sionisme. Il existait des allis arabes du mouvement sioniste, certes trs minoritaires , fait-il remarquer. Mais au sein mme de l'indpendantisme anticolonial arabe , li bien entendu au mandat britannique, il existait aussi une opposition au projet sioniste en Palestine, attitude trs largement dominante dans cette priode, concde-t-il.

Le courant national oppos au Mufti n'en tait pas moins fort influent.

Gilbert Achcar expose les quatre principaux courants politiques arabes : les occidentalistes libraux, les marxistes, les nationalistes et les panislamistes ractionnaires et/ou intgristes. Chaque courant est divis son tour entre plusieurs variantes , notamment au sein du courant nationaliste, qui peut tre soit de droite, souvent proche de l'intgrisme islamique , ou de gauche, influenc par le marxisme, et un nationalisme libral .

A cet gard, on lira avec intrt (p. 77) l'opposition au Mufti de Jrusalem, frquemment accus d'avoir collabor avec les nazis. Bien que l'aile radicale du mouvement national dirige par le Mufti de Jrusalem, Hajj Amin al-Husseini, ft devenue majoritaire dans l'opinion arabe palestinienne avec l'exacerbation des tensions au fil des ans, surtout partir de 1936, le courant national oppos au Mufti n'en tait pas moins fort influent.

Pour un dialogue sincre entre Arabes et Israliens

Au demeurant, l'auteur dnonce sans ambigit les attitudes antismites ou ngationnistes qui se sont manifestes au sein du mouvement national arabe, notamment palestinien. Mais il rfute aussi, documents l'appui, les interprtations caricaturales d'une certaine propagande pro-isralienne qui cherche faire croire que les Arabes ont soutenu en bloc le nazisme et qu'ils sont antismites par vocation religieuse.

Dans le climat passionnel qui entoure le sujet, l'ouvrage se veut une ardente plaidoirie pour une reconnaissance pleine et mutuelle de la Shoah et de la Nakba, condition indispensable pour que s'tablisse un dialogue sincre entre Arabes et Israliens - en prlude une paix vritable, plus urgente que jamais . Parvenant trouver sa distance critique, il brosse avec le souci constant d'objectivit qui caractrise l'historien de haut vol un tableau original de l'histoire arabe contemporaine. Pour un public universitaire.

Les Arabes et la Shoah. La guerre isralo-arabe des rcits, par Gilbert Ashcar. 2009, Sindbad Actes Sud, 26 euros.

Antoinette Delafin

retour