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10/11/2009
Questions internationales (3) Franois Collart Dutilleul : Au-del des symptmes, il faut traiter les causes de la faim

(MFI) A quelques jours du Sommet mondial sur la scurit alimentaire, le professeur Franois Collart Dutilleul, membre de l'Institut universitaire de France et directeur du programme europen de recherche Lascaux (Droit-Aliment-Terre), a accept de ragir aux propositions du Secrtariat de la FAO formules en vue du Sommet mondial.

MFI : Que pensez-vous des propositions (*) du Secrtariat de la FAO, visant notamment amliorer la gouvernance de la scurit alimentaire par un effort de coordination et renforcer les pouvoirs et les moyens du Comit de la scurit alimentaire ?

Franois Collard Dutilleul : On ne peut que les approuver. Mais on ne compte plus aujourd'hui toutes les instances mondiales de gouvernance destines diminuer la pauvret, rduire l'cart entre le Nord et le Sud, vaincre la famine, etc. Et tandis que ces instances se multiplient, le nombre de personnes souffrant de la faim continue de crotre. Sans la multiplication de telles instances, la situation serait peut-tre plus grave encore. Mais les instances internationales qui ne sont dotes ni d'un pouvoir conomique de dveloppement ni d'un pouvoir de contrainte juridique n'ont qu'une efficacit trs limite. Lorsqu'elles en sont dotes (FMI, Banque mondiale), la pauvret et la famine disparaissent-elles l o elles passent ?

MFI : L'augmentation des investissements publics prne par la FAO est-elle de nature garantir la scurit alimentaire mondiale ?

F.C.D. : On ne peut qu'applaudir au vou d'augmenter les investissements et les financements publics. Globalement ils tendent augmenter au fil des dcennies, mme s'ils ont baiss depuis une vingtaine d'annes dans l'agriculture. Il faut bien sr inverser la tendance dans l'agriculture. Mais dans les secteurs o ces investissements ont augment, la pauvret a-t-elle diminu ?

MFI : Comment jugez-vous le dveloppement des investissements privs dans les pays touchs par la famine ?

F.C.D. : Les investissements vont partout o cela rapporte. Ils n'attendent pas que l'intrt gnral ou l'intrt d'autrui les appelle ! Nul doute qu'ils se dmultiplient au fil des dcennies, avec certainement une acclration trs rapide dans la priode contemporaine. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Les socits prives, spcialement les socits transnationales, n'investissent pas dans un pays. Elles investissent un pays dans leurs intrts. Et elles continueront de le faire tant que quelque chose ne les freinera pas.

MFI : Que pensez-vous des prconisations ouvertement librales du secrtariat de la FAO, qui raffirme qu'un systme international de commerce agricole, fond sur des rgles, sans distorsion, non discriminatoire, ouvert, quitable et juste peut favoriser le dveloppement agricole et rural et contribuer la scurit alimentaire mondiale ?

F.C.D. : S'il n'est pas certain qu'un tel systme puisse tre tout la fois juste, quitable et sans distorsion et non discriminatoire, en tout cas le Secrtariat n'affirme pas qu'un tel systme est favorable au dveloppement des pays les plus pauvres. Il affirme mme le contraire en ajoutant, en forme de rquisitoire, que pendant que le commerce international de produits agricoles et alimentaires tait en plein essor, de nombreux pays en dveloppement, en particulier les pays les moins avancs, n'ont pas bnfici de cette volution . Ds lors, peut-on vraiment esprer que le dveloppement des pays pauvres viendra de l'application des rgles de l'OMC, fussent-elles compltes par l'aboutissement du cycle de Doha ?

MFI : Comment jugez-vous les propositions formules par le Secrtariat de la FAO pour stabiliser les marchs ?

F.C.D. : L encore les prconisations sont surprenantes. Le Secrtariat propose que soient menes des tudes approfondies et compltes afin d'analyser les liens de cause effet entre la spculation et les fluctuations des prix des produits agricoles . Mais quelqu'un en doute-t-il encore ? Et peut-on se contenter alors d'laborer des principes et dispositifs destins assurer un minimum de stabilit des marchs et de limiter les incidences ngatives sur la scurit alimentaire ? Une telle approche a minima n'est pas de nature permettre d'atteindre les objectifs initiaux d'radication de la famine, mme en 2025, et d'approvisionner une humanit de 9 milliards d'individus, mme en 2050. En ralit, le Secrtariat prconise surtout, concrtement, de lutter non contre l'instabilit spculative des marchs, mais contre ses effets nfastes. Autant de mesures pour traiter les manifestations du mal (symptmes) sans agir vraiment sur les causes.

MFI : Diagnostiquer les causes, notamment juridiques, c'est le leitmotiv du programme europen de recherche Lascaux que vous dirigez ? O en tes-vous ?

F.C.D. : Il est ncessaire et lgitime de traiter les symptmes l'image du Secrtariat de la FAO. Mais cela n'a d'effet que sur l'instant. Si l'on veut avoir un impact sur l'avenir, il n'y a pas d'autres voies que de commencer par un diagnostic afin de mettre en lumire et de neutraliser les causes. C'est notamment cette tche que Lascaux entend contribuer pour que la terre et les denres alimentaires ne soient pas rduites des marchandises comme les autres.

Les premiers mois du programme ont permis de constituer, autour d'un noyau d'universitaires et de Nantes et de Nice, une quipe d'une centaine de chercheurs d'une quinzaine de pays. Dans le mme temps, trois ouvrages sont mis en chantier : un Code comment de droit europen et international de l'alimentation, un Trait de droit agroalimentaire europen et un Dictionnaire encyclopdique autour du triptyque Droit-Aliment-Terre .

Nous organisons Nantes les 28 et 29 juin 2010 un Forum mondial d'envergure sur les thmatiques des droits de l'homme et du droit l'alimentation dans lequel seront mises en commun les imaginations des chercheurs, des ONG, des politiques et des citoyens.

(*) Contribution du Secrtariat la dfinition des objectifs et des dcisions possibles du Sommet mondial sur la scurit alimentaire :

http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/newsroom/docs/Secretariat_Contribution_fr_Summit__1.pdf

A titre de comparaison, Olivier de Schutter, Rapporteur spcial des Nations Unies pour le droit l'alimentation, soumet une contribution la prparation de la Dclaration du Sommet mondial sur la Scurit alimentaire : http://www.srfood.org/index.php/fr

Pour tout renseignement sur les activits du programme Lascaux : www.droit-aliment-terre.eu

Propos recueillis par Olivier Rabaey

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